TEMOIGNAGES. Réforme des retraites : les artisans ouvriers d’Île-de-France s’interrogent sur les mesures à venir

La réforme des retraites sera présentée le mardi 10 janvier. Professionnels du bâtiment et de l’artisanat s’interrogent. La pénibilité de leurs conditions de travail sera-t-elle prise en compte ? Rencontre avec deux artisans ouvriers.

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Qu'en sera-t-il de la pénibilité, des carrières longues, du report de l'âge de départ à la retraite... ? Des questions qui inquiètent Sidney Hue plombier, chauffagiste de 52 ans et John Mosso, étancheur et âgé de 35 ans. Tous deux artisans ouvriers en Île-de-France.

Sidney Hue, plombier-chauffagiste à Paris et Issy-les-Moulineaux  


Chef d’entreprise, Sidney Hue sait déjà qu’il va continuer à travailler au-delà de la durée légale actuelle de 62 ans. "J’ai commencé à travailler à l’âge de 23 ans et demi. Je sais que je vais poursuivre, même après l’âge de 64 ans envisagé par cette nouvelle réforme, parce que pour les chefs d’entreprise, c’est la transmission de notre société qui nous pousse à poursuivre et parfois, nous sommes contraints de rester par manque de repreneur ou d’un projet satisfaisant", explique Sidney Hue. 

Mes jeunes gars n’y pensent pas et c’est dommage !

Sidney Hue, artisan du bâtiment à Paris et Issy-les-Moulineaux

À la tête de deux entreprises, l'une située dans le 9e Arrondissement de Paris, et l’autre à Issy-les-Moulineaux, il compte 16 salariés. Âgés entre 17 et 57 ans, tous ne réagissent pas de la même manière, par rapport à cette réforme. "Mes jeunes gars n’y pensent pas et c’est dommage. Je leur conseille de prendre une complémentaire retraite, car plus on cotise tôt et plus c’est bénéfique, mais ils préfèrent de l’argent immédiatement, et ne se voient l’investir pour en profiter plus de 40 ans après. Mais y penser à l’âge de 40 ans, c’est inutile, car ça leur rapportera peu", regrette-t-il.

Inquiétude principale, le rallongement de la durée du temps de travail. Pour ces salariés qui ont dépassé les 55 ans, cela risque de faire beaucoup. Dans leur métier, la pénibilité existe. "Pour le moment, c’est presque supportable, mais quand les températures de décembre dernier étaient sous la barre des zéros le matin, c’est plus que dur de tenir", rappelle-t-il. A cela, s’ajoute, "les charges lourdes entre le poids d’un ballon d’eau chaude et celui d’une chaudière. Les gestes et postures parfois acrobatiques, quand il s’agit d’atteindre un endroit très haut au plafond ou encore quand, il faut vider toute une cuisine, pour atteindre, dans des positions complexes des robinetteries cachées, les fins de journées sont douloureuses physiquement, décrit Sidney Hue.

"Moi, j’ai un salarié âgé de 57 ans, si je lui dis qu’il doit se rajouter deux ou trois années supplémentaires, il va me dire non et je le comprends. Pour nous, les chefs d’entreprise, il va falloir qu’on prépare l’aspect psychologique pour nos salariés. On va tout faire pour les aider, comme leur permettre un rôle de transmission et les alléger d’un travail pénible, mais tout le monde ne pourra pas le faire", prévient-il.

Dans son entreprise, les rythmes de travail sont soutenus, avec une planification 24 heures sur 24. "Entre les interventions sur un chauffe-eau ou autre souci de plomberie chez les particuliers le week-end et le travail de nuit, les gars mettent leur vie de famille de côté, et tout cela doit être pris en compte dans les critères de pénibilité, comme cela est pris en compte pour certains régimes spéciaux", rajoute le chef d’entreprise.

John Mosso, étancheur, à Pierrefitte-sur-Seine

La pénibilité, John Mosso la vit également. Dans son entreprise, il est son propre salarié. Installé à Pierrefitte-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, il intervient exclusivement à Paris et dans les Hauts-de-Seine. "Quand on est seul, le travail ne s’arrête jamais. Je débute à 7 h, mais cela peut être plus tôt en fonction du chantier. Quand c’est à Paris, il faut démarrer très tôt à cause des embouteillages, et je finis tard", décrit-il. Âgé de 35 ans, il travaille depuis l’âge de 21 ans. 

Son travail est assimilable à celui du couvreur sauf qu' il intervient uniquement sur les toits-terrasses, notamment de bâtiments d’entreprises. "On va faire des étanchéités bitumineuses ou alors résines. On dépend des conditions extérieures. Le froid comme la canicule sont nos ennemis. Surtout la canicule, quand je manipule le chalumeau, et que je fais de la soudure. Je suffoque et ne compte plus mes coups de soleil. Le froid, on peut toujours se couvrir, mais les grosses chaleurs, on ne peut rien y faire", explique John Mosso. Réfection, entretien et maintenance rythment ses activités.

Depuis que je suis gamin, on m’a dit que je n’aurais pas de retraite, et donc je conseille à tous les ouvriers, de trouver des solutions à coté pour se créer sa propre rente

John Mosso, artisan étancheur à Pierrefitte-sur-Seine

 
Il le sait, sa retraite ne sera pas très élevée. "Tout augmente alors comment suivre avec à peine un peu plus de 1000 euros ?  Pour moi, c’est impossible et il faut trouver d’autres astuces", alerte John Mosso. Une fois à la retraite, il envisage d’investir dans la pierre pour s’assurer un revenu supplémentaire : "J’ai monté tout un projet mais les banques viennent de me refuser un prêt. C’est impossible pour moi de venir avec un apport d’un tiers de la somme quand on connaît les prix des habitations autour de Paris qui commencent à 4 ou 500 000 euros", regrette-t-il, dépité.

Autre option envisagée : investir dans une complémentaire-retraite. "De toute façon, moi depuis que je suis gamin, on m’a dit que je n’aurais pas de retraite, et donc je conseille à tous les ouvriers, de trouver des solutions à coté pour se créer sa propre rente" confie-t-il.

L’augmentation de la durée du temps de travail ne l’inquiète pas réellement. "Dans mon métier, il est possible de devenir chef de chantier pour superviser et répartir des équipes sur le terrain. C’est vers ça que j’irai, quand j’aurai de plus en plus de difficultés, car je me vois mal supporter encore les hauteurs de certains chantiers ou encore les conditions climatiques" reconnaît-il. Et pour l’heure, sa préoccupation est de pouvoir assurer l’avenir de son entreprise dans cette période de crise.

"Dans mon entreprise, les salariés peuvent partir avec une retraite qui varie entre 2500 et 3000 €. Mais qu’en sera-t-il pour ceux qui débutent ou ceux qui ont moins de 40 ans, car on calcule sa retraite sur les 25 meilleures années et nous ne sommes même plus sûrs d’arriver à finir nos chantiers et payer nos gars correctement. En ce moment, c’est très tendu" alerte Sidney Hue.

Une réforme dans un secteur déjà fragilisé

Pour les professionnels, la question économique aura forcement des répercussions sur le montant des retraites, et la proposition du gouvernement d'une retraite au minimum garantie n'y suffira pas.

La profession a souffert rappelle Jonathan Salmon, Secrétaire général de la Confédération de l'artisanat et des PME du bâtiment (CAPEB) Île-de-France. "La réforme doit se faire sans bloquer le pays. La profession a déjà souffert de la crise des Gilets jaunes, en 2019, qui a ralenti l’activité. Ensuite, la crise sanitaire du Covid en 2020 a eu des répercussions sur les matières premières jusqu’à maintenant encore, 2022 la guerre en Ukraine a augmenté le prix des carburants, bref, on suffoque. Les entreprises, elles cherchent à être payées et pour cela, il faut pouvoir finir les chantiers, sans cela, les salariés risquent d’avoir des revenus bien en baisse pour ne pas dire plus du tout", alerte Jonathan Salmon.

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