A la veille de la sortie de sa trente-sixième aventure, Thorgal a fêté ses quarante ans d’existence à Paris avec ses créateurs historiques.
Ils étaient tous là. Oui, tous là pour une photo de famille, tous ceux qui se sont succédé au chevet de Thorgal depuis 1977, avec en vedettes américaines ses deux "papas", le scénariste Jean Van Hamme (qui a quitté la série en 2007) et le dessinateur Grzegorz Rosinski qui tire à son tour sa révérence avec cet ultime tome, Aniel (en librairie le 23 novembre prochain).
Soixante-dix-sept ans pour l’un, bientôt quatre-vingts pour l’autre. Des dinosaures pour la jeune génération ? Non, plutôt de l’admiration et une grande révérence dans le regard de la petite quarantaine de jeunes fans qui s’étaient réunis jeudi soir dans un bar du 1er arrondissement de Paris pour cette première mini-convention. Et les chiffres impressionnants prouvent bien que la ferveur n’est jamais retombée : plus de quinze millions d’albums vendus, trente-six épisodes, deux séries "parallèle"’, une comédie musicale (si) et, bientôt, même une série télé...
"On a dû faire quelque chose de bien"
La première partie de soirée était consacrée à la presse et aux professionnels, Van Hamme revenant à cette occasion une nouvelle fois sur la naissance en 1976 de ce héros hors norme.
“J’avais alors trente-sept ans et j’occupais un poste bien aidé dans une grande entreprise. Mais je m’ennuyais et surtout, je rêvais de vivre de mon écriture donc j’ai fini par démissionner. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai rencontré Grzegorz qui était une connaissance de connaissance. Il m’a dit qu’il voulait travailler avec moi mais j’avoue qu’au début, j’ai été un peu rebuté par son CV car il avait fait les Beaux-Arts à Varsovie mais ne connaissait en fin de compte pas grand-chose à la BD. Mais au final, c’est ce qui m’a plu car j’ai découvert qu’il avait un style qui n’appartient qu’à lui, pas du tout influencé justement par les autres mastodontes.”
S’ils ne travaillent plus ensemble depuis plus de onze ans et vivent désormais à des milliers de kilomètres l’un de l’autre - Van Hamme réside toujours à Bruxelles alors que Rosinski, lui, vit en Suisse - leur complicité reste évidente, jusqu’à leurs chemises du jour quasiment identiques. “On a réussi je ne sais comment à convaincre ‘Le Journal de Tintin’ de nous donner notre chance. "Faites une histoire en trente planches et on verra ce que cela donne". Quarante ans plus tard, le personnage existe toujours donc on a dû faire quelque chose de bien non ?!”
Van Hamme parle par exemple de la saga comme d’un mélange entre de “la mythologie scandinave, que j’adorais et une sorte de conte de fée viril et guerrier se passant à une époque indéterminée” et de son personnage comme à mi-chemin “entre la barbarie d’un Conan et le romantisme d’un Ivanhoé”. Son complice en profite pour révéler qu’il voulait d’abord appeler le héros Ragnar, en oubliant que le nom avait déjà été utilisé par Ragnar le Viking, strip humoristique crée en 1955…
Combats d'épée, body painting et fan fictions
21 heures, les fans arrivent. Au sous-sol, une demi-douzaine d'entre eux se sont déguisés en personnages de la saga pour offrir un spectacle musical au public. Si les notes ne sont pas toujours justes, les spectateurs applaudissent la performance. S’ensuit la projection d’un court-métrage sur Thorgal réalisé par deux soeurs polonaises fan de l’oeuvre. En haut, certains profitent de l’occasion pour demander des autographes aux scénaristes et dessinateurs. Marius, venu de Belgique spécialement pour la soirée, a découvert Thorgal grâce à son grand-père.
“Il m’a dit d’essayer, et j’ai vraiment adoré ! [...] C’est une BD intemporelle parce qu’elle parle aux générations passées comme aux générations de maintenant. [...] Avec Game of Thrones, plein de séries qui remontent le temps, je pense que Thorgal est une série qui est vraiment d’actualité.”
La soirée se poursuit… Pendant qu’une jeune femme se fait offrir une séance de body painting pour ressembler à une étrange créature verte, de curieux combattants se mettent en place. Revêtus de costumes de Vikings et épée à la main, les hommes attendent le son de la corne de brume pour débuter les hostilités. Olivier a de suite été séduit par cet univers atypique. “Le fait que ce soit des Vikings et des extraterrestres au milieu, c’est ce qui m’a fait complètement déjanter !”
Succession assurée
Le combat fini - sans aucun blessé -, une toile de peintre est installée dans la grande salle. Les dessinateurs sont invités à prendre leurs crayons pour réaliser des performances devant des fans émerveillés. L’ambiance est bon enfant. Ancienne et nouvelle génération dessinent côte-à-côte, représentant les différentes pattes des artistes. Rosinski, dessinateur originel de la saga, côtoie Fred Vignaux, qui s’apprête à prendre sa succession. Les traits sont différents, mais l’âme de Thorgal perdure.
“Au début, j’avais un style plutôt "gros nez", plutôt dessin animé, et c’est petit-à-petit que je me suis aventuré sur les terres d’un trait un petit peu plus réaliste”, raconte le nouvel illustrateur. Une évolution artistique qui a permis à ce fan de la première heure d’avoir l’honneur d’être appelé par Rosinski pour être son héritier. Fred Vignaux travaille déjà sur le 37ème volume qui paraîtra en 2019, mais a “une petite appréhension” concernant les premières planches qu’il dessinera… Pour l’occasion, il a délaissé sa tablette numérique et ressorti sa plume et son encre de Chine. Les pères de la saga n’ont pas de souci à se faire, la relève tient l’empire Thorgal d’une main de maître.