Chaque année, souvent faute de place suffisante pour les stocker, des tonnes de décors de films sont jetées. A Montreuil (Seine-Saint-Denis) l'équipe de la Ressourcerie du cinéma veut réutiliser ces matériaux.
Un immense entrepôt de 800 m² accueille des décors de cinéma qui attendent de vivre leur deuxième vie. Des panneaux de bois de toutes les tailles, d'énormes tonneaux de vin, des chaises, des meubles, un ensemble de stèles funéraires qui seront utilisés pour le tournage du quatrième film de "John Wick" à Paris avec l'acteur Keanu Reeves. Tous ces éléments de décors, la Ressourcerie les récupère afin qu'ils soient réutilisés sur d'autres tournages.
Recycler les décors au maximum
Karine d'Orlan de Polignac, issue du milieu du recyclage est avec Jean-Roch Bonnin, accessoiriste dans le cinéma, l'une des fondatrices de la Ressourcerie. "Dans les années 50-60 jusqu’au milieu des années 70, les studios de cinéma stockaient leurs éléments de décor, comme ça existe encore en Italie à Cinecittà", rappelle-t-elle. "À l'époque, on récupérait chaque élément de décor, on travaillait sur une voilette qu'on arrachait à la fin du tournage et qu'on réutilisait".
"Les années suivantes, avec la mondialisation, le bois à construire est devenu très peu cher et les studios, en raison du coût du foncier, ont commencé à manquer de lieux de stockage. Le résultat c'est qu'ils ont mis tous leurs décors à la benne, ça coûtait moins cher de construire puis de jeter". Un non-sens pour Karine d'Orlan de Polignac "alors que l’on est en pénurie de bois, que nos forêts sont en train de mourir et que l'on est menacé par le réchauffement climatique, c’est vraiment une aberration de faire ça".
Pour lutter contre le gaspillage, la Ressourcerie du cinéma créée il y a à peine un an a décidé de se développer sur trois axes. Louer ou vendre les éléments de décor stockés dans l’entrepôt de Montreuil. Proposer du pré-montage : les décorateurs pourront venir se servir du matériel et monter leurs décors dans les locaux de la Ressourcerie. Ou, troisième point, évoqué par Karine d'Orlan de Polignac, "sensibiliser les équipes à construire comme avant. C’est-à-dire que l’on va revenir à l’ancienne, on va leur proposer une grande quantité de feuilles décor (des châssis en panneaux de bois, essentiels sur les tournages sur lesquelles on peut peindre, coller de la texture, fixer des accessoires, ndlr), qui seront préparées, toutes à la même hauteur. Les équipes les loueront pour leur tournage et ensuite les rapporteront pour qu’elles servent à d’autres. Si on arrive à ce résultat, on sauvera des millions de tonnes de déchets", poursuit celle qui cherche une filière de sortie pour tous ces matériaux.
15 tonnes de déchets par film
Léa Alric est venue ce matin dans les entrepôts de l’usine Mozinor de Montreuil où sont installés depuis une semaine les nouveaux locaux de la Ressourcerie de cinéma. Ensemblière (ou décoratrice de cinéma), elle travaille pour la société de production Haut et Court."C'est une boîte de production très engagée qui souhaite intégrer l’économie circulaire dans ses pratiques. Le chef décorateur, Michel Barthélémy, a demandé à tous les chefs de poste, la régie, la mise en scène et la décoration d’avoir une démarche écoresponsable, c’est-à-dire que l’on est responsable de nos déchets", explique-t-elle.
Les déchets de décors des productions représentent en moyenne 15 tonnes par film. "Venir à la Ressourcerie, poursuit-elle, ça s'inscrit totalement dans notre démarche. Ici, on peut louer des éléments de construction mais aussi du mobilier. Aujourd’hui je viens chercher des placards parce qu’on recré les locaux de la police judiciaire de Grenoble pour le tournage du prochain film de Dominik Moll, 'La nuit du 12'. Je récupère aussi des chaises qui iront dans le bureau des inspecteurs".
Vers une utilisation dans le BTP
L’équipe de la Ressourcerie espère beaucoup d’un nouveau partenariat avec un campus universitaire qui étudie la possibilité de mettre aux normes les feuilles décor pour les transformer en cloisons acoustiques ou de bureaux. "On voudrait que les feuilles décor que l’on stocke ici en très grande quantité servent à autre chose qu’au tournage de cinéma. Le projet est qu’elles servent de matériaux de construction et que l’on puisse les revendre dans le BTP et qu'ainsi on arrête de faire du plâtre, des parpaings en béton et qu’on utilise tout ce bois qui est disponible", rappelle Karine d'Orlan de Polignac.
Les pistes pour favoriser le réemploi sont multiples d'après Jean-Roch Bonnin : "En ce moment, on propose une machine pour nettoyer les outils de peinture qui est un procédé qui a fait ses preuves dans le BTP. Le dissolvant de peinture utilisé par cette machine crée très peu de déchets". Il poursuit, enthousiaste : "On est en train de développer plein de secteurs, ce qu'on voudrait à terme, c'est faire une sorte de supermarché du réemploi avec tous les matériaux que l'on récupère".
Depuis son déménagement pour Montreuil, la Ressourcerie a doublé sa surface. Une place investie par l'équipe qui fait feu de tout bois pour favoriser l'économie circulaire : stocker plus de décors et les réemployer mais aussi sensibiliser les professionnels du décor à construire plus écologique.