Ils n'ont jamais reçu leur commande, mais ne demeurent pas impassibles pour autant. Un collectif de clients espère pouvoir engager la responsabilité de la direction de l'enseigne d'ameublement, ainsi que celle de son propriétaire, l'homme d'affaires Thierry Le Guénic.
"J'ai acheté deux articles en juillet, et bien sûr jamais livrés", "J'ai acheté du rêve !", "J'ai acheté un canapé pour 1 000 euros [...] toujours pas reçu alors qu'il était en stock !". Les témoignages de plaignants qui ont commandé un meuble "fantôme" ne manquent pas sur le groupe Facebook "Collectif de clients lésés par Habitat en liquidation judiciaire", créé le 6 janvier dernier par Martine Chevalier et Anne Muller, deux clientes d'Habitat.
"Nous représentons aujourd'hui 10% des neuf millions d'euros de commandes qui n'ont pas été honorées par Habitat", décrit Martine Chevalier, originaire de Paris. Elle espère réunir un nombre suffisant de clients lésés par l'enseigne afin d'engager une procédure judiciaire contre la direction de l'enseigne et le propriétaire Thierry Le Guénic, un "serial-killer d'entreprises". L'une de ses enseignes, Burton of London a également été liquidée le 13 février dernier.
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Le 6 décembre dernier, l'enseigne d'ameublement Habitat était placée en redressement judiciaire. Une vingtaine de jours après, le tribunal de commerce de Bobigny prononçait la liquidation judiciaire de l'entreprise, en raison de graves difficultés financières. Habitat laissait alors 383 salariés sur le carreau, et près de neuf millions d'euros de commandes non livrées, selon les administrateurs judiciaires.
"Entre 600 et 700 personnes" pourraient monter au créneau face à l'ancienne direction
"La liquidation est arrivée très vite", se désole Jean-François, qui n'a jamais reçu le sommier qu'il avait commandé au magasin Habitat République, dans le 11e arrondissement de Paris. "Je garde toujours espoir, même si les chances de se faire rembourser sont minces."
Je garde toujours espoir, même si les chances de se faire rembourser sont minces
Jean-François, client d'Habitatauprès de France 3 Paris Île-de-France
Or, comme Jean-François et Martine, sur près d'un millier de clients laissés sur le carreau qui ont rejoint le collectif, elle espère rassembler "entre 600 et 700 personnes". "Ils ont pris les commandes jusqu'au bout alors qu'ils n'étaient plus en capacité de payer les fournisseurs", dénonce-t-elle, arguant qu'il ne s'agit pas d'une "simple liquidation" ou d'une "affaire commune".
Habitat paraissait comme avoir les reins solides, "une marque française de renom" qui était entrée "dans les mœurs" pour Martine, et comme elle, de nombreux clients fidèles ou occasionnels.
Ils ont pris les commandes jusqu'au bout alors qu'ils n'étaient plus en capacité de payer les fournisseurs
Martine Chevalier, cliente et co-représentante du collectifauprès de France 3 Paris Île-de-France
"Certaines personnes dans le collectif ont économisé des mois pour pouvoir acheter un meuble Habitat", confie Martine Chevalier, preuve d'une confiance des consommateurs dans l'enseigne d'origine britannique, désormais rompue. "Il y a eu une véritable envie de prendre de l'argent, mais pas pour que l'enseigne s'en sorte."
Aujourd'hui, le collectif a demandé aux mandataires de "revenir plusieurs mois avant la liquidation" et de creuser afin de déterminer s'il s'agissait, non pas de fautes de gestion, mais de pratiques intentionnelles. "Une petite entreprise aurait fait la même chose, le dirigeant aurait eu une interdiction de gérance a minima de cinq ans. Là, il ne se passe rien pour M. Le Guénic", s'insurge-t-elle.
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Les clients non livrés avaient jusqu'à samedi dernier pour se déclarer en tant que créanciers dits "chirographaires". Contrairement au Trésor public, l'Urssaf ou encore les salariés, les créanciers chirographaires, soit généralement les clients, ne sont pas prioritaires dans le recouvrement de leur créance en cas de liquidation d'une entreprise.
Éviter de futurs "serial-killers d'entreprises"
"Nous le savions, nous n'aurons rien car notre argent a disparu, regrette Martine Chevalier. En revanche, nous pouvons peut-être faire une action qui empêche que cela se reproduise, que des serial-killers d'entreprises comme M. Le Guénic soient sanctionnés."
Nous pouvons peut-être faire une action qui empêche que cela se reproduise, que des serial-killers comme M. Le Guénic soient sanctionnés
Martine Chevalier, cliente et co-représentante du collectifauprès de France 3 Paris Île-de-France
Il n'était pas rare que Martine Chevalier s'y rende pour faire l'acquisition de vaisselle, ou de luminaires... jusqu'à finalement commander un canapé à près de 1 000 euros. "Ce n'est pas un achat que l'on fait tous les quatre matins." Une somme qu'elle estime moindre face à d'autres clients qui ont pu dépenser jusqu'à 7 000 euros, un investissement dont ils ont peu de chances de revoir la couleur.
Aujourd'hui, certains clients qui ont réglé leur commande via l’organisme de crédit Oney ont pu être remboursés. "Cet établissement joue le jeu, c'est à souligner", réagit Martine Chevalier. Tandis que d'autres tentent de solliciter l'assurance de leur carte bancaire, en vain.
"Nous sommes au début de l'aventure", analyse Martine Chevalier, qui ne souhaite pas se résigner, déterminée à ce que d'autres consommateurs ne puissent pas connaître la même situation. "Il y a une dynamique et de l'échange qui permet de canaliser la colère. Nous irons jusqu'au bout, ça c'est clair."