Convoqué devant le tribunal correctionnel de Nantes, ce vendredi 7 avril, Jean-Marc Perrigot, propriétaire de deux yourtes installées sur un terrain au lieu-dit la Belletière à Nort-sur-Erdre au nord de la Loire-Atlantique vient d'être relaxé. La commune avait demandé le démontage de ces habitats légers.
Il est sorti du tribunal en levant les bras au ciel en signe de victoire, sous les applaudissements de ceux qui l'ont accompagné.
Ce délibéré il l'attendait depuis le 3 février dernier, date du procès. "C'est un grand soulagement après deux ans de combat", souffle Jean-Marc Perrigot. Son sourire en dit long.
Notre projet est désormais perennisé. Les gens installés peuvent dormir tranquilles. Ils avaient une épée de Damoclès au dessus de la tête depuis presque 4 ans
Jean-Marc PerrigotPropriétaire de yourtes
Et l'homme n'est pas rancunier pour deux sous. "Je n'en veux pas à la mairie. Ils ont respecté les règles. Depuis le temps, nous avons rencontré beaucoup d'élus locaux, départementaux et régionaux qui comme nous pensent qu'il faut que les choses changent."
Les primo-accédants aujourd'hui ne peuvent plus trouver de solutions pour se loger correctement. Il y a vraiment des questions à se poser. L'habitat léger peut être une réponse. ce n'est pas aussi confortable qu'une maison en dur mais il faut étudier cette solution là. Le législateur doit prendre cela en compte
Jean-Marc PerrigotPropriétaire de yourtes
"Ce n'était pas gagné d'avance. Il y a des obstacles juridiques. Visiblement le texte sur lequel la poursuite a été engagée n'était pas le bon. La maîtrise de la loi dans ce domaine est extrêmement complexe. Les variables et les exigences ne cessent d'évoluer au fil du temps. C'est peut-être pour cela que nous avons obtenu cette relaxe aujourd'hui. La décision fera jurisprudence", explique maître Stéphane Vallée, avocat du propriétaire.
"6000 m² pour moi tout seul ça n'a pas de sens"
L'histoire commence en 2015. Jean-Marc Perrigot, chorégraphe, vit paisiblement dans sa ferme au lieu-dit la Belletière sur la commune de Nort-sur-Erdre. Il dispose d'un grand terrain constructible. Le propriétaire est alerté sur la difficulté de se loger en périphérie nantaise par Anne, une musicienne qui intervient dans les écoles. Elle a des revenus modestes et cherche un lieu convivial pour vivre près de la nature.
"A l'époque je me suis dit 6000 m² pour moi tout seul ça n'a pas de sens. Alors, j'ai construit une première yourte pour des gens que je connaissais et qui vivaient avec de tout petits salaires."
L'habitat est raccordé à l’eau, à l’électricité et au système autonome de traitement des eaux usées. Une cohabitation enrichissante naît entre les nouveaux voisins : échange de services, récupération de bois de chauffage, jardin partagé. Et pas de loyer...
En 2018, la mairie ordonne le démontage
Trois ans plus tard, en 2018, fort de cette expérience positive, Jean-Marc propose à Cécile et Louis, qui cherchent depuis longtemps et sans résultat un logement près de leur travail, de rejoindre l’aventure du 104 La Belletière.
Le deuxième yourte est en cours d'installation mais la municipalité s'y oppose et demande de stopper les travaux.
En Octobre 2018, Jean-Marc, Anne, Cécile et Louis sont convoqués à la mairie. Ils sont rappelés à l’ordre pour "non-demande de permis de construire". Ils ont une année pour tout démonter. "Que l'on ne puisse pas faire n'importe quoi chez soi, ça je l'entends. Si le voisin montait un immeuble de trois étages sans autorisation, je serais le premier à rouspéter", admet Jean-Marc Perrigot.
Je n'ai rien contre les règles mais depuis 2015., la loi autorise l'habitat léger. Le problème c'est que ces règles sont à la discrétion des maires. Si j'habitais dans la commune voisine dont l'élu est venu ici, je pourrais rester sans aucun problème.
Jean-Marc PerrigotPropriétaire de yourtes
Dans son combat, le propriétaire est accompagné par un collectif qui lance une pétition en ligne.
Depuis mars 2014, la loi ALUR donne la possibilité aux maires d'intégrer dans leurs plans d'urbanisme ces modes d'habitats mais sur le terrain, peu de collectivités les mettent en oeuvre
Collectif 104 la Belletière
"Les modes d'habitats légers répondent à l'urgence écologique et sociale"
"Nous lançons aujourd’hui un appel pour soutenir notre projet d’habitats légers et réversibles et demandons à la mairie de Nort-sur-Erdre de régulariser les yourtes afin que ces familles puissent continuer à vivre dans le cadre qu’elles ont choisi. Au-delà de notre situation locale, nous souhaitons que soit enfin reconnu en France les modes d’habitats légers qui répondent à l’urgence écologique et sociale que nous rencontrons tous" , écrivait le collectif en 2022.
Jean-Marc Perrigot est alors convoqué devant le tribunal correctionnel de Nantes pour avoir installé ses deux yourtes sans permis de construire. Le procès se tient le 3 février 2023, le jugement est renvoyé en délibéré. Ce vendredi 7 avril la jusitice vient de le relaxer.
Louis Soumagnac a vécu toute la procédure. Ce technicien du bâtiment, ancien accordeur de 37 ans, vit dans une yourte depuis 4 ans. "Le projet c'était de trouver un logement. On ne trouvait rien qui correspondait à notre budget. J'avais tous les à prioris que l'on pouvait avoir sur ce style d'habitat. J'ai d'abord refusé lorsque Jean-Marc m'a proposé de vivre dans une tente", confie le père de famille.
Par la force des choses, parce que l'on ne trouvait aucune autre solution, j'ai proposé à ma femme de partir, de tout vendre, d'acheter un bus. Et là elle m'a dit si c'est ça, rappelle Jean-Marc ! Et dis lui oui pour la yourte !
Louis SoumagnacHabitant d'une yourte
Il a fallu un petit temps d'adaptation reconnait Louis, "notamment pour les bruit extérieurs. Ça fait toujours bizarre au début d'entendre en même temps le bruit des oiseaux et des voitures qui passent. "
Vivre en rond ça change tout ! Le puits de lumière aussi, voir la lune la nuit
Louis SoumagnacHabitant d'une yourte
"C'est une cabane de luxe, très cocon", s'enthousiasme aujourd'hui Louis. La décision du tribunal bien sûr le soulage, c'est la fin d'une longue attente mais les 50m² aménagés à "sa sauce" et "son jardin défriché" ne sont plus menacés désormais. "Nous avons vécu les deux grossesses et les deux naissances de nos enfants avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête. C'est moyennement plaisant mais c'était important de rester par rapport à nos engagements professionnels respectifs. Moi je prenais beaucoup le train pour aller à Paris."
Anne, la première résidente, a continué son chemin ailleurs, elle a été remplacée aussitôt par un couple qui s'est installé dans une des yourtes, en toute connaissance de cause. Guillaume a 35 ans. Il est travailleur social dans la réinsertion. Il vit là depuis plus d'un an avec sa compagne Claire-Hélène.
"Nous vivions en appartement en ville à Nantes. Nous voulions nous rapprocher de la campagne pour fonder une famille, trouver une petite maison avec un petit jardin. Nous avions un secteur assez restreint. c'était très compliqué. Il y avait très d'annonces et surtout c'était très cher."
Je me souviens un jour, une annonce publiée à 8h30, j'appelle à 9h. L'agence avait déjà reçu plus de 60 appels. Et le confinement, la crise sanitaire, les confinements ont encore aggravé le truc
GuillaumeHabitant d'une yourte
Avec deux salaires légèrement au dessus du Smic, ils ne trouvent rien et perdent espoir.
Jusqu'au jour où Guillaume croise Jean-Marc Perrigot. "Je suis passé prendre le café, j'ai visité les yourtes. J'ai trouvé ça super. Quelques mois plus tard, il m'a rappelé pour me proposer de venir. Ce n'est pas ce que l'on cherchait à la base mais ça cochait énormément de cases. Et puis on galérait tellement. Moi j'avais des copains qui vivaient déjà en yourte. Claire Hélène, elle, ne connaissait pas. Elle m'a posé des questions sur la surface habitable, le côté collectif lui parlait un peu moins", explique Guillaume.
La proximité avec le travail, le fait de ne payer de loyer, la campagne, l'esprit collectif, la mutualisation, c'est presque un aboutissement pour moi. On vit en société alors pourquoi s'isoler alors qu'il y a tant de choses à partager
GuillaumeHabitant d'une yourte
"Mais il y a des règles, nous gardons chacun notre intimité. Vivre en yourte, c'est génial. Nous l'envisageons encore pour la suite. Vu la flambée des prix, la pression sur l'immobilier, nous allons continuer ici parce que c'est hyper confortable, c'est écologique et éthique", conclut Guillaume.
Contactée, la mairie de Nort-sur-Erdre n'a pas souhaité s'exprimer. Le parquet a dix jours pour faire appel.