Placée en redressement judiciaire en mars 2023 suite à des problèmes de gestion, l’association "Du côté des femmes", surendettée, est en sursis. Elle a échappé à la liquidation judiciaire en mai dernier mais doit repasser devant le tribunal de commerce début août. Certains salariés sont dépités et les femmes très inquiètes.
"Quand j’ai appris que l’association était en danger, j’en ai pleuré". Sophia (dont le prénom a été changé) sort tout juste la tête de l’eau. Frappée, insultée, humiliée pendant deux ans par son ex-mari, elle est arrivée à l’association "Du côté des femmes" de Cergy "comme une morte-vivante". En deux ans de prise en charge, "ils m’ont reconstruite, comme beaucoup de femmes que j’ai rencontrées pendant mon parcours".
Elle n’imagine pas comment d’autres victimes, détruites par leur conjoint, pourraient se relever seules.
Quand Sophia a frappé, "effondrée", à la porte de l’association "Du côté des femmes" à Cergy-Saint-Christophe en 2021, elle a aussitôt été rassurée : "on va vous trouver une solution, vous n’êtes plus seule". D’abord hébergée six semaines dans un petit hôtel à Meulan (Yvelines), abandonné depuis par la structure pour faire des économies, la trentenaire a pu "recharger un peu ses batteries". Sa référente lui propose alors de se lancer dans "l’aventure de la reconstruction" . Elle emménage dans le "H24", une grande maison du Vexin à l’adresse tenue secrète, qui accueille une quarantaine de femmes et d’enfants en danger, 24 heures sur 24. Mais là aussi, l’établissement devenu trop coûteux, a fermé en avril 2023.
Durant ses 4 mois de séjour dans la structure collective, Sophia a bénéficié d’un accompagnement pluridisciplinaire : psychologue, thérapeute, soutien administratif pour refaire les papiers de la CAF confisqués par son mari, aide juridique pour obtenir le divorce, aide à la recherche d’emploi, ateliers de sport ou de yoga. Sophia est prise en charge à 360°, "toujours avec bienveillance".
Au cours de mes deux années de prise en charge dans l’association "Du côté des femmes", j’ai vu ma métamorphose et celles des autres femmes. Comment vont faire les nouvelles victimes si elles ne sont pas aussi bien accompagnées ?
Sophia, victime de violences conjugales
Au bout de quelques mois, elle "commence à se remettre d’aplomb" et passe à l’étape suivante : s’installer en colocation dans un CHRS "centre d’hébergement et de réinsertion sociale". Une maisonnette puis un appartement dans l’Est du Val-d’Oise qu’elle partage avec une autre victime et ses enfants. Elle recommence à travailler, fait ses courses, les rendez-vous avec la psychologue et la thérapeute s’espacent, mais l’association est toujours très présente. "Mon mari me mettait des bâtons dans les roues pour le divorce. 'Je vais te tuer, tu es morte si je t’attrape !' me disait-il. Le fait de vivre dans un endroit tenu secret, d’être accompagnée par des gens tellement dévoués et protecteurs m’a sauvée. Ils me disaient toujours de ne pas baisser les bras, qu’on allait y arriver et c’est vrai ! Ils m’ont remise sur pied".
Mais plusieurs professionnels qui l’ont aidée sont partis.
Trop de dépenses, pas assez de subventions : 1,2 million d'euros de dettes
Car pendant que Sophia se faisait accompagner, l’association, pilier de la lutte contre les violences conjugales dans le Val-d’Oise, dépensait sans compter. Les chambres d’hôtel à Meulan ou le centre d’hébergement dans le Vexin étaient des services coûteux en personnel mais qui n’étaient pas totalement subventionnés. Le LEAO (Lieu d’écoute, d’accueil et d’orientation) qui accompagne chaque année 1200 femmes non-hébergées par l’association disposait de 8 intervenants sociaux alors que 3 postes seulement étaient financés.
Inévitablement, les déficits se sont creusés, la trésorerie a fondu, les salaires étaient versés en retard. En mars 2023, la dette s’élevait à 1,2 million d’euros. Intenable.
Redressement judiciaire
La structure est donc placée en redressement judiciaire avec comme objectif de faire des économies pour assainir les comptes et prouver que "Du côté des femmes", souvent citée comme modèle en Île-de-France, est viable.
Les mesures prises sont drastiques et rapides : fermeture définitive des centres d’hébergement de Meulan et de Boissy L’Aillerie (40 places d’urgence dans le Vexin), licenciement économique de 15 salariés sur 65. Faute de budget pour rémunérer les intervenants extérieurs, plus aucun psychologue n'accompagne les femmes et la plupart des sorties éducatives (sport, cinéma, ateliers de bien être, etc) ont été supprimées y compris pour les enfants.
En parallèle, tous les partenaires de l’association sont mobilisés, à commencer par la Préfecture du Val-d’Oise. L'État, principal financeur, a versé par anticipation certaines subventions et organise des réunions avec tous les partenaires et financeurs possibles : caisse d’allocations familiales, agence régionale de santé, collectivités territoriales. Les bailleurs sociaux sont sollicités pour retrouver dans des appartements vacants 40 places d’urgence destinés à accueillir femmes et enfants en danger.
La liquidation de "Du côté des femmes" n’est pas une option pour nous. Il est inenvisageable d'abandonner cette association.
Riad Bouhafs, Directeur départemental de l'emploi, du travail et des solidarités à la Préfecture du Val-d'Oise
Mais au sein de l’association, dans les locaux des antennes de Cergy et de Sarcelles, certains salariés sont dépités.
"Nous n’avons plus les moyens de faire notre travail ", expliquent-ils sous couvert d’anonymat car l’administrateur judiciaire leur interdit de parler à la presse. (La direction n’a pas non plus répondu à nos sollicitations).
"Conditions de travail dégradées"
Avant, il y avait 8 intervenants sociaux répartis entre les deux lieus d'écoute, d'accompagnement et d'orientation de Cergy et de Sarcelles. Aujourd’hui, ils sont 3. "Comment voulez-vous faire le même travail ? s’interroge Isabelle (le prénom a été changé). Nous sommes tous épuisés. Notre charge de travail augmente et le service aux victimes se dégrade." Sa collègue ajoute : "Avant, quand une dame avait besoin d’aide, je lui fixais un rendez-vous dans les deux semaines. Maintenant, elles doivent attendre plus d’un mois ! Un mois, c’est long quand on est fragile."
Les assistantes sociales ou les services de police évitent désormais d'orienter les femmes vers l'association. Celle-ci incite aussi les victimes à se faire aider ailleurs, notamment au CIDFF (Centre d’information sur les droits des femmes et des familles qui dispose de nombreuses antennes). "Mais il n'y pas de suivi psychologique sur la durée, l'accompagnement est surtout juridique" explique Isabelle. "Leurs intervenants ne se déplacent pas lors des dépôts de plaintes ou des audiences au tribunal comme nous le faisions pour être au côté des dames dans ces épreuves."
Noémie (le prénom a été changé) s’insurge : "on n’arrête pas d’entendre que la lutte contre les violences conjugales est la grande cause du quinquennat, mais nous, on voit juste nos conditions de travail et d’accueil se dégrader !"
Des salariés de l’association ont envoyé fin juin un courrier à Isabelle Rome, ministre déléguée à l’Egalite entre les femmes et les hommes pour lui demander plus de soutien de l’Etat. Mais cette lettre est restée sans réponse.
Le sort de l’association née en 1984 est désormais entre les mains du Tribunal de commerce de Pontoise. Le 1er août, les juges analyseront les comptes mais aussi les arguments des administrateurs, de la direction et des salariés pour savoir, grâce à ce nouveau point d’étape, si l’association semble capable de poursuivre ses missions.
Dans le Val-d’Oise, mis à part quelques salariés épuisés, personne ne peut imaginer la liquidation de la plus grosse association d’aide aux femmes et enfants victimes de violences conjugales du département. Surtout pas les autres petites associations de bénévoles déjà débordés, qui voient affluer de nouvelles victimes et n'arrivent pas à les prendre en charge faute de soutiens financiers suffisants.