Cinq ans après l'incendie, les relevés officiels continuent de montrer une forte concentration de poussières de plomb près de la cathédrale Notre-Dame. Les associations de lutte contre la contamination au plomb sonnent l'alerte.
Elle a été reconstruite à l'identique. La cathédrale Notre-Dame de Paris va rouvrir ses portes lors d'une grande inauguration, samedi 7 décembre. Cinq ans de travaux monumentaux ont redonné vie à l'édifice brûlé par l'incendie, rendant à son iconique flèche, dessinée par l'architecte du XIXe siècle Viollet-le-Duc, sa place dans le ciel parisien. Mais aussi son apparence, puisqu'elle a, comme l'originale, été recouverte de plomb laminé. Au grand désarroi des associations et syndicats qui luttent contre les risques de saturnisme. Ces dernières dénoncent le manque de suivi médical organisé après la catastrophe, et redoutent de futures contaminations au plomb.
Une concentration de plomb toujours importante près de la cathédrale
Pour rappel, le 15 avril 2019, le nuage qui s’est échappé de la cathédrale en flamme a emporté avec lui 400 tonnes de ce métal lourd, des arrondissements parisiens limitrophes jusqu'aux Yvelines. Or, le plomb est une substance neurotoxique, néphrotoxique (mauvais pour les reins), reprotoxique (pour l'appareil reproducteur), toxique pour le système cardio-vasculaire, cancérogène, mais c'est aussi un perturbateur endocrinien. Comme le dit l'Organisation mondiale de la santé, "il n'existe pas de concentration dans le sang qui soit sans danger".
Les relevés réalisés par l'Agence régionale de santé peu après l'incendie ont montré qu'il y avait, près de la crypte archéologique de la cathédrale, jusqu'à 611 450 microgrammes de poussières de plomb par mètre carré. Une concentration dangereuse : en 2021, le Haut conseil à la santé publique (HCSP) recommandait d'abaisser à 70 µg/m² le seuil d'alerte. Il faut par exemple s'imaginer qu'un taux de 12 microgrammes de plomb par litre de sang est associé à la perte d'un point de QI, selon l'Inserm. Dans le quartier de Saint-Germain-des-Près, non loin d'établissements scolaires, on comptait dans les poussières relevées entre avril et septembre 2019 jusqu'à 53 100 µg/m² de concentration en plomb. Aujourd'hui, les taux mesurés près de l'édifice ont baissé sous les 5 000 µg/m². Pour autant, le danger n'est pas tout à fait écarté, selon les associations.
"On n'a pas protégé les riverains, les nettoyeurs, les commerçants, et on a pas assez protégé les artisans"
Annie Thébaud-Mony, association Henri Pézerat
"Le problème du plomb n'est absolument pas réglé", déplore Annie Thébaud-Mony, présidente de l'association Henri Pézerat, qui défend les travailleurs contre les atteintes à la santé, et directrice de recherche honoraire à l'Inserm. "Avec la visite du président Emmanuel Macron, il y a eu la volonté de présenter le chantier comme exemplaire. Or, pendant toute la période des travaux, comme l'édifice n'a pas été confiné comme nous l'avions proposé, il y a eu une pollution extensive. On n'a pas protégé les riverains, les nettoyeurs, les commerçants, et on a mal protégé les artisans. L'incendie de Notre-Dame aurait pu être l'occasion d'avoir une gestion exemplaire de ce grave problème de santé publique, mais on a fait comme s'il n'existait pas."
Une plainte déposée en attente d'instruction
Une plainte a été déposée contre X pour "mise en danger de la vie d'autrui" en juin 2022, et une juge d'instruction a été désignée l'année dernière. Deux familles qui vivaient à proximité se sont notamment constituées parties civiles, au vu du taux de plomb présent dans le sang de leur enfant. D'autres ont eu peur de parler, de peur de faire dévaluer leur bien immobilier. "Il y a forcément d'autres victimes, mais quelles sont-elles ? Il n'y a pas eu la moindre stratégie de suivi de santé publique digne de ce nom. Les symptômes du saturnisme ne sont pas spécifiques : une pathologie rénale, reproductive, cardio-vasculaire ou un cancer peuvent être multifactoriels. Si les autorités ne centralisent pas, ça ne se verra pas."
Annie Thébaud-Mony indique qu'après les attentats du World Trade Center, les services de santé américains ont mis en place un recensement à New York et une analyse des données au fil du temps. "Plus de 20 ans après, ils sont capables de dire quelles sont les maladies qui sont liées à l'amiante et aux substances toxiques qui ont brûlé, et on a pu se rendre compte de l'importance de la contamination à bas bruit qui a été l'autre conséquence de ce désastre", poursuit-elle.
En 2021, le Haut Conseil de la Santé Publique se prononçait pour l'interdiction du plomb laminé comme matériau de couverture en raison de sa toxicité. Pourtant, la restauration de la toiture de la cathédrale s'est poursuivie comme prévu. Vendredi 29 novembre, lors de la visite officielle du chantier, la seule mention du plomb a été faite par la restauratrice des sculptures, Nathalie Pruha. Comme le rapporte Le Figaro, celle-ci a indiqué qu'une trace noire de coulée de plomb a été gardée au niveau de la main du Christ, sur la statue de la Vierge située au niveau du chœur de la cathédrale. Le but des architectes étant de préserver "la mémoire de l'incendie". "C'est de la provocation, c'est insupportable, a réagi la scientifique. Le Christ l'a dans la main, il est béni, donc tout va bien !"
Le nouveau plomb de Notre-Dame est-il une source de pollution ?
Selon une étude, la quantité de plomb qui passe dans les eaux de pluie après avoir ruisselé sur les toits de Notre-Dame est de 10 kg par an. Pour lutter contre ce relargage, un dispositif de recueil des eaux de ruissellement de la toiture et un dispositif de filtrage et de purification de ces eaux devait être installé sur le nouveau toit, selon le ministère de la Culture. Là encore, le chef de l'Etat n'en a pas fait mention lors de sa visite.
"Je ne connais pas de filtre qui soit total, et on oublie tout ce qui va partir avec le vent dans l'atmosphère. Tout ça arrive sur nos têtes, ou sur la chaussée, et tout le monde traîne ça partout avec ses chaussures. Beaucoup de monde se retrouve en contact avec le plomb en toute ignorance, ce qui est dramatique", poursuit la présidente de l'association de défense des travailleurs. "On a fait des campagnes d'informations auprès des policiers qui gardaient la place pendant les travaux, rapporte également Mathé Toullier, de l'association des familles victimes du saturnisme (AFVS). Ils ne savaient pas qu'il fallait qu'ils laissent leurs chaussures et leurs vêtement de travail hors de chez eux. L'omerta autour du plomb continue."
Les autorités sanitaires continuent néanmoins de réaliser des relevés et de publier leurs résultats sur leur site internet. De son côté, la Mairie de Paris suit régulièrement la situation dans les écoles avec son "plan plomb". Des études sont également en cours pour tenter d'évaluer l'impact de ce feu sur l'environnement et la santé des Franciliens, précisent aussi nos collègues de Franceinfo.