Migrants, exil, expulsion... Quand Alexis Michalik nous raconte des histoires d'aujourd'hui

Avec Passeport, le wonderboy du théâtre parisien signe une nouvelle pièce ancrée dans le réel. Qui sont ces personnes que l’on préfère désormais appelés migrants ? A travers des personnages forts, Alexis Michalik choisit de raconter leur histoire entre accueil et expulsion. Chronique d’un nouveau succès annoncé jusqu’au 30 juin et sans doute au-delà…

Un « London Calling », graffé sur un mur de Calais, continue de résonner comme un appel vers Londres dans l’esprit de milliers réfugiés qui arrivent en France. La plupart du temps, ils échouent à traverser la manche, dernière étape d’un long périple dramatique.

L’histoire commence dans la jungle, une zone à proximité du tunnel vers l’Angleterre et de la zone portuaire. On apprend que ce terrain boisé devenu un immense bidonville et qui a accueilli jusqu’à 10 000 personnes, a été ainsi baptisé par des migrants afghans, « jangal », forêt en Persan. Car Alexis Michalik, le metteur en scène de Passeport, confesse s’être longuement renseigné avant de démarrer l’écriture de sa 6ème pièce en tant qu’auteur

"L'immigration revient sur le terrain et souvent du côté le plus à droite de nos partis. En fait, l'idée est venue d'une histoire humaine, une histoire romanesque et puis étant donné  le sujet, il a bien fallu que je commence un peu à me renseigner pour ne pas dire trop de bêtises et forcément quand on aborde ce genre de thématiques ont fini par s'engager d'un côté et mon côté était plutôt à gauche", avoue l'homme de théâtre, invité sur le plateau du 19_20 de France 3 Paris IDF.

Des histoires réglées comme une horlogerie

Du Porteur d’histoire (2013) à Une histoire d’amour (2020) toutes ses pièces précédentes ont été des succès. Avec notamment 7 nominations aux Molières, il a été multi-primés pour Edmond (2016). Ce spectacle et le suivant Intramuros (2017) sont toujours à l’affiche à Paris depuis leur création.

Quand Alexis Michalik marche dans les pas de Dumas, de Rostand ou de Méliès, son style s’enflamme au fil de la plume, à la pointe de l’épée ou d’une baguette magique et un souffle narratif embrasse ses créations. Mais depuis ses trois dernières pièces, il change de registre et affronte des sujets contemporains, la prison, la PMA et cette fois-ci l’immigration.

Cependant il garde ce qui a fait son succès à chaque fois : des scènes très courtes où juste l’essentiel des dialogues est conservé. Et à chaque fois, la méthode est la même : une troupe d’excellents comédiens, souvent inconnus du grand public, une histoire racontée façon puzzle avec des scènes très brèves, un maelstrom de changement à vue des décors et des costumes.

Un casting 7 étoiles

Passeport réunit aussi 7 comédiens et comédiennes, dont la plupart ont fait leurs preuves dans les précédentes mises en scène de Michalik. Deux d’entre eux sont nouveaux et commencent à être connus, comme l’humoriste de stand-up Kevin Razy ou l’actrice de cinéma Manda Touré, notamment héroïne d’Afropolitaine. Tous campent plusieurs personnages et passent de l’un à l’autre avec une grande fluidité. Le metteur en scène confirme : "Ça, c'est un petit peu mes habitudes. Comme je raconte des histoires très cinématographiques, alors on passe d'un décor à l'autre et donc les acteurs sont également machinistes, ils poussent les décors ; ça tourne à vue et ils se changent sur scène."

Tout cela donne une grande force au récit au tempo narratif bien mené. Avec une variété d’accents et de langue, ils réussissent à donner vie à une multitude de réfugiés.

Un conte contemporain de Calais à Paris

L’histoire débute en 2015 avec Issa, un jeune réfugié Érythréen qui est laissé pour mort dans la « jungle » de Calais. Il a perdu la mémoire. Il n’a sur lui que son passeport. Commence alors un interminable parcours administratif et géographie pour obtenir un titre de séjour. Évacué vers le département de la Vienne, lors d’un énième démantèlement du camp, Issa rejoint finalement Paris avec deux amis l’indien Arun et le syrien Ali. Pour survivre, leur périple les amène à accepter des petits boulots comme livreur à vélo ou commis de cuisine.

En parallèle, parmi les forces de l’ordre à Calais, on suit l’histoire de Lucas, un doux gendarme coincé entre une mère au foyer et un père autoritaire, un ancien militaire xénophobe, qui refuse de voir que son fils adoptif a la peau noire.

Un théâtre comme un écrin dans un quartier populaire

Pour cette création c’est le théâtre de la Renaissance qui a été choisi, classé monument historique avec toutes ses dorures, car il a accueilli Victor Hugo, Alexandre Dumas et Sarah Bernhardt. Selon Alexis Michalik, il est aussi situé à côté du métro Strasbourg-Saint-Denis (Paris 10e) dans un quartier vivant. "On voulait jouer dans un quartier qui ne soit pas trop déconnecté de la réalité décrite dans la pièce. Il fallait que ce soit un quartier populaire. Ça aurait été un peu bizarre d'aller près des Champs-Élysées de jouer une pièce sur l’immigration."

Car lui-même vit dans le 19e arrondissement, un quartier de la capitale populaire. Et il a grandi pas loin, le 18e, et c'est là qu’il a commencé à rêver de théâtre. "Et aussi à voir la société française telle qu'elle l'est dans Passeport, puisque moi mon quotidien, c'était effectivement la ligne 2 du métro entre les stations de métro Blanche et Barbès Rochechouart. Donc une société très diverse, très mixte. D’ailleurs, j'étais à l'école primaire classée ZEP, mais dont je garde aussi un souvenir très joyeux et très optimiste. Et c'est une vision que le tout le monde n'a pas."

Alors certains trouveront que ces deux histoires ressemblent à un conte un peu naïf, bien loin de l’écriture ciselée de Jean-Claude Grumberg pour La plus précieuse des marchandises ou de l’épopée sur le même thème de la troupe d’Ariane Mnouchkine, Le dernier Caravansérail.

Reste qu’à chaque nouvelle élection, les programmes politiques qui demandant plus d’expulsions progressent comme en témoignent les débats sur la dernière loi Immigration en décembre dernier. Dans le même temps, selon la définition de l’Insee ("personne étrangère née à l’étranger"), la France compte 5,3 millions d’immigrés, soit 8,3% de sa population totale. Cette pièce Passeport est peut-être une réponse immunitaire salvatrice quand le cordon sanitaire se délite.

"Passeport" d’Alexis Michalik
Mise en scène : Alexis Michalik
Avec : Christopher Bayemi, Patrick Blandin, Jean-Louis Garçon, Kevin Razy, Fayçal Safi, Manda Touré, Ysmahane Yaqini
Du mardi au samedi 21h, samedi 16h30, dimanche 17h
Théâtre de la Renaissance
20 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris

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