REPORTAGE. Lutte contre le cyberharcèlement : "au 3018, on reçoit plus de 400 appels par jour", de parents et de mineurs de plus en plus jeunes

Harcèlement entre élèves, chantage à la webcam, revenge porn... Rencontres avec des écoutantes de la plateforme du 3018, le numéro national unique de signalement des situations de harcèlement et de cyberharcèlement.

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"Il y a eu l'envoi de cette photo dénudée et cette personne te fait chanter. Je te conseille de bloquer tout de suite sa demande, de ne lui donner aucune somme d'argent." Au deuxième étage d'un immeuble discret, en retrait de la tumultueuse place de la Bourse à Paris, Estelle, psychologue écoutante depuis cinq ans, reçoit un appel angoissé d'un jeune homme de 17 ans.

"C'est un cas classique de 'sextorsion'. Ça représente une partie assez écrasante de nos appels", déclare-t-elle. Des individus créent à la chaîne des centaines de faux profils utilisant des photos de femmes (...) puis contactent sur les réseaux sociaux des garçons plus ou moins jeunes.

"Ils demandent des photos dénudées et après un échange, soit de vidéos, soit de photos (...) la victime reçoit un appel qui lui dit : 'tu m'envoies une somme d'argent ou je diffuse auprès de tous tes contacts, les photos que tu m'as envoyées'." Ces extorqueurs savent aussi truquer des images en plaçant le visage d’une personne sur le corps d'un autre.

Lors de ces appels, Estelle écoute parfois des victimes qui sont complètement "submergées par la détresse". Les écoutes peuvent durer une heure, mais peuvent être aussi de courte durée. La première tâche de cette écoutante est de comprendre l'environnement dans lequel se situe la victime, de "désamorcer l'angoisse dans laquelle elle se trouve".

"La meilleure manière de rassurer une victime, c'est se mettre à la place de l'escroc. Qu'est-ce qu'il cherche ? Est-ce qu'il veut vraiment diffuser les photos ? Est-ce qu'il veut de l'argent parce qu'il me connaît ? Y a-t-il une volonté de vengeance ? Quand on arrive à leur expliquer qu'il n'y a pas de volonté de vengeance personnelle, qu'il y a simplement la volonté d'obtenir une somme d'argent. La victime finit par se désangoisser", explique telle.

Des cyberharcelés très jeunes

Harcèlement scolaire entre élèves, cyberharcèlement, addiction aux écrans, contrôle parental, chantage à la webcam, revenge porn, exposition à des contenus violents ou pornographiques... Estelle comme ces vingt autres collègues, psychologues ou juristes employés par le 3018, sont à l'écoute tous les jours de 9 h à 23 h de toutes sortes d'appels. Près de 400 contacts par jour. Des demandes d'aides de mineurs désemparés ou de parents dépassés. Des appels établis par téléphone ou par le chat disponible sur le 3018.

Selon une enquête réalisée en juin 2023 auprès de 1 200 binômes parents/enfants mineurs, 24% des familles ont été confrontées au moins une fois au cyberharcèlement. Des familles et des mineurs confrontés à ce fléau dès l'école primaire. Cette confrontation s’aggrave lors du collège.

"Prenons l'exemple d'un élève de 6eme que l'on va appeler Lucas. Un groupe Snapchat a été créé par des élèves en début d'année et dans ce groupe, il y a tous les membres de la classe. On sait par expérience que sur les réseaux, il y a une continuité de ce qui peut se passer à l'école", explique Estelle. "Si Lucas est harcelé un cours de récréation, il le sera également dans le groupe Snapchat, il va être pris en photo de dos. On va lui mettre des filtres sans qu'il le sache. On va se moquer de lui. On va l'insulter dans le groupe", énonce-t-elle.

Le 3018 est "signaleur de confiance"

Les écoutants de plateforme vont proposer à la victime et à ses parents d'alerter d'une part l'établissement scolaire et en parallèle de collecter et conserver les messages insultants "dans un coffre-fort numérique". Dès lors, les écoutants du 3018 peuvent avertir, avec ces "preuves", la modération de Snapchat et demander la suppression du compte malveillant et de son contenu.

Cette faculté à intervenir aussi vite auprès des réseaux sociaux, le 3018, la doit à un nouveau statut dispensé par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. La plateforme est désignée par l'ARCOM comme "signaleur de confiance". Le 3018 géré par association e-Enfance qui œuvre depuis près de 20 ans pour la protection des mineurs et jeunes majeurs sur internet, dispose de ce point de vue d’une capacité d’intervention unique en France.

"Grâce à des accords avec les réseaux sociaux, une fois que le dossier est instruit, après un appel, on fait supprimer les contenus ou le compte préjudiciable. Ça peut se faire une heure dans 98 % des cas", précise Natacha Budin, directrice de la communication du 3018.

"67 % des 6-10 ans sont sur les réseaux sociaux"

"Plus les mineurs passent du temps sur les écrans, plus ils s'exposent au danger". Les conséquences du cyberharcèlement peuvent avoir un impact considérable sur la santé mentale des victimes. La moitié des élèves interrogés évoquent des problèmes d'insomnies, d'appétit, de difficultés dans leurs études. Un tiers d’entre eux a déjà pensé au suicide.

A lire aussi : TEMOIGNAGE. Harcèlement scolaire : "Mon fils s'est pendu à cause de ses bourreaux à l'école"

Concernant la fréquentation des réseaux sociaux, les chiffres révélés par l'enquête de 2023 sont éclairants selon l'association e-Enfance.

  • 67% des élèves d'école primaires sont inscrits sur les réseaux sociaux,
  • 93% au collège.
  • 96% au lycée.

L'association e.Enfance milite pour que les réseaux sociaux mettent en place pour les mineurs un système de contrôle de l'age de l'internaute."Les réseaux sociaux sont interdits d'accès aux moins de 13 ans, interdits par les réseaux sociaux eux-mêmes mais ces derniers ne demandent à la création d'un compte que l'âge de l'internaute. C'est un simple système de déclaration d'âge. Ce qui est pour nous problématique. Nous sommes évidemment pour un contrôle d'âge renforcé en bonne et due forme par tous les réseaux existants", explique Natacha Budin.

Il faut clairement que les parents s'impliquent. Ils ne connaissent pas les réseaux sociaux. Une grande majorité d'entre eux ne sait pas qu'il y a des dangers.

Nathacha Budin, directrice de la communication

Ce jeudi 7 novembre est la journée de lutte contre le harcèlement à l'école. L'occasion pour les responsables de la plateforme de démontrer aux autorités publiques qu’en raison de la hausse de ce fléau, les moyens financiers de l'association e-Enfance ne sont plus à la hauteur des besoins.

Il y a un an, le 3018 est devenu le numéro gratuit d’appel unique pour alerter et signaler les situations de harcèlement scolaire et de cyberharcèlement endurées par des mineurs. "Depuis qu'on a pris en charge le harcèlement, on ne peut que répondre seulement à une demande d'aide sur deux", déplore néanmoins Natacha Budin.

     

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