"Le béton est roi à Paris, mais ce n’est pas impossible d’être naturiste"

Alors qu’un nouvel espace naturiste pourrait bientôt naître au sein du bois de Boulogne, sur le modèle de la parcelle aménagée depuis cinq ans dans le bois de Vincennes, quels sont aujourd’hui les différents lieux et événements dédiés aux pratiquants dans la capitale ?

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Yoga, gymnastique, lecture ou encore pique-nique dans le plus simple appareil : depuis le samedi 16 avril, les naturistes sont de retour dans le bois de Vincennes (XIIe arrondissement). Cachée dans une clairière entre l'allée Royale et la route Dauphine, cette parcelle de près de 7000 m2, aménagée depuis 2017, est ouverte tous les jours de 8h à 20h30 jusqu'au 30 avril, de 8h à 21h30 du 1er mai au 31 août, de 8h à 20h30 du 1er au 30 septembre, et enfin de 8h à 19h30 du 1er au 16 octobre.

"Beaucoup de personnes sont devenues des fidèles, explique Julien Claudé-Pénégry, en charge du développement des espaces naturistes urbains pour l'Association des Naturistes de Paris (ANP). Quand les beaux jours arrivent, il peut y avoir entre 700 et 1000 personnes sur un week-end, ce n’est pas rien. Le lieu est bien proportionné même s’il est peut-être trop petit aujourd’hui."

D’où le projet d’ouvrir un nouvel espace : "On avait lancé la demande à la mairie de Paris il y a quelque temps, en raison de la forte fréquentation et de la promiscuité du lieu dans le bois de Vincennes. Certains doivent traverser toute la capitale pour accéder à l’espace. Pénélope Komitès, qui était alors l’adjointe chargée des espaces verts, avait donné son accord de principe. Christophe Najdovski, qui a pris sa succession, a depuis acté le projet."

Plusieurs sites, dont le bois de Boulogne (XVIe arrondissement), ont ainsi fait l’objet de réflexions. "Des discussions sont en cours pour le bois de Boulogne. C’est une autre réalité que Vincennes, il faut voir si l’espace est adapté. Ce n'est pas garanti qu’on puisse faire quelque chose cette année, mais on avance. C’est du bénévolat, il faut trouver du temps. La France est la toute première destination mondiale en termes de tourisme naturiste, ça serait bien de se doter d’un autre lieu et d'offrir le même rayonnement que d’autres grandes villes européennes", avance le porte-parole de l’ANP.

"Les naturistes peuvent exister partout"

"A Vincennes, on a de très bons retours, affirme Julien Claudé-Pénégry. La clairière est un peu à l’abri des usagers qui ne pratiquent pas la nudité. Mais le lieu est ouvert à tous, n’importe qui peut le traverser. Et on a établi une charte avec différents engagements, par exemple respecter et préserver l’environnement." Quand on emprunte les chemins qui mènent vers la parcelle, on trouve ainsi des panneaux en bois qui rappellent le principe de l’espace et la réglementation en vigueur. "Ça permet d’éviter de tomber dessus sans en avoir connaissance, et de préserver la tranquillité des usagers de l’espace", indique le porte-parole de l’ANP.

En cinq ans, les naturistes n’ont jamais reçu la visite de promeneurs ou de riverains en colère, explique Julien Claudé-Pénégry : "Certains passants rigolent, beaucoup d’autres n’en ont rien à faire, et c’est génial. Les mairies attenantes se sont exprimées par voie de presse à l’époque de la création, et on avait répondu à certains en les invitant à se rendre sur place pour discuter. Les naturistes peuvent exister partout."

Quant au risque de voyeurisme, "des policiers du commissariat du XIIe arrondissement sont spécifiquement formés et font régulièrement des rondes", précise le porte-parole. "Ils font attention à certains comportements, et il existe une ligne directe de téléphone pour les contacter. Ça fonctionne très bien. Je vais prendre ça à la rigolade, mais il y a toujours des gens qui se sont 'trompés d’adresse' ou qui disent ignorer le lieu, et qui viennent en fait fixer des personnes nues pour se rincer l'œil", déplore-t-il.

Au-delà de l’espace du bois de Vincennes, l’ANP propose des créneaux dédiés aux naturistes dans deux piscines parisiennes : les lundis, mercredis et vendredis à Roger Le Gall (XIIe arrondissement) et le samedi soir à Georges Rigal (XIe arrondissement). Différentes activités y sont proposées, avec des cours de natation (le bonnet de bain est obligatoire), de l’aquagym mais aussi des séances dans une salle de sport.

Déshabillé au musée

Théâtre, chant, pots… L’association créée en 1953, et qui regroupe aujourd’hui environ 400 adhérents, propose par ailleurs de nombreux ateliers et événements culturels. "Le plus grand, c’est la visite naturiste au Palais de Tokyo en 2018, raconte Laurent Luft, le président de l’ANP. L’événement était limité en places, et au final on a eu une immense liste d’attente. L’intérêt était énorme, c’était au-delà de toutes nos espérances. Des gens sont venus de très loin : il y avait des Suisses, des Italiens, des Anglais et même des Chinois."

"J’avais déjà fait l’expo habillé auparavant, se rappelle-t-il. J’ai remarqué que lorsqu’on est nu, on regarde différemment les objets. Quand on est habillé, on est souvent très conscient de ses vêtements, on montre quelque chose. Comme si l’on avait un déguisement. Est-ce que j’ai l’air gros ? Est-ce que j’ai l’air assez chic ? Est-ce que les gens vont me juger ? Alors que nu, on s’accepte comme on est. Donc on ne pense pas à autre chose en regardant les œuvres."

Depuis, l’association a organisé la visite naturiste d’une exposition consacrée à Louis de Funès à la Cinémathèque française, en septembre 2020. "Au Palais de Tokyo, l’expo n’avait rien à voir avec la nudité, on voulait montrer que tout peut se pratiquer nu. A la Cinémathèque, par contre, il y avait un lien entre le naturisme et 'Le Gendarme de Saint-Tropez'. C’était rigolo, le commissaire de l’expo s’était même habillé en gendarme, avec un sifflet. On était masqués et, dans le contexte du Covid, beaucoup de gens avaient peur de sortir, mais c'était tout de même complet", se souvient Laurent Luft.

L’ANP organise également d’autres visites dans des petites galeries parisiennes, mais aussi à la Fondation Fiminco à Romainville (Seine-Saint-Denis). "Ce qu'on a découvert avec les expositions, c’est que ça attire plus de jeunes que les activités sportives. Le but de ces événements est d’offrir quelque chose d’original, en cherchant toujours de nouvelles idées. Le but n’est pas d’attirer de nouveaux adhérents, mais s’il y a de nouvelles têtes, tant mieux. En 2015, on ne faisait rien en dehors de nos piscines", raconte le président de l’association.

"Certains ne savent pas ce que c’est d’être 'emprisonné' dans une ville bétonnée"

"On essaye de réinventer le naturisme, poursuit-il. Très peu de Parisiens ont un jardin. Quand on organise des événements, il y a parfois des commentaires critiques d’autres naturistes qui habitent sur les côtes, ou à côté d’un lac ou d’une montagne, et qui ne comprennent pas le concept. Ils ont l’opportunité de pratiquer plus facilement le naturisme dans la nature, et ils ne savent pas ce que c’est d’être 'emprisonné' dans une ville bétonnée. Le mot est un peu fort, mais c’est l’idée. Paris est une ville de musées et de restaurants, donc la pratique du naturisme s’y adapte."

"Le naturisme, c’est le respect pour soi-même, pour les autres et pour l’environnement dans lequel on habite, à Paris y compris", ajoute Laurent Luft, qui vit dans la capitale depuis 17 ans. "D’après la direction du bois de Vincennes, le site sur lequel est installé l’espace naturiste est apparemment beaucoup plus propre maintenant qu’avant notre arrivée. Les gens viennent et repartent avec leurs déchets. Je ne dis pas que les 'textiles' sont sales, mais ce respect est à la base de notre philosophie", sourit-il.

Quand le béton disparaît, on peut reprendre contact avec soi-même. Et les citadins y ont droit, comme tout le monde.

Julien Claudé-Pénégry, porte-parole de l’ANP, en charge du développement des espaces naturistes urbains

"Ce n’est pas que c’est compliqué d’être naturiste à Paris, mais pour beaucoup le naturisme se limite à la nature, estime de son côté Julien Claudé-Pénégry. On ne va pas attendre les vacances pour s’échapper. Et le naturisme ne se limite pas à être nu, il s’agit également d’être en communion avec les éléments extérieurs, se nourrir du soleil… Le béton est roi à Paris, mais ce n’est pas impossible d’être naturiste. Encore faut-il avoir des espaces adaptés et des possibilités de sorties culturelles, festives ou sportives."

"Ça permet aux personnes de redécouvrir leur corps, poursuit-t-il. On vit dans des sociétés stressantes où l’on se couvre, avec l’impératif d’être bien fichu et de correspondre à certains critères. Alors que les morphologies sont très différentes, et que les vêtements ne font pas la personne. Le naturisme est une culture tolérante et intergénérationnelle. Quand le béton disparaît, on peut reprendre contact avec soi-même. Et les citadins y ont droit, comme tout le monde."

Clubbing naturiste

Parmi les autres événements naturistes parisiens, Julien Claudé-Pénégry explique par ailleurs avoir créé un collectif : A 222-32 (une référence à l’article du code pénal dédié à la nudité et à l’exhibition sexuelle). Le collectif organise régulièrement des soirées clubbing naturistes, intitulées "Beautiful Skin", au Klub (Ier arrondissement) et à Sand Fabrik à Pantin (Seine-Saint-Denis).

A noter enfin l’existence (éphémère) d’un restaurant naturiste entre novembre 2017 et février 2019 : "O'Naturel". L’établissement proposait de manger tout nu, après un passage au vestiaire. "Le concept était très bien, on y organisait des sorties régulièrement, se rappelle Laurent Luft. Mais le restaurant a souffert l’été. Ils espéraient avoir plus de clients. Ça avait commencé à se remplir à nouveau à la rentrée, mais avec les manifestations de gilets jaunes beaucoup de touristes ont annulé leur venue. C’est dommage. Si quelqu’un veut le relancer, ça pourrait marcher."

Pour ce qui est des événements naturistes dans la capitale, l’ANP espère bientôt organiser une nouvelle "grande sortie culturelle", pour l’exposition Hyperréalisme – Ceci n’est pas un corps, récemment présentée à Lyon. Le musée Maillol accueille en septembre cette expo, qui présente des sculptures humaines au réalisme troublant. Avec des corps parfois vêtus, parfois nus.

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