Lacération, confiscation, expulsion... Le Collectif Accès au droit a recueilli près de 450 témoignages entre 2015 et 2023 qui font état, à Paris et dans sa banlieue nord, de violences envers les personnes migrantes vivant à la rue.
"Notre peur avec les Jeux olympiques est que l'espace public soit soustrait à ceux qui en dépendent, et que cela soit fait de manière violente", explique Milou Borsotti, membre du Collectif Accès au droit (CAD), une association qui se présente comme un observatoire des violences policières envers les personnes exilées vivant à la rue. "Nous craignons la mise en place de dispositifs anti sans-abri, comme le long du quai d'Austerlitz, et que les opérations d'éviction soient renforcées et que la réinstallation de ces personnes soit ensuite rendue impossible", poursuit le bénévole.
Pour le CAD, ces violences policières envers un public déjà fragile et précaire sont quasi quotidiennes. C'est pourquoi le collectif a décidé de les documenter et de les analyser en établissant la première enquête sur la condition des personnes exilées à Paris et en proche banlieue entre 2015 et 2023.
Une violence "systémique" et "institutionnelle"
Effectué sur la base de 448 témoignages, ce rapport révèle que 88% des situations de violence sont des actions de dispersion et d'expulsion de l'espace public. "Avant, j'avais l'habitude de dormir sous le pont du métro 2 à la Chapelle. Tous les jours, les policiers viennent nous réveiller : 'dégage sale con', ils nous disent, et ils nous poussent avec leurs pieds", peut-on lire dans le rapport du CAD.
Une politique du "zéro point de fixation" qui est le signe pour le collectif que "la violence policière est institutionnelle et qu'elle est décidée par des politiques publiques qui choisissent de mener des évictions avec des CRS plutôt qu'avec des travailleurs sociaux", détaille Milou Borsotti.
La police nous réveille à cinq heures du matin, souvent de façon brutale. J'ai moi-même été gazé deux fois au visage quelques minutes après mon réveil
Anonyme
Lors d'une enquête flash réalisée entre octobre et novembre dernier, 79% des 103 personnes interrogées déclarent avoir été victimes de violences policières, et 78% déclarent l'avoir été à plusieurs reprises. "On ne parle pas d'un phénomène isolé, il y a un aspect systémique des violences policières qui touche presque chacune des personnes qui passent par Paris", dénonce le bénévole du CAD.
Dans son enquête, le Collectif Accès au droit dénonce une politique de non-accueil qui se matérialise par la lacération des tentes, la destruction des affaires personnelles ou encore l'installation de mobiliers urbains empêchant la réinstallation des personnes. Comme en témoigne auprès du CAD l'une de ces personnes, qui dormait alors sous un métro aérien : "On n'a pas le droit d'avoir de tentes, sinon la police vient nous les prendre […]. La police nous réveille à cinq heures du matin, souvent de façon brutale. J'ai moi-même été gazé deux fois au visage quelques minutes après mon réveil". Le collectif dénonce également des violences physiques, verbales ou encore des entraves aux actions des associations.
Entre 400 et 800 personnes exilées à la rue
Pour le CAD, cette politique volontaire entraîne un "harcèlement des personnes" et un "épuisement moral et psychique", qui conduit parfois au pire. "Nous avons recensé plusieurs cas de suicides cet hiver, se désole Milou Borsotti, des gens qui vivaient depuis trop longtemps dans des conditions indignes." Actuellement, entre 400 et 800 personnes exilées seraient à la rue à Paris et dans sa proche banlieue.
Un chiffre qu'il est toutefois difficile de mesurer depuis la création des "sas d'accueil temporaire régionaux" mis en place depuis la mi-mars pour "désengorger" les centres d'hébergement franciliens. "Ces dix centres d'accueil disposent chacun de 50 places permettant d'accueillir les personnes pour une durée maximale de trois semaines, à l'issue desquelles elles sont dirigées vers différentes structures d'accueil en fonction de leur situation", comme l'explique l'AFP.
L'espoir d'une politique "plus accueillante"
Crée au début de l'année, le CAD, par-delà sa mission d'observatoire, propose des actions d'informations et d'accompagnement de personnes exilées vivant à la rue. À terme, ils espèrent que leurs actions d'observation et de recueil de la parole des victimes permettront de voir se résorber les violences. "Nous voudrions voir une autre politique d'immigration, une politique plus accueillante pour les personnes exilées", confie Milou Borsotti.
Un espoir mis à mal par le nouveau projet de loi immigration, dont le Conseil Constitutionnel s'est officiellement saisi. Pour le Collectif Accès au droit, ce texte ne passe pas : "Nous sommes opposés à cette loi que nous jugeons extrêmement dangereuse du point de vue de la santé publique, dangereuse pour le respect des droits des personnes et injuste sur la mise en place de conditions très renforcées pour les personnes étrangères qui souhaitent bénéficier de l'aide sociale."