La maison de Jean Monnet, aujourd'hui gérée par le Parlement européen, accueille un public varié à Bazoches-sur-Guyonne dans les Yvelines. Elle permet de raconter la vie de cet homme discret et laborieux. Voici le premier épisode d'une série à lire cet été sur les demeures des personnalités et ce qu'elles racontent d'eux.
Dis-moi comment est ta maison, je te dirai qui tu es. Avec ses volets bleu ciel et son toit de chaume, la maison de Jean Monnet, située dans le hameau du Houjarray à Bazoches-sur-Guyonne, a été le témoin et le théâtre de plus de trente ans d’histoire européenne. C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que cet homme, destiné à faire carrière dans le commerce, achète ce pavillon proche de Montfort-l’Amaury pour y vivre.
Devenue un musée en 1988, la maison a été reconstituée quasiment à l’identique, dans le style des années 50. Un moment crucial de sa vie, celui de la concrétisation du projet européen. Ici, chaque meuble, objet ou tableau raconte une histoire. Celle du père de l’Europe.
Le magnolia, comme autrefois
"Ce magnolia à fleurs blanches est un premier indice sur la région d’origine de Jean Monnet", indique Véronique Recher, chargée d’accueil et assistante des collections à la maison Jean Monnet. Un arbre qui, tout comme Jean Monnet, prend racine en Charente. Issu d’une famille de la petite bourgeoisie, Jean Monnet grandit à Cognac et baigne dès le plus jeune âge dans l’entreprise familiale qui produit et commercialise à l’étranger cet alcool éponyme.
"Il commence sa carrière dans le commerce et quitte l’école à 16 ans, sans diplôme. Il ne se dit pas qu’il fera une carrière politique ou qu’il sera l’un des fondateurs de l’Europe. Pour lui, c’est évident qu’il travaillera dans l’entreprise familiale ‘JG Monnet & Cie’", détaille Véronique Recher.
C’est ainsi qu’à 18 ans, il prend la mer, direction Londres. Là, Jean Monnet va découvrir la City et les banques internationales, avant son long périple en Amérique de 1908 à 1916. Un voyage presque initiatique, où ce jeune commerçant découvre l’art de la négociation. "Avant de partir, son père lui donne trois conseils : ‘N'emporte pas de livres, regarde par la fenêtre, parle aux gens et prête attention à celui qui est à côté de toi’", témoigne Véronique Recher. Des conseils qui ont forgé sa personnalité.
La table basse ou les outils de la négociation
Dans son salon cossu, sur la table basse entourée de canapés et fauteuils en velours rouge, se trouvent "les outils de la négociation façon Monnet". Cognac, café et cigares Monte Cristo, "ses préférés". Dans son enfance, à Cognac, les parents de Jean Monnet ont l’habitude de recevoir les acteurs de la vie économique locale. "Très jeune, il comprend qu’en invitant les gens à dîner et qu’en créant des moments plus informels, des relations se nouent, d’autres rapports se créent entre les gens. Jusqu’à son décès en 1979, Jean Monnet va régulièrement recevoir ses conseillers et futurs collaborateurs pour présenter ses projets, négocier, etc. Le moment traditionnel du café, servi avec l’alcool familial, est propice à cela", souligne Véronique Recher.
Des moments intimistes, à l’image de cet homme réservé, œuvrant à l’ombre de l’Histoire. "Il travaillait toujours en équipe, ce n’est pas un grand orateur. C’est un homme pragmatique, dans le concret, toujours porteur de nouvelles idées", poursuit-elle.
Silvia Monnet, dans l’héritage de Claude
Sur les murs du salon, pas de titre honorifique ou de grands portraits, mais des fleurs. Celles peintes par la femme de Jean Monnet, Silvia Monnet, une artiste italienne. "Elle aimait peindre des fleurs, car elle disait que cela lui rappelait tous les jardins du monde qu’avait visité le couple ensemble", explique Véronique Recher, amusée de l’amalgame qui est souvent fait avec Claude Monet, le peintre. "10% de nos visiteurs viennent par erreur pensant venir à Giverny visiter la maison de Claude Monet. Les peintures florales ajoutent parfois à la confusion !"
Plus loin, dans la chambre du couple, une autre toile de l’artiste surplombe le lit conjugal. Il s’agit là d’une peinture humoristique, qui met en scène Jean Monnet en habit de serviteur, dans la tradition du ‘Zanni’, dérivé de Giovanni (Jean en français) dans la Commedia dell’arte. Assis, dans l’expectative, il regarde un petit pot de terre, avec dedans une plante.
"Silvia dessine Jean Monnet en serviteur au service de son plant, car il devient en 1946 le premier commissaire au Plan", dans le cadre du Plan Marshall qui vise à planifier le redressement des pays détruits par la Seconde Guerre mondiale, via des fonds américains.
Le portemanteau
À l’entrée de la maison, dans la salle à manger où il reçoit en 1962 le Président américain Eisenhower, se trouvent deux objets originaux ayant appartenu à Jean Monnet. Son chapeau et sa canne. "Tous les matins, il partait marcher deux heures dans la campagne environnante. C’était le moyen pour lui de réfléchir, et également d’échanger avec les gens, directement sur le terrain. Tout le monde le connaissait avec cette silhouette", raconte l'assistante de collections.
Sur l’un des meubles du salon trône un buste de Marianne. Cette statue, Jean Monnet la découvre pendant la Seconde Guerre mondiale, à Alger, dans une remise. Pendant cette période, il voyage beaucoup mais s’établit principalement à Washington. C’est là qu’il travaille sur un plan qui portera son nom, le plan Monnet, et qui vise à donner à la France le contrôle des régions allemandes où sont produits le charbon et l’acier. Le plan Monnet est adopté par le président de Gaulle en 1946, alors que la France est occupée.
La lampe de mineur
Dans le salon, une petite lampe est apposée sur la bibliothèque. Il s’agit d’une lampe utilisée dans les mines, semblable à celle que Jean Monnet reçoit des mineurs allemands, après une visite qu’il leur rend aux sorties de la Seconde Guerre mondiale. Une lampe qui fait écho à l’un des plus grands projets de Jean Monnet : la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA).
Ancêtre de l’actuelle Union européenne, la CECA naît en 1952. Il s'agit alors d'une union supranationale qui rassemble six nations (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) en créant les bases d’un marché unique du charbon et de l’acier, censé garantir la paix entre la France et l’Allemagne. Mais avant de soumettre l’idée à Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères, Jean Monnet veut s’assurer de l’adhésion des principaux concernés à cette alliance d’un genre nouveau. "Jean Monnet va imposer la présence des syndicats de mineurs au moment de la mise en place de la CECA, ce qui est loin d’être courant à l’époque", détaille Véronique Recher. "Dans sa conception, si les travailleurs ne sont pas convaincus par le projet, il est vain de le mettre en place."
La CECA verra finalement le jour, avec la Déclaration de Schuman, en date du 9 mai 1960. À Bazoches, dans un petit meuble vitré, se trouve la copie de cette déclaration, rédigée par Jean Monnet et ses équipes. La production de charbon et d’acier, nécessaire notamment à l’armement, est placée sous un organe appelé la Haute Autorité, dont Jean Monnet sera le premier Président jusqu’en 1955.
Les téléphones
Au total, la maison de Jean Monnet est équipée de quatre téléphones. Un outil alors essentiel pour le travail. "La prouesse est d’avoir fait venir une ligne internationale jusqu’à Bazoches dès les années 1950. C’est vous dire la ténacité et l’influence de cet homme."
Une prouesse d’autant plus importante qu’en 1955, Jean Monnet quitte la présidence de la Haute Autorité, vend ses parts de l’industrie familiale de cognac et fonde le Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe. Il milite pour un marché commun, la mise en place d’un système monétaire européen ainsi que la réforme de l’Assemblée parlementaire. En 1975, Jean Monnet prend sa retraite à l’âge de 87 ans et meurt en 1979. Il sera inhumé à Bazoches-sur-Guyonne, avant d’entrer au Panthéon en 1988. Sa petite histoire a rencontré la Grande.
Plus d'informations sur le site internet du musée.
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