REPORTAGE. Au cœur d'un service hospitalier qui lutte contre la boulimie : "j'étais en crise tous les soirs, ça devenait ingérable, j'ai demandé à être hospitalisée"

À l’hôpital Saint-Anne à Paris, l’unité d'addictologie pour sevrage boulimique admet en cure des patients pour une durée de trois semaines. Moins connue que l'anorexie, la boulimie touche environ 1,5 % des 11-20 ans et concerne environ trois jeunes filles pour un garçon.

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"C'était compliqué de faire des courses", lâche Nephatali, "me retrouver autour de toutes ces choses alimentaires, ça me fait penser à mes crises de boulimie."

Isabelle, 54 ans, Nephtali, 20 ans franchissent timidement le seuil de la salle qui abrite l'atelier cuisine au deuxième étage de la clinique des maladies mentales et de l'encéphale aussi appelé CMME. Une plaque à induction, un lavabo, des ustensiles de cuisine meublent cette salle et sur une table s'étalent les provisions que ces deux patientes ont achetées quelques heures plus tôt en compagnie d'un soignant de l'établissement. 

Ce matin, Isabelle et Nephtali, hospitalisées depuis maintenant huit jours, participent à leur premier atelier cuisine. Sous le contrôle de plusieurs infirmières, elles préparent elles-mêmes leur repas. Au menu ce midi : omelette aux lardons, pommes de terre et tarte aux pommes.

Chaque ingrédient est pesé, chaque geste fait l'objet d'un échange avec le personnel soignant. "C'est une toute première exposition à la nourriture. On les met en confrontation justement avec des aliments avec lesquels elles font des crises de boulimie", explique Charlotte Payen, infirmière dans le service.

"J'étais en crise tous les soirs donc et c'est pour ça que j'ai demandé à être hospitalisé, c'est que ça devenait vraiment trop lourd, trop ingérable" se confie Isabelle. "Par exemple, je vais manger un soir un kg de pâtes. C'est monstrueux ! Et ensuite, je vais vomir. C'est pour ça que j'ai des cales aux mains, c'est à force de se forcer à vomir, donc à mettre les bouts de doigts de la bouche (...) j'ai l'image de moi d'une femme de 85 kg".

Aucun signe physique ne permet de déceler que Nephtali et Isabelle souffrent depuis de nombreuses années de boulimie, un T.C.A, un trouble de conduite alimentaire. Pour cette catégorie de T.C.A, "on considère que les sujets ont un poids normal. Ils vont présenter à la fois des accès hyperphagie ou des crises de boulimie", explique le Dr Clément Vansteene, psychiatre, addictologue, responsable de lUnité addictologie pour sevrage boulimique à l’hôpital Saint-Anne à Paris. 

"Ça veut dire qu'ils vont manger beaucoup de nourriture et vont s'associer à cela des stratégies de contrôle du poids" ou "des conduites de purge" comme le vomissement, l'hyperactivité physique ou encore la prise de substances laxatives.

Une cure de sevrage intensive

Pendant trois semaines, tout au long de leur parcours de soins, "une cure de sevrage intensive", Isabelle et Nephtali vont rencontrer plusieurs types de patriciens : médecin, psychiatre, psychomotricienne, diététicienne, ergothérapeute. La prise en charge des patients est ici pluridisciplinaire (somatique, psychologique, nutritionnelle, sociale et familiale), adaptée à l’âge du patient et à l’intensité de ses troubles. "Il y a une corrélation extrêmement étroite entre l'estime de soi, le poids, la silhouette perçue, et ce qu'on a mangé", explique Clément Vansteene.

D'abord lors de cette cure de sevrage, les patients sont particulièrement surveillés par le personnel de santé. Ils doivent manger la totalité de leur plateau. Ils n'ont pas accès aux toilettes après les repas "parce qu'ils seraient tentés d'aller vomir". Ils n'ont pas la possibilité de faire d'activité physique autonome."On va poser un contrat alimentaire. En fait : trois repas par jour et on va restreindre au maximum l'accès aux conduites compensatoires", déclare Clément Vansteene.

"Il y a une phase de 10 jours qui est, ce qu'on appelle, une phase de cadre fermé où les patients ont très peu d'accès à l'extérieur et à l'issue de ces 10 jours, c'est une période d'exposition progressive, c'est-à-dire que le patient va reprendre contact progressivement avec le milieu extérieur et un certain nombre d'outils qu'il a acquis pendant la première période pour essayer de cadrer son alimentation", détaille le responsable de l'unité.

Un trouble "tyrannique"

Le service reçoit essentiellement des adultes entre 20 et 40 ans. "Il faut bien comprendre qu'ils ont entre 5 et 10 ans de maladies derrière eux, c'est quelque chose de compliqué. On a comme objectif de soins de permettre au patient de comprendre beaucoup plus précisément comment fonctionne sa maladie, puisque tout est conçu pour aller taper dans les symptômes de la maladie", argumente Clément Vansteene.

La boulimie peut être un trouble tyrannique qui impacte considérablement le quotidien de ces patients et de leurs proches."Toute ma famille essaye de mettre sous contrôle et moi, je feinte", témoigne Isabelle. "Mon mari par exemple, va essayer de faire en sorte de rentrer plus tôt que moi pour éviter que je sois toute seule à préparer à manger, il va faire les poubelles pour voir si effectivement, je n'ai pas acheté quelque chose que j'ai mangé."

Toute l'existence de l'individu va se réorganiser autour du trouble du comportement alimentaire

Dr Clément Vansteene

Si vous devez faire deux heures de sport tous les matins, vous devez vous lever plus tôt et si vous vous levez plus tôt, vous ne pouvez pas sortir le soir. Si vous devez éliminer, vous évitez toute situation dans laquelle vous n'avez pas le contrôle sur ce que vous mangez. Vous refusez les invitations au restaurant et les invitations chez des amis", développe le responsable de l'unité addictologie.

"Je ne savais plus ce qu'était une quantité de nourriture normale"

Lors de l'atelier repas, Isabelle et Nephtali ont vécu quelques moments d'émotion. "Je ne savais plus ce qu'était une quantité de nourriture normale. J'ai eu un choc en me disant, mais en fait, c'est ça des rations normales", témoigne l'une d'entre elles.

"L'objectif poursuivi, c'est qu'elles surmontent leurs difficultés, qu'elles se redonnent confiance", avance Charlotte Payen, infirmière."Tout le travail qui est fait ici est de faire en sorte de réduire leurs crises de boulimie. En fait, je dis réduire exprès, et je ne dis pas supprimer. Dans le sens où comme c'est une addiction, les rechutes font partie de l'addiction. Il y a une énorme culpabilité ressentie. C'est un cercle vicieux parce que cette culpabilité provoque un sentiment de stress intense qui entraîne une crise de boulimie. Il faut tâcher de déculpabiliser la rechute", explique Charlotte Payen.

Selon la Haute autorité de santé, la boulimie touche environ 1,5 % des 11-20 ans et concerne environ 3 jeunes filles pour 1 garçon. L’hyperphagie boulimique qui consiste à manger de grandes quantités de nourriture sans contrôle ni compensation est plus fréquente. Elle touche 3 à 5 % de la population, autant les hommes que les femmes, et elle est plus souvent diagnostiquée à l’âge adulte.

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