Témoignage. Amiante : près d'un millier d'écoles contient des matériaux cancérigènes en Ile-de-France

Publié le Écrit par Aude Blacher

C’est un constat alarmant que livre aujourd’hui la série documentaire Vert de Rage, diffusée sur France 5. D’après ses journalistes, près d’un tiers des établissements scolaires en France contiendrait des matériaux amiantés. À Paris, cela concerne 70 % des écoles publiques. Un chiffre qui serait bien en dessous de la réalité, plus de la moitié des écoles sollicitées ayant refusé de fournir leurs données. Votre école est-elle concernée ? Eléments de réponse.

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Elles ont été construites avec un matériau invisible à l’œil nu mais pourtant bien toxique : l’amiante, interdit depuis 1997 car responsable de plusieurs types de cancers. Selon l’enquête de Vert de Rage que nous avons pu consulter, sur les 7 029 écoles franciliennes, au moins 993 d’entre elles contiennent des matériaux amiantés, soit une école sur sept. Ce qui place l'Ile-de-France comme la deuxième région le plus touchée par ce fléau après la Bretagne. Un chiffre certainement sous-évalué car 4 254 établissements de la région n'ont pas accepté de communiquer leurs informations.

À Paris, l’une des seules villes à avoir fait preuve de transparence, sur les 644 écoles publiques, 440 d’entre elles renferment des matériaux amiantés. C’est près de 70 % des écoles. Une statistique inquiétante, mais à relativiser selon le Docteur Maxime Misseri, spécialiste de l’amiante. "Dans les écoles, beaucoup de matériaux de construction ont été fabriqués avec de l’amiante : les dalles de sol, les cloisons extérieures, intérieures, les portes. Il peut y avoir aussi des fibrociments ondulés. Tant qu’il est calfeutré, il n’y a pas de danger. Tout dépend de la quantité d’amiante utilisée et de son état de conservation."

Associé à l’enquête de Vert de rage pendant neuf mois, le chercheur a procédé aux analyses des fibres d'amiantes collectées dans une quinzaine d’écoles dont une en Ile-de-France, à Bonneuil (Val-de-Marne). Selon ses résultats, 90% des écoles testées contiennent de l’amiante et 40% dépassent le seuil d’alerte de 5000 fibres/cm² fixé par une norme américaine. "Certains résultats indiquent qu’il y a des matériaux très dégradés et donc très émissifs. On a notamment trouvé de l’amiante de manière importante sur les sols, ce qui peut être dangereux pour les enfants dont les défenses immunitaires sont plus faibles et qui ont des voies respiratoires plus proches du sol du fait de leur taille. Compte tenu de la durée de latence, un enfant qui aurait été exposé peut avoir une maladie qui se développe autour des 40-50 ans."

Un tiers des écoles n’a pas réalisé de diagnostic

Maladies broncho-pulmonaires, plaques pleurales, fibroses ou encore cancer du poumon et de la plèvre… L'Institut national de veille sanitaire (INVS) estime que l’amiante serait responsable de près de 2 200 nouveaux cas de cancers et de 1 700 décès chaque année. Mais aucune recherche scientifique n’a été effectuée spécifiquement sur les élèves. En revanche, lors d’une étude réalisée en 2019 sur le mésothéliome, Santé publique France a pour la première fois publié un encart concernant les enseignants et le personnel de l’Education nationale. "Cette étude a montré que chaque année, au moins 20 personnes développaient un cancer spécifique à l’amiante en exposition professionnelle, relate Cyril Verlingue, représentant SNES-FSU et cofondateur du Collectif urgence amiante école. C’est un indicateur à prendre très au sérieux, l’arbre qui cache la forêt. Il ne recolle pas toutes les maladies de l’amiante, pas tous les malades. Mais ça montre qu’il y a bien des victimes. Il faut maintenant que la prévention passe à la vitesse supérieure."  

Encore faut-il qu’un état des lieux soit effectué dans chaque établissement scolaire, qu’une surveillance soit réalisée lorsque les matériaux présentent des signes de détérioration. Or, d’après l’enquête de Vert de Rage, un tiers des écoles n’a jamais accompli de Diagnostic Technique Amiante (DTA) pourtant obligatoire depuis 22 ans dans les bâtiments construits avant le 1er juillet 1997. D’autres écoles n’ont pas entrepris de travaux de rénovation malgré des injonctions. En Ile-de-France, elles seraient au nombre de 70. Pour savoir si vous êtes concernés, entrez le nom de votre commune dans le moteur de recherche Franceinfo

Une seule fibre peut provoquer un cancer

Une opacité à laquelle a été confrontée Michèle*, une enseignante francilienne qui a accepté de nous livrer son témoignage sous couvert d’anonymat. Il y a quelques mois, avant des travaux de démolition prévus dans son école, elle demande à consulter le Diagnostic Technique Amiante (DTA), normalement accessible à tous. "On ne me le fournit pas mais on me répond qu’il n’y a pas d’amiante." Voyant passer un diagnostiqueur amiante dans le bâtiment, elle exige cette fois-ci de connaître les résultats des prélèvements. "Ça a été une véritable bataille pour les obtenir. Et là, avec mes collègues, nous découvrons que de l’amiante est bien présente dans l’école, à des endroits insoupçonnés et pas contrôlés depuis une quinzaine d’années. Il y en avait dans des murs où l’on met du scotch, que l’on perce pour installer des panneaux d’affichage. A partir du moment où vous percez un mur amianté, vous avez droit à des fibres sachant qu’une seule fibre suffit à provoquer un cancer." 

Malgré ces expertises, les travaux dans l’école sont lancés sans précaution particulière, en présence des enfants et du personnel. Une nouvelle fois, l’enseignante alerte la mairie. En vain. "Il y avait des marteaux-piqueurs et des outils de travaux qui faisaient vibrer tout le bâtiment jusqu’au deuxième étage. Nous n’avions aucune protection, on a tous absorbé des poussières." Une situation anxiogène qui pousse les professeurs à exercer leur droit de retrait et demander l’aide de la CRAMIF (Caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France). "Les travaux ont finalement été arrêtés mais j’ai subi des représailles, de l’intimidation et des menaces publiques. Ce qui m’a même fait douter de ma démarche, raconte Michèle* qui regrette l’absence de communication, de prévention et de suivi médical. Au final, on ne saura véritablement si on a été contaminé que dans une vingtaine ou une trentaine d’années." Sollicitée, la mairie n’a pas souhaité répondre à nos questions.

"Il y a une véritable minoration du risque"

Rénover, désamianter les bâtiments scolaires relève aujourd’hui de la responsabilité des municipalités, seules aussi à en devoir supporter les coûts. L’un des nœuds du problème selon Cyril Verlingue, représentant SNES-FSU. "Les collectivités ne peuvent pas assumer seules le financement de tous ces travaux. Le ministère de l’Education nationale a la responsabilité de la santé et de la sécurité de ses personnels et des enfants. C’est pourquoi nous réclamons un plan d’urgence de la rénovation du bâti scolaire." Le syndicat enseignant milite également depuis plusieurs années pour la création d’un recensement national des établissements scolaires contenant de l'amiante. Un inventaire mis sur la table depuis 30 ans, annoncé en 2019 mais jamais mis en œuvre. "Il faut que l’on soit informé et formé aux risques. Car la réalité, c’est qu’aujourd’hui les agents des collectivités territoriales interviennent sur des matériaux amiantés sans formation adéquate." Inscrite dans une circulaire de 2015, la signalétique amiante n’a par exemple toujours pas été mise en place dans les écoles. "Vous n’avez pas d’endroit où il est indiqué : « attention, mur amianté » pour indiquer qu’il ne faut pas toucher, dégrader ou percer par exemple. Il y a une véritable minoration du risque."

Sans prise de conscience collective, sans solution d’urgence, le fléau de l'amiante pourrait continuer à faire des ravages. Une bombe à retardement dont on ne verra les effets que dans quelques années.

*le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat

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