Depuis près de dix ans, la forêt de Chantilly, située dans le Parc Naturel régional Oise-Pays de France est en proie à un phénomène nouveau : le dépérissement de ses arbres, et plus particulièrement de ses chênes. Pour tenter de sauver cette forêt historique, des bénévoles se mobilisent, aux côtés des scientifiques et des forestiers.
Ils ne plient pas, ne rompent pas, mais ils se meurent. Dans la forêt de Chantilly, en plein cœur du parc naturel régional Oise-Pays de France, les arbres connaissent un triste sort. Depuis près de 10 ans, l'Institut de France, le propriétaire du domaine depuis 1897, constate le dépérissement de ses arbres, et plus particulièrement des chênes, l'essence majoritaire sur les 6 300 hectares que compte la forêt. "En 2011 je commençais à voir que les arbres ne réagissaient pas bien. 2014 a été un tournant, c'est là que j'ai pris conscience qu'il se passait quelque chose de véritablement anormal", raconte Daisy Copeaux, la directrice du domaine forestier et immobilier du Château de Chantilly.
En se promenant dans ce poumon vert, à cheval sur le Val-d'Oise et l'Oise, il ne faut en effet pas longtemps avant de constater le phénomène. Sur la cime des arbres, les feuilles ont disparu et laissent nus des branchages asséchés.
C'est pourquoi en 2019, après une estimation chiffrée du nombre d'arbres concernés par ce dépérissement progressif, qui concernerait aujourd'hui environ 40% des chênes, l'Institut de France décide de partager son diagnostic aux autres acteurs concernés. "Quand nous nous sommes rendu compte de la gravité de la situation, nous nous sommes dit qu'il fallait que nous partagions ce constat. Pour cela, il nous fallait des moyens d'action, de concertation et de communication", poursuit Daisy Copeaux.
Le parc naturel régional Oise-Pays de France, les forestiers de l'Office national des forêts (ONF), le Conservatoire botanique national de Bailleul ainsi que des chercheurs de l'INRAE (l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) se lancent ainsi dans un vaste programme de recherches-actions au travers d'un comité exécutif, qu'ils baptisent "Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly". Un travail collectif dont l'originalité tient également à la place donnée à la société civile, grâce à la présence de bénévoles qui font, sur le terrain, un véritable travail de fourmi.
Les petites mains de la forêt
Amoureux de la forêt, Jean-Charles Bocquet est un retraité très impliqué dans la vie associative locale. Longtemps opposé à la gestion de la forêt de Chantilly par l'ONF, il décide en 2019 de travailler de concert avec l'Institut de France et les acteurs d'Ensemble sauvons la forêt de la Chantilly : "Lorsque le constat du dépérissement des chênes a été officialisé, nous avons décidé de nous asseoir à la même table et très vite nous avons fait le constat d'un problème de main-d’œuvre avec un manque de personnels pour s'occuper de la forêt. C'est là qu'on s'est dit qu'il fallait faire appel à des bénévoles".
Jean-Charles Bocquet a ainsi endossé la casquette de coordinateur des bénévoles. Régulièrement, il contacte les 380 volontaires inscrits pour participer à des opérations en forêt, bien qu'une cinquantaine seulement d'entre eux soit actifs. Encadrés par des professionnels, ces hommes et ces femmes participent ainsi à leur échelle à établir une étude complète de la forêt de Chantilly.
Observations, inventaires des arbres et de leur état sanitaire, prélèvements minutieux des sols ou encore plantations de nouvelles essences : les missions de ces "petites mains" sont variées, mais essentielles. "Depuis le début de notre action en 2020, nous avons effectué l'équivalent de 1 650 jours de travail", précise Jean-Charles Bocquet.
Des chênes inaptes à leur milieu historique
Mises bout à bout, ces opérations permettent de comprendre les causes du dépérissement des chênes. Sans surprise, le réchauffement climatique y est pour quelque chose. "La modification du régime des pluies, avec des sécheresses estivales (l'été 2023 échappe à la règle) fait que la sève que produit l'arbre ne parvient pas à monter au sommet de celui-ci, au moment où l'arbre en a le plus besoin", détaille Jean-Charles Bocquet.
L'arbre se met donc en position de survie et s'assèche. À cela s'ajoutent deux autres facteurs : le sol sablonneux de la forêt de Chantilly, qui retient mal l'eau. Ainsi que la présence des hannetons, des insectes qui, à l'état larvaire, restent dans le sol pendant quatre ans et s'attaquent aux petites racines des arbres.
Problème, ces chênes sont en partie utilisés à des fins mercantiles, comme pour la production de fûts. Les laisser dépérir représente donc une perte financière importante. Ainsi, dès que l'une d'eux commence à montrer des signes de mauvaise santé, l'Institut de France décide, au cas par cas, des actions à mener. "Chaque année, nous avons des discussions sur les parcelles. Les gros arbres qui fournissent de la semence sont préservés. Mais si nous constatons que le dépérissement représente un trop gros sacrifice économique, alors nous allons le chercher", précise Daisy Copeaux. Chaque année, la sylviculture rapporte environ 400 000 euros en marge nette au domaine de Chantilly, une somme presque intégralement réinjectée dans l'entretien de la forêt.
Désormais inaptes à leur milieu, chênes, tilleuls et charmes sont progressivement remplacés. Plusieurs parcelles test ont ainsi été créées afin d'expérimenter dans ce "laboratoire à ciel ouvert" les espèces qui seront, demain, résistantes à un climat chaud et sec, sur le modèle climatique actuel de villes comme Toulouse ou Albi.
"Nous faisons de la migration assistée, c’est-à-dire qu'au lieu de laisser les arbres migrer progressivement pour s'adapter au nouveau climat, nous faisons le choix de les implanter artificiellement dès maintenant", précise le coordinateur des bénévoles. Désormais, pins maritimes, sapins du Colorado ou encore frênes du Midi cherchent eux aussi à prendre racine dans cette partie du Parc naturel régional.
Une transformation rapide et violente
Ce dérèglement de l'écosystème oblige l'Institut de France et son gestionnaire, l'ONF, à établir un plan d'aménagement de crise. "Toutes les forêts de l'ONF sont gérées par des plans d'aménagement qui courent sur 20 ans. Mais à Chantilly, au vu de l'accélération du dépérissement des chênes, un plan d'aménagement de crise a été mis en place, ajoute Jean-Charles Bocquet, il est révisé tous les 5 ans".
D'un point de vue biologique, les plantes doivent absorber un choc énorme. Il faudrait 5 000 ans aux espèces pour arriver naturellement au climat que nous aurons dans 60 ans
Daisy Copeaux
Une fenêtre de tir plus courte, qui permet de tester de nouvelles techniques, et de les adapter en fonction des résultats obtenus. Mais face à la rapidité du phénomène, ces cinq années paraissent déjà trop longues : "On bascule dans du 'monitoring continu' (surveillance permanente, ndlr), on ne peut plus attendre. C'est pourquoi nous développons du suivi satellitaire, on essaie aussi de comprendre quel est le cumul de stress qui fait que la santé de l'arbre bascule", argue Daisy Copeaux, qui souligne "la violence du phénomène".
"D'un point de vue biologique, les plantes doivent absorber un choc énorme. Il faudrait 5 000 ans aux espèces pour arriver naturellement au climat que nous aurons dans 60 ans", s'inquiète la directrice du domaine et du château de Chantilly. Un phénomène qui touche de nombreuses forêts, et notamment celles du sud. Le risque pour elles aussi est de voir leurs espèces disparaître. Les implanter à Chantilly permet ainsi de faire de cette forêt "une zone pour des espèces réfugiées climatiques", selon les mots de Daisy Copeaux.
Mais si les chênes se meurent à Chantilly, les espoirs de sauver la forêt, eux, ne retombent pas. "Il faut accepter la réalité, le paysage actuel de la forêt ne sera peut-être plus le même par endroits, constate la directrice. Nous pouvons sauver la forêt, mais peut-être pas en l'état."