Le collectif Home Cinéma, qui occupe cette salle historique du Quartier latin, a reçu un avis d’autorisation d’expulsion. Alors que la préfecture de police demande aux bénévoles d’évacuer les lieux, le cinéma organise des projections de films en continu.
"MAINS BASSES SUR LA CLEF : la menace du Groupe SOS", peut-on lire sur la devanture du cinéma, où une parodie d’affiche de film d’horreur rétro a été placardée. A l’intérieur, des spectateurs patientent avant la première projection de la journée. Marion et Benjamin, tous deux Parisiens, ont découvert la salle il y a un peu moins d’un an. "On est déjà venu plusieurs fois, raconte Benjamin. C’est important de soutenir cette initiative."
Marion souligne "la qualité de la programmation, la politique du prix libre, l'auto-organisation du lieu, et le fait que le film soit présenté chaque soir par quelqu’un qui l'a choisi, et qui peut le transmettre et le raconter". D’après la spectatrice, la mort du projet serait synonyme d’"une perte de solidarité, de qualité, d’artistique, de militantisme… Bref, tout ce qui manque aujourd’hui".
Le collectif Home Cinéma, expulsable depuis juin, a reçu mardi un avis d'autorisation d'expulsion, "au besoin avec le concours de la force publique", de la part de la préfecture de police. Alors que le groupe est invité à remettre les clés avant le lundi 31 janvier, le cinéma organise une semaine spéciale de portes ouvertes, avec des projections en continu chaque jour de 11h à 23h. Le tout avec l’interventions de personnalités du milieu de la politique et de la culture : vendredi, la salle reçoit ainsi le cinéaste Alain Cavalier et le philosophe Jacques Rancière.
"Ça fait deux ans et demi que l’occupation perdure, avec 15 000 adhérents, plusieurs centaines de bénévoles, des films tous les soirs et près de 500 séances au total, souligne Clément, membre du collectif et étudiant en philosophie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. On est un cinéma de quartier, on ne veut pas lâcher ça."
"On veut rester un cinéma associatif et indépendant"
La création de La Clef remonte à 1973. En 2015, le comité d’entreprise de la Caisse d’épargne d’Île-de-France, propriétaire du cinéma, le met en vente pour 1,5 million d’euros. L’établissement finit par fermer en 2018, après l’échec de discussions menées avec l’exploitant pour racheter les lieux. "L’occupation a débuté en septembre 2019, avec un collectif monté par des personnes du milieu du cinéma et du milieu du squat", raconte Clément. Au printemps 2020, au cours du premier confinement, Home Cinema continue de projeter des films sur les murs du Quartier latin. "Ça a marqué certains enfants du quartier, qui regardaient depuis leurs fenêtres", se souvient l’étudiant, qui participe à des des sessions d’éducation à l’image organisées dans La Clef.
Alors que le collectif fait face à une série de procès au fil des mois, le groupe SOS, spécialisé dans l’économie sociale, signe en novembre 2020 un compromis en vue du rachat du cinéma, pour plus de 4 millions d’euros. Le groupe est présidé par Jean-Marc Borello, qui milite par ailleurs pour La République en marche, en tant que délégué général adjoint du parti. "Au départ, on avait demandé à SOS de devenir notre mécène, mais leur intention était de racheter, explique Clément. C’est un groupe avec des logiques entrepreneuriales. On veut rester un cinéma indépendant. Ici, tout le monde est bénévole, l'occupation est désintéressée."
Étudiants, retraités… Notre fermeture supprimerait l'accès au cinéma à plein de personnes
Clément, membre du collectif Home Cinéma
"Des premiers films, des vieux longs-métrages, des films engagés… Ce qu’on montre ici n’est pas forcément visible ailleurs, indique l’étudiant. Et on a de comptes à rendre à personne d’autre, on est libre de projeter ce qu'on veut. Si on disparaît, le quartier et même Paris perdent un magnifique laboratoire culturel. Ça serait aussi une perte pour tous les habitués, c’est un lieu de socialisation. Certains de mes amis viennent sans regarder le programme. Ils savent qu'ils vont être surpris. Au-delà de Paris, il y a également un choix de société derrière : est-ce qu'on privilégie la recherche de profit et la spéculation immobilière, ou la culture ? C’est un choix politique."
"On défend un modèle à prix libre et on accueille tout le monde, ajoute Clément. La majorité des gens qui viennent n'ont pas forcément beaucoup de moyens. Aller au cinéma, ça coûte cher aujourd'hui. Voir un film pour 10 centimes ou trois euros, c'est exceptionnel. Étudiants, retraités… Notre fermeture supprimerait l'accès au cinéma à plein de personnes."
"L’occupation est illégale, il n’y pas de perspective"
De son côté, le porte-parole de SOS, Nicolas Froissard, dit "ne plus comprendre le collectif" : "Au début, ils nous ont contactés pour qu’on les aide. Le propriétaire veut vendre son bien, la justice lui a reconnu ce droit. On est les seuls à montrer un intérêt pour racheter le lieu et faire en sorte qu’il garde son activité de cinéma. On s’est engagé à conserver une programmation exigeante pour que La Clef retrouve son label art et essai. Aujourd’hui, la situation est claire : l’occupation est illégale, il n’y pas de perspective. Et la justice est préoccupée par des problèmes de sécurité de mise aux normes des installations électriques, avec des risques d’incendie et d'explosion."
Contactée, la mairie de Paris explique ne pas avoir pu racheter l’établissement : "La Ville a étudié en interne les possibilités d’acheter le cinéma via plusieurs pistes. Aucune n’a pu aboutir car le CSE de la Caisse d’Epargne Ile-de-France a toujours refusé toute rencontre officielle." La mairie ajoute que "la préemption était juridiquement impossible".
Carine Rolland, l’adjointe à la Ville de Paris en charge de la culture, dit avoir toujours soutenu l’action de l'association : "Les activités culturelles développées par le collectif Home Cinéma au sein de La Clef sont appréciées tant par les habitantes et habitants que par les professionnels du secteur culturel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la mairie de Paris s’investit depuis plus de deux ans dans un travail de médiation entre les différentes parties." L’adjointe explique avoir "interpellé le Préfet de Police à plusieurs reprises par courrier, et encore lundi dernier, afin qu’un sursis soit accordé au collectif".