10,6 % de personnes âgées de 65 à 74 ans vit sous le seuil de pauvreté en France. Une proportion qui s'accroît en Île-de-France. C'est ce que révèle une enquête réalisée par l'association Petits Frères des Pauvres.
"Je suis encore un peu tracassé parce que mon dossier de retraite tarde à arriver, mais sinon je vis avec 700 euros par mois et un peu d'APL". Alain, 66 ans, réside dans un petit logement social à Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne. Handicapé, il se déplace avec un déambulateur. Alain qui ne travaille plus depuis trois ans, a "fait plein de métiers" : ambulancier, cariste, du travail intérimaire... C'est une assistante sociale qui l'a aidé à instruire son dossier de retraite, une aide ménagère l'accompagne dans ses démarches "à faire sur Internet". Alain bénéficie du soutien de l'association Petits Frères des Pauvres qui lui organise de temps en temps "des sorties".
En France, "2 millions de personnes de 60 ans et plus, vivent sous le seuil de pauvreté (fixé à 1 216 € pour une personne seule)", alerte dans son dernier rapport l'association Petits Frères des Pauvres. "Le taux de pauvreté des personnes âgées est en hausse depuis 2015 pour atteindre aujourd’hui les 11 % et jusqu’à 18 % pour les aînés vivants seuls", souligne l'enquête. Les femmes âgées en situation de précarité sont surreprésentées.
L'Île-de-France particulièrement touchée
Cet état de lieux de la pauvreté est encore plus significatif en Île-de-France. Chez les 60-74 ans, le taux de pauvreté atteint les 16 % en Île-de-France contre 12 % en moyenne nationale. Parmi les départements franciliens, la Seine-Saint-Denis détient le record de pauvreté pour la même tranche d'âge : un peu plus de 23 % de cette population vit sous le seuil de pauvreté.
"La population âgée en Seine-Saint-Denis est une population défavorisée avec des carrières difficiles, des carrières hachées, une proportion de femmes qui a eu des petits jobs dans le domaine en particulier de l'aide à la personne" analyse, Joyce Villemur, présidente Petits Frères des Pauvres Île-de-France.
La spirale de l'isolement
Mais l'enquête publiée par Petits Frères des Pauvres va au-delà de la simple approche monétaire de la pauvreté. Grâce à une douzaine d'entretiens, elle livre également un aperçu sensible de ce que vivent et ressentent ces personnes âgées en état de précarité.
37 % d'entre elles se sentent abandonnées au sein de la société, dit ce rapport. Ce sentiment d’abandon est plus fortement ressenti en milieu rural. Une très grande majorité de cette population âgée témoigne en particulier de privations. Comme : de ne pas aller au restaurant (43 %), de devoir limiter ses déplacements (41 %), de se priver de vacances (41 %) ou encore ne pas pouvoir inviter des amis ou de la famille (26 %).
"Il y a cette notion d'isolement, et nous qui sommes sur le terrain, nous sommes tous les jours confrontés aux liens très forts qui existent entre l'isolement matériel et l'isolement social", constate Joyce Villemur. La dématérialisation des démarches administratives contribue par ailleurs à renforcer ce sentiment d'isolement.
"Une personne âgée sur deux n'est pas à l'aise avec les outils numériques, et on en a un cinquième qui est carrément déconnecté et ça, c'est vraiment assez saisissant", souligne Quentin LLewellyn, directeur-conseil CSA Research, l'institut de sondage situé à Puteaux chargée de l'enquête. "Au final, on a quasiment les trois quarts d'entre eux qui sont en difficulté avec toutes ces démarches administratives", conclut-il.
Grande pauvreté
Repérer, identifier, accompagner les personnes âgées à la rue pour les aider à trouver un toit sont les missions du pôle Accompagnement vers le Logement Petits Frères des Pauvres Île-de-France. Ce service suit à présent 400 personnes en région francilienne, dont "130 qui sont actuellement en mise à l'abri en hôtel". Selon les remontées de terrain des bénévoles, des associations partenaires de Petits Frères des pauvres, les demandes d'aides "explosent".
"Ce ne sont pas que des personnes qui ont une carrière à la rue, ce sont aussi de nouvelles personnes", remarque Arielle Viseux, responsable du pôle Accompagnement vers le Logement Petits Frères des Pauvres Île-de-France. "Il y a les personnes qui ont eu un grand parcours de précarité, des difficultés dans l'enfance, dans leur parcours professionnel, mais aujourd'hui, on identifie toute une partie de la population qui a vécu une vie stable, qui a travaillé et qui à un moment donné se retrouve dans une situation extrême", précise-t-elle.
"Un public qui n'est pas dénombré n'existe pas".
Comment "mettre en lumière", cette catégorie de population en état de pauvreté, voire d'extrême pauvreté, faire émerger ce fait social dans le débat public ? Arielle Viseux souligne l'absence de données actualisées concernant cette catégorie de personnages à la rue. "La dernière enquête de l'État sur les personnes à la rue de manière globale a été réalisé en 2012 (… ) une étude est en cours, mais ses conclusions ne seront livrées qu'en 2026. Résultat : "Un public qui n'est pas dénombré n'existe pas !", déclare-t-elle.
Identifier ces populations démunies, "aller vers elles", c'est le défi récurrent que se donne l'association des Petits Frères des Pauvres. 70 % des personnes âgées interrogées lors de l'enquête déclarent ne demander "pas d'aide pour connaître leurs droits". "Les personnes les plus isolées, même s'ils ne sont pas précaires, sont les plus difficiles à identifier et ne se signalent pas forcément et tout notre enjeu, c'est d'arriver à les connaître pour pouvoir leur proposer un accompagnement", explique Joyce Villemur, présidente Petits Frères des Pauvres Île-de-France.
"Plus d'une personne sur deux ne bénéficie d'aucune aide", souligne le rapport. Comme le relève Quentin LLewellyn, auteur de l'enquête : "il y a cette gêne, cette honte et surtout, ils passent leur temps à justement ne pas apparaître pauvre, et ça, c'est assez frappant. C'est vraiment l'idée de se dire, je ne veux pas apparaître pour un assisté, je ne veux pas apparaître pour un profiteur du système."