Agnès Chevry est commerçante à Melun (77), l'une des 19 villes "moyennes" d'Île-de-France sélectionnées en mars 2018 par le gouvernement pour participer au plan Action cœur de ville (ACV). Près de cinq milliards d'euros ont été mobilisés sur le territoire national pour redynamiser les centres-villes des villes moyennes. Cinq ans après, quelles leçons en tirer ?
"Il faut qu'on redynamise le centre-ville. Il n'y a plus de magasin de chaussures, de sous-vêtements, tout a fermé" se désole Agnès Chevry, une commerçante qui tient le magasin Catchoupiote, spécialisé dans la vente de jeux et de jouets au cœur du centre historique de Melun depuis plus de trente ans. "Cela fera trente-cinq ans le 2 juin !" clame-t-elle, ayant ouvert sa boutique un 2 juin 1988.
"Il faut qu'on redynamise le centre-ville. Il n'y a plus de magasin de chaussures, de sous-vêtements, tout a fermé"
Agnès Chevrycommerçante spécialisée dans la vente de jouets à Melun (77)
Un constat partagé par la vice-secrétaire et ancienne présidente de l'Union des commerçants et artisans de Melun (Unicom) Patricia Hazard. "Melun est une ville, comme toutes les villes moyennes, où le commerce ne va pas si bien" analyse-t-elle, s'inquiétant d'une présence toujours accrue des principales enseignes de proximité dans les zones commerciales en périphérie de la ville, même s'il ne s'agit pas de l'unique facteur de la dévitalisation des centres-villes. "Les maires ont envie de retirer les parkings des centres-villes, mais ils oublient que les clients des commerces de leur cœur de ville n'habitent pas forcément leur ville, relève-t-elle. Les gens qui habitent dans les petits villages autour n'ont pas forcément envie de prendre le bus". Selon elle, la municipalité doit prendre conscience "qu'elle doit travailler sur l'image du centre-ville de Melun".
Un commerce de centre-ville, qu'il soit situé à Paris ou en grande couronne, c'est aussi des choix de vie. "Mon mari n'aimait pas Paris, et moi non plus d'ailleurs" confie Agnès Chevry. Ses parents étant domiciliés dans les environs de Melun, l'idée lui est alors venue de monter son magasin de jouets dans le sud de la Seine-et-Marne. L'hypothèse d'une installation à Fontainebleau est rapidement balayée.
"À l'époque, les banques nous disaient qu'il était plus judicieux économiquement d'installer son commerce à Melun, plutôt qu'à Fontainebleau"
Agnès Chevrycommerçante spécialisée dans la vente de jouets à Melun (77)
"À l'époque, les banques nous disaient qu'il était plus judicieux économiquement d'installer son commerce à Melun, plutôt qu'à Fontainebleau" confie Agnès Chevry. Elle n'avait alors que 26 ans lorsqu'elle est aidée par son père dans la recherche d'un local. "Je travaillais pour une société de jouets, je connaissais le métier" assure celle qui s'est en fin de compte bien installée dans le quotidien des Melunais. À son arrivée dans le centre-ville, Agnès note la présence de plusieurs grandes enseignes. "Il y avait Printemps, Uniprix. Par contre, il n'y avait pas le Carré Sénart", un centre commercial inauguré en 2002 à une quinzaine de kilomètres de Melun, longtemps controversé mais récemment récompensé pour son attractivité.
"Il y avait le Printemps, Uniprix. Par contre, il n'y avait pas le [Centre commercial] Carré Sénart"
Agnès Chevrycommerçante spécialisée dans la vente de jouets à Melun (77)
Si des magasins comme Celio, Camaïeu ou récemment MaxiBazar ont plié bagages, Agnès Chevry confie avoir doublé sa surface de vente huit ans après son installation, mais se remémore aussi des moments difficiles. Après les différents confinements, "à la réouverture, c'était le rush" décrit-elle. Les clients étaient au rendez-vous, "ils ne voulaient pas qu'on ferme".
"On a été surpris de voir l'activité qu'on a pu avoir à la reprise après les derniers confinements. C'était exceptionnel"
Bernard Morvanancien président du groupe de travail Revitalisation des centres-villes et commerçant dans l'habillement à Provins (77)
"On a été surpris de voir l'activité qu'on a pu avoir à la reprise après les derniers confinements. C'était exceptionnel" témoigne Bernard Morvan, commerçant propriétaire de deux magasins de vêtements à une cinquantaine de kilomètres à l'est de Melun, à Provins (Seine-et-Marne). "La crise sanitaire a bouleversé les comportements d'achat et a remis le commerce au centre de jeu pendant une courte période post-confinements", développe Bernard Morvan qui a présidé le groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes des villes moyennes et la Fédération nationale de l'habillement (FNH). "Mais après cette courte période, de mauvaises habitudes de comportement vis-à-vis des centres-villes ont été vite reprises par les consommateurs. Ce sont eux qui décident."
"De mauvaises habitudes de comportement vis-à-vis des centres-villes ont été vite reprises par les consommateurs."
Bernard Morvanancien président du groupe de travail Revitalisation des centres-villes et commerçant dans l'habillement à Provins (77)
L'attachement des Français pour leurs centres-villes reste fort, mais s'effrite
En décembre 2017, lors du lancement du plan Action cœur de ville (ACV) par le gouvernement et aujourd'hui piloté par l'Agence nationale de la cohésion des territoires, la crise que vit les centres-villes de villes moyennes est placée au centre des préoccupations politiques et gouvernementales. En Île-de-France, près d'une vingtaine de villes moyennes, princpalement situées en grande couronne, avaient été sélectionnées dans le cadre de ce plan national pour la revitalisation de leurs centres-villes. Le but affiché par le préfet de la région Île-de-France Michel Cadot était alors de "développer l'attractivité de nos pôles urbains périphériques afin d'œuvrer en faveur d'un meilleur rééquilibrage territorial régional" face à "l'attractivité de l'aire urbaine de Paris".
Si un retour en force des commerces de proximité a pu être constaté après la crise sanitaire, l'engouement n'aura pas été bien long. Aujourd'hui, les Français sont davantage préoccupés par leur pouvoir d’achat et le contexte géopolitique que par l'attachement à leurs centres-villes et centres-bourgs, même si celui-ci reste tout de même l'une de leurs principales préoccupations, selon le 7ème Baromètre du centre-ville et des commerces.
Les Français éprouvent un attachement encore nettement majoritaire à leur centre-ville, mais celui-ci s'effrite depuis la crise sanitaire. À cela, s'ajoute une perception des centres-villes sur le déclin encore importante, seul 1 Français sur 4 estime que son centre-ville est en développement.
Aujourd'hui, Bernard Morvan, connu pour avoir été l'un des grands défenseurs des petits commerces de centre-ville, estime que le plan Action cœur de ville (ACV) a fait la part belle aux actions pour l'habitat, les mobilités ou encore l'aménagement de l'espace public, des "sujets jugés plus prioritaires", au détriment des commerces indépendants.
"Ma grande déception porte sur le volet commerce du plan, qui n'a pas été abordé"
Bernard Morvanancien président du groupe de travail Revitalisation des centres-villes et commerçant dans l'habillement à Provins (77)
"Ma grande déception porte sur le volet commerce du plan, qui n'a pas été abordé. Par contre, il a pu porter ses fruits s'agissant de la revitalisation de l'habitat. Il y a des points positifs, mais moi, je suis un commerçant" argue Bernard Morvan qui a participé à la rédaction du rapport de la mission prospective sur la revitalisation des centres-villes, remis au ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard en mars 2018. "Avec ce rapport, nous souhaitions apporter des solutions opérationnelles pour le commerce. Nous ne disions pas qu'il fallait de l'habitat". Action Logement, impliqué dans le plan Action cœur de ville (ACV) avec le financement de près de 25 220 logements depuis 2018, a précisé lundi dernier être prêt à s'engager dans la prolongation du plan ACV via sa phase II jusqu'en 2027.
Un prêt-à-porter de centre-ville en pleine crise
"La dévitalisation des centres-villes, ce n'est pas nouveau et elle s'amplifie encore très nettement aujourd'hui". Bernard Morvan est lui-même bien concerné par le sujet, étant encore commerçant en activité. L'un de ses magasins d'habillement à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne) - l'une des villes concernées par le plan Action cœur de ville - a dû fermer "consécutivement à la déprise commerciale".
"La dévitalisation des centres-villes, ce n'est pas nouveau et elle s'amplifie encore très nettement aujourd'hui"
Bernard Morvanancien président du groupe de travail Revitalisation des centres-villes et commerçant dans l'habillement à Provins (77)
En 2022, 2 500 commerces indépendants de prêt-à-porter ont fermé leur point de vente en France selon la Fédération nationale de l'habillement (FNH), qui représente les boutiques de mode indépendantes de centre-ville. "La fréquentation minimum d'un commerce est impossible à déterminer sans la prise en compte de plusieurs éléments : les charges contraintes, comme le loyer ou les taxes mais aussi l'activité exercée, souligne-t-il. Si vous dépendez des cycles de mode comme dans l’habillement, là, c'est le pire."
Pour Bernard Morvan, l'habillement indépendant de centre-ville doit également faire face à un nouvel acteur : Vinted. La plateforme de vente en ligne d'articles de seconde main revendique 23 millions d'utilisateurs en France, soit 1 Français sur 3. “Dès lors qu’il s’agit de commerce entre particuliers, c’est du commerce. Celui qui vend, c’est le particulier. S’il avait l’obligation de reverser une taxe même minime, cela représenterait des sommes importantes" souligne celui qui souhaiterait une égalité entre acteurs en matière de taxe, avant de conclure : "Encore une fois, c’est une histoire de régulation. Les pouvoirs publics mettent trop de temps à réagir. Nous les petits acteurs, on subit.”
"Encore une fois, c’est une histoire de régulation. Les pouvoirs publics mettent trop de temps à réagir. Nous les petits acteurs, on subit"
Bernard Morvanancien président du groupe de travail Revitalisation des centres-villes et commerçant dans l'habillement à Provins (77)
Un Conseil national du commerce a été lancé le mardi 25 avril dernier par la ministre déléguée chargée des PME, du commerce, de l’artisanat et du tourisme Olivia Grégoire. "Le Conseil national du commerce est un outil qui va être à disposition des commerçants avec trois thématiques, trois gros chantiers : la numérisation, la décarbonation et la formation", précise-t-il. Mais quant à la défense des commerçants indépendants de centres-villes, Bernard Morvan reste perplexe. "Encore une fois, il sera orienté grands commerces. J'attends de voir."
Les villes moyennes d'Île-de-France concernées par le plan Action cœur de ville :
- Sartrouville (78)
- Trappes (78)
- Mantes-la-Jolie (78) / Limay (78)
- Poissy (78)
- Rambouillet (78)
- Les Mureaux (78)
- Arpajon (91)
- Corbeil-Essonnes (91)
- Évry-Courcouronnes (91)
- Saint-Michel-sur-Orge (91)
- Étampes (91),
- Fontainebleau (77) / Avon (77)
- Montereau-Fault-Yonne (77)
- Coulommiers (77)
- Meaux (77)
- Nemours (77)
- Melun (77)
- Persan (95) / Beaumont (95)
- Gonesse (95)