Imaginez un duel en armure avec casque et épée. Le béhourd est un sport de combat qui s’adresse aussi bien au grand public qu’aux compétiteurs, avec des tournois intenses. Reportage dans le plus grand club Français à Paris.
Quand on entre dans la salle d’armes, située au dernier étage de la salle polyvalente Buffault dans le 9e arrondissement de la capitale, on entend tout de suite de grands coups métalliques. Les combattants aux allures de chevaliers, qui s’affrontent en face-à-face, enchaînent les rounds d’une minute pour s’entraîner. Avec, entre-temps, de courtes pauses pour se reposer.
Gantelets, genouillères, casques… Au milieu des tapis de sport, on observe un peu partout des morceaux d’armure lourde. Après un coup, l’épée d’un des participants se brise sous le choc et la lame valse sur le parquet. "Ça arrive, c’est du consommable, mais ça fait toujours son petit effet", réagit Thomas Chariot, le "prévôt", qui coache l’ensemble du groupe. "C’est un terme historique mais aussi le titre de mon diplôme : 'prévôt d’état', j'ai un BPJEPS escrime", résume-t-il.
"Le béhourd, c’est du combat armé, et c’est un mélange de boxe, d'escrime et de judo", explique-t-il. Le tout avec plusieurs disciplines : "le duel classique, où l'objectif est de frapper uniquement avec l'arme" ; le "pro-fight, du MMA en armure", pratiquée lors de cette session d’entraînement, où l’"on peut frapper avec l'arme, les poings, la tête, les genoux, les coudes, le bouclier, avec la possibilité d’amener l'autre au sol" ; ou encore la mêlée, avec des combats en groupe. "5 contre 5, 10 contre 10... Le but est de faire tomber l'équipe adverse au sol", présente Thomas Chariot.
Les pratiquants s’affrontent en général avec des épées à une main, à deux mains, des haches, des hallebardes, ou - c’est plus rare - des masses. "Au-delà du sport c'est un exutoire où l'on est le plus libre possible, on peut se lâcher. Et c'est un effort d'endurance explosive, c'est assez rare parmi les pratiques sportives", vante le prévôt.
"Il y a le côté 'enfant qui veut jouer au chevalier'"
"C'est un défouloir sans commune mesure", confirme Stéphane, un infographiste de 48 ans qui pratique le béhourd depuis 10 ans. "Se taper dessus à coups de barre à mine, c'est vraiment quelque chose de jouissif… Jeune, j'ai fait des arts martiaux. Et ce n'est pas du tout pareil : on peut se taper joyeusement dessus sans retenir beaucoup les coups, mais sans vouloir faire du mal à l'autre. Il y a le côté 'enfant qui veut jouer au chevalier', il n'y a aucun doute là-dessus. Après, je ne suis pas très académique sur l'aspect historique", raconte-t-il.
Comme les autres pratiquants, il possède son propre matériel avec une longue épée de 2 kilos pour l'entraînement et une armure (en partie en titane) qui pèse entre 20 et 25 kilos. Et pour avoir essayé de donner quelques coups de lame sur la tête casquée de Stéphane, ce dernier invitant à "y aller franchement" pour le test, difficile de faire bouger le combattant d’un poil.
Emmanuel, un informaticien de 35 ans, s’est également initié au béhourd il y a 10 ans. "Petit, j’ai fait du taekwondo et du judo. J'ai surtout grandi avec les films de cape et d'épée, et une vision fantasmée du chevalier, l'épée à la main. Ça m'a donné envie de tester. Quand on combat, on ne pense à rien d'autre. Et il n'y a pas de véhémence ou de colère, il y a toujours de la bienveillance. Même en tournoi, on ne cherche pas à écraser l'adversaire. On se tatane, et à la fin on se prend dans les bras", sourit-il.
L'informaticien explique d’ailleurs qu’une armure complète peut coûter entre 1 500 et 2 000 euros.
"C'est très rare qu'il y ait plus qu'un bleu"
Mais d'où vient le béhourd ? Le sport est né en Russie entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, retrace Thomas Chariot. "Le béhourd est une version sportive de la reconstitution historique. Et à l’origine, la pratique fait partie du soft power russe. Aujourd'hui, les Russes ont été exclus de toutes ces choses-là avec la guerre russo-ukrainienne, et il y a une fédération internationale beaucoup plus neutre politiquement maintenant. Et en France, c’est arrivé un peu plus tard, avec la création de la fédération française de béhourd en 2013", explique-t-il.
"Ce n'est pas une pratique historique, précise le prévôt. Le béhourd a pu exister sous certaines formes dans l'histoire avec des orthographes variées, mais aucune source ne décrit le combat sportif au Moyen Âge avec les règles d'aujourd'hui. C'est fondamentalement une version moderne. Selon mes connaissances, et je ne suis pas historien, on n'utilisait pas des armures de guerre pour faire un sport au Moyen Âge, on utilisait des armures adaptées."
Quant aux risques associés à la pratique, spectaculaire, Thomas Chariot relativise : "Pour avoir fait 10 ans de judo, la quantité de blessures n'est pas plus importante. Les armes ne sont ni tranchantes, ni pointues. Les armures sont conçues pour diffuser l'onde de choc, et on porte des protections supplémentaires en dessous. On met aussi l'accent sur la capacité de déplacement des jambes, le fait de bouger permettant également de diminuer l'impact. Ensuite, c'est aussi la responsabilité de tout le monde, avec de la pédagogie. On débute la pratique avec du matériel léger, en mousse, qui permet de faire des erreurs pour apprendre les bons principes et les bonnes manipulations."
"On ne se fait pas mal, c'est que du bonheur. On est bien protégé et on s'amuse vraiment", confirme Stéphane. "C'est très rare qu'il y ait plus qu'un bleu", assure de son côté Emmanuel.
Avec près de 80 pratiquants de béhourd à Paris (pour 600 licenciés en France), la capitale accueille le plus gros club du pays. Le sport n’est "pas encore reconnu" officiellement par l'Etat, mais "des projets de développement - qui prennent du temps - vont dans ce sens", note Thomas Chariot.