Un congé menstruel proposé aux agentes de la ville de Saint-Ouen. Une décision qui divise les féministes

2 jours de congés pour les femmes qui souffrent de règles douloureuses ou de problèmes d'endométriose. La mairie de Saint-Ouen propose désormais un congé menstruel pour ses salariées. Une première au sein d'une collectivité territoriale. Une fausse bonne idée pour certaines féministes.

Un congé menstruel de 2 jours instauré à Saint-Ouen et qui sera présenté en conseil municipal le 17 avril prochain, c’est une promesse formulée le mercredi 8 mars dernier par le maire de la ville auprès de ses agentes. A l’occasion de la journée internationale du droit des femmes, Karim Bouamrane (PS) a indiqué vouloir aménager le temps de travail des salariées de la ville qui souffrent de règles douloureuses ou d’endométriose. Une première en France pour une collectivité territoriale. "Sur les 2000 personnes qui travaillent pour la ville, on a 60 % de femmes. C’est en discutant avec ces agentes que je me suis rendu compte que la moitié d’entre elles souffraient en silence. Un sujet mis de côté sinon tabou. Il fallait prendre des décisions fortes pour les soulager", indique Karim Bouamrane.

A Saint-Ouen, le congé menstruel sera mis en place dès ce  lundi 27 mars. Les salariées auront alors la possibilité de poser jusqu’à deux journées de congés, d’aménager leur emploi du temps ou de travailler de chez elles, sans qu’aucune journée de carence ne leur soit décomptée. Pour cela, il suffira d’un certificat médical attestant de la maladie. Un soulagement pour Abi Sylla, agent d’état civil atteinte d’endométriose. "Depuis petite, j’ai des douleurs horribles, catastrophiques qui m’ont parfois empêché d’aller travailler. A l’époque, la maladie n’était pas reconnue. On me disait, ça va passer, prenez du spasfon... Je ne peux pas me permettre de poser des arrêts maladies chaque mois alors je me force à venir travailler mais c’est vrai que c’est douloureux, trop douloureux. Pour moi, cette mesure c’est le top."

Une mesure qui va certainement peser sur le budget de la ville mais que le maire Karim Bouamarane se dit prêt à assumer au nom de l’égalité. "Il faut lutter contre les discriminations et c'en est une. Il n'y a pas à s'excuser d'avoir ses règles, ça ne doit plus être un sujet tabou." L'édile souhaiterait également faire évoluer le cadre législatif qui pour le moment ne permet pas aux collectivités publiques de définir elles-mêmes des congés. "C’est pourquoi j’ai écrit au président de la République ce matin. En attendant, nous pouvons utiliser l’autorisation spéciale d’absence (ASA). Si une ville comme Saint-Ouen peut le faire, les 36 000 autres communes peuvent également s’y mettre, à condition d’avoir un cadre juridique."

Un vœu déposé par les écologistes à Paris

D’autres villes songent effectivement à embrayer le pas de Saint-Ouen. A Paris, le groupe écologiste va déposer un vœu en ce sens la semaine prochaine comme l’a indiqué l’élue Alice Coffin dans une vidéo. "Je le dis en tant qu’élue féministe et écologiste et puis je le dis aussi en tant que femme qui a des règles extrêmement douloureuses comme plus d’une femme sur deux selon les études. Quand on dit des règles extrêmement douloureuses, ça veut dire vraiment à se tordre en deux, à ne pas pouvoir marcher, à hurler de douleur. D’autres femmes, d’autres personnes ont aussi des règles dans leur cas très très hémorragiques. Ça veut dire des flots de sang qui se déversent. Autant vous dire très compliqué, voire impossible d’aller au travail. Alors, comment on fait dans ces cas là ? Il y a certains pays comme le Japon, comme l’Indonésie et comme très récemment l’Espagne qui ont mis en place un congé menstruel et c’est ce qu’on va demander avec les écologistes à Paris." La conseillère entend elle aussi interpeller le gouvernement sur cette question afin de faire évoluer la loi.

Du côté du privé, les congés menstruels sont déjà testés depuis quelques mois dans une poignée d’entreprises. A Paris, la société Critizr qui compte une centaine d'employés, a décidé de les mettre en place au mois de mai. Les salariées peuvent désormais s’absenter du travail un à deux jours par mois par un simple mail envoyé au manager, sans nécessiter d'autorisation ou de certificat médical. "Par ces mesures, nous souhaitons, au-delà de nos obligations légales et conventionnelles, soutenir nos salariées durant les moments difficiles qu’elles peuvent traverser et lors desquels travailler peut s’avérer difficile, si ce n’est impossible", commente Xavier Molinié, DRH de Critizr.

Une mesure qui divise

Vraie bonne idée ? Selon un sondage Ifop réalisé en octobre 2022, 66 % des salariées interrogées se disent favorables au congé menstruel. 64 % des femmes concernées affirment qu’elles pourraient y avoir recours s’il leur était proposé. Pourtant, la mesure fait débat. "L’intention est bonne, mais dans la réalité, est-ce que les femmes vont discuter librement de leurs règles avec leurs employeurs ? Alors même qu’elles sont déjà victimes de discriminations à l'embauche ou à l’avancement professionnel", s’interroge Violaine De Filippis-Abate, porte-parole de l'association "Osez le féminisme". Pour elle, avant de créer un congé menstruel, il faudrait déjà destigmatiser les règles. Et apporter des réponses médicales. "Les renvoyer à la maison ne va pas enlever leurs douleurs. Quels sont les budgets alloués à la recherche sur ces maladies ?" Des questions également soulevées par Delphine Tharaud, maîtresse de conférences à l'Université de Limoges, spécialiste des questions d'égalité et de discriminations. « Dans toute mesure visant à plus d’égalité, il y a des contournements. Lorsqu'on embauche une femme, l'employeur se pose la question de la maternité, du congé maternité, des congés enfants malades, de la flexibilité des horaires de leur salariée. On risque de retrouver ces problématiques dans le congé menstruel qui va revenir régulièrement. Et puis, au-delà de ça, le secret médical est questionné. La salariée va être obligée de dévoiler l’objet du congé, ce qui n’est pas le cas dans un arrêt classique. Cette procédure spécifique va dire beaucoup de l’état de santé de la personne."

Ainsi, au Japon, où ce congé existe depuis 1947, le congé menstruel est ignoré parce que mal vu. Non rémunéré, il n'est plébiscité que par 1 % des salariées. Un chiffre équivalent à celui observé en Corée du sud où ce congé est proposé depuis 1950. En Zambie, depuis 2015, une loi permet aux femmes de prendre un jour de congé supplémentaire par mois en cas de règles douloureuses, mais en réalité, beaucoup d'employeurs sont réticents à l'appliquer et certains refusent même de s'y soumettre. Preuve que pour que la mesure fonctionne, elle doit encore s'accompagner d'une libération de la parole dans la société. 

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