C'est un phénomène qui prend de l'ampleur avec les nouveaux modes de consommation. Et la demande de boissons alternatives aux sodas quand on ne veut pas prendre d'alcool. Le vin désalcoolisé. La première cave spécialisée 100% sans-alcool vient d'ouvrir à Nantes
La "Cave Parallèle" est située au pied de la Grue jaune à Nantes depuis le mois de mai 2023.
Son propriétaire Jérôme Cuny propose plusieurs centaines de références de vins mais aussi de bières et de spiritueux sans alcool.
"A la boutique j’ai plus de 400 références" détaille Jérôme Cuny.
"Il y a du vin, de la bière, des spiritueux comme du whisky, du rhum, du Martini ou du Spritz et j’ai à peu près 130 softs alternatifs".
Un caviste lui-même abstinent
"La première motivation, c’est que moi-même, je ne bois plus d’alcool depuis cinq ans" explique le caviste nantais.
"Je me suis rendu compte que l’offre était en train d’exploser ces dernières années et qu’autour de moi la demande était en train de croître" raconte Jérôme Cuny.
J’en ai eu marre de me retrouver un peu ostracisé, mis à l’écart, parce que je ne buvais pas d’alcool. On me disait "je ne trinque pas à l’eau" ou "Pourquoi tu ne prends pas d’alcool ?". Comme s’il fallait encore en 2023 avoir un motif réel et sérieux de ne pas boire d’alcool. Il faut avoir un cancer, une grave maladie ou être enceinte sinon il n’y a pas de raison acceptable en société.
Jérôme Cunycaviste "la Cave Parallèle"
Des clients qui recherchent le sans alcool mais avec convivialité
Parmi les clients croisés en cette fin de matinée du mois d'août un jeune couple se prête au jeu de la dégustation, comme dans une cave traditionnelle.
Yasmina explique : "Ce n’est pas la première fois qu’on prend du sans-alcool. Mais jusqu’à présent on a toujours été déçu par le vin. On a des amis qui habitent juste à côté et ils ont conseillé cette cave donc on vient voir."
Moi à la base je ne bois pas d’alcool du tout. En revanche on a pas mal d’amis qui boivent de l’alcool. Donc c’est bien de pouvoir profiter du moment avec eux ou en famille. En plus comme je ne suis pas trop sucré, ça me permet aussi de ne pas forcément prendre que des boissons pour enfants comme du thé glacé ou du coca.
Yasminaune cliente de la Cave
Un vin sans alcool mais avec du goût
Question faussement naïve : est-ce que le vin sans alcool c’est un vin sans goût ?
Réponse de son ami Julien, un connaisseur de vin traditionnel, fils d'agriculteur et dont l’oncle est producteur de muscadet justement à Château-Thébaud en Loire-Atlanttique.
"C’est différent, mais c’est bon." jauge Julien.
Il ne faut pas attendre un vin qu’on a l’habitude de goûter. Quand on est amateur de vin, il ne faut pas s’attendre à activer une banque de données de ce qu’on connaît déjà c’est le plus dur en fait. Faire abstraction de ce qu’on connaît
Julienun client de la Cave
Le vin ce n’est pas que l’alcool c’est aussi le contexte
C’est pour cela que Julien vient dans cette cave.
"On vient ici pour offrir des bouteilles à des amis qui ne boiraient pas d’alcool pour partager un moment avec eux" raconte le jeune passionné de vin.
"Moi je trouve que c’est le contexte qu’on a avec l’alcool et qu’on n’arrive pas à retrouver avec les boissons non alcoolisées " conclut-il.
Le vin est désalcoolisé
On dit vin sans alcool mais on devrait dire vin désalcoolisé car, selon Jérôme Cuny :
"J’ai choisi dans cette cave de proposer du vin désalcoolisé selon la terminologie officielle depuis le 1er janvier 2023." détaille-t-il.
"On parle de vin désalcoolisé à partir du moment où on est bien parti d’un vrai vin. Et qu’on a retiré l’alcool jusqu’à obtenir un pourcentage d’alcool entre zéro et 0,5 %" rajoute le caviste.
Il y a deux manières de procéder, soit de filtrer l’éthanol (le principe actif de l'alcool) soit de le laisser s’évaporer.
"La première manière c’est la même chose que pour dessaliniser l’eau de mer. Cela s’appelle l’osmose inversée. On va faire passer le vent sur des membranes et par des différentiels de pression. On va retirer l’alcool"
"Pour la deuxième manière, on va mettre la boisson que l’on désire désalcooliser sous vide. Et ce faisant on va abaisser le point d’évaporation de l’éthanol et donc en chauffant on va pouvoir faire évaporer l’éthanol".
Le premier muscadet sans alcool
Dans sa cave Jérôme propose depuis quelques jours un vin désalcoolisé qui attire l'œil et les papilles des clients.
Le premier muscadet sans alcool.
"Il y avait déjà un vin pétillant (muscadet désalcoolisé avec bulles) issu d'un producteur de La Haie-Fouassière en Loire Atlantique mais c’est le premier melon de Bourgogne désalcoolisé" précise Jérôme car on perd les appellations quand on désalcoolise.
"C’est très important le côté local" insiste Jérôme "j'ai beaucoup de demandes pour des produits made in Nantes car les gens viennent ici pour ramener un produit nantais".
"J'ai reçu 24 bouteilles la semaine dernière et il m'en reste dix donc c'est un franc succès" confit le professionnel.
Le domaine de la Grenaudière est situé à Maisdon sur Sèvre dans le vignoble nantais.
Mathilde Ollivier et Stéphane Cottenceau, les vignerons du domaine, produisent 5000 bouteilles d'une cuvée appelée "Phénomène".
Une petite production pour ce domaine qui commercialise 250 000 bouteilles par an.
Un vrai travail de vigneron
Question posée à Mathilde Ollivier : n'a-t-elle pas l'impression d'avoir travaillé pour rien?
Car le vin est produit de manière traditionnelle, avec alcool et ensuite il est désalcoolisé.
Sa réponse fuse : "Non"
"C’est tout l’intérêt au contraire du vin, sans alcool, par rapport au jus de raisin. C’est-à-dire que notre métier de vigneron a tout son sens puisqu’on élabore un vrai muscadet."
"Ensuite on va lui appliquer un processus de desalcoolisation qui pour l’instant est réalisé par un intermédiaire en Allemagne qui s’appelle Zenotheque"
"Notre travail garde tout son sens. Davantage que sur un jus de raisin par exemple où il n’y aurait pas l’étape de la fermentation ni de la vinification. Là on a respecté tous les critères du cahier des charges de l’appellation muscadet".
Ça ne remplacera pas bien sur les vins classiques tels qu’on les connaît. Mais ça permet d’élargir un peu les horizons, de s’adapter à des nouveaux modes de consommation. Et puis aussi de séduire un public jeune qui délaisse un peu le vin. Parce qu’il a un peu plus conscience des problématiques de santé que la génération précédente.
Mathilde Ollivier
Un vin deux fois plus cher
La méthode qui est utilisée pour son vin, c’est celle de la distillation sous vide, à moins 1 bar de pression.
L’alcool s’évapore autour de 25° de température.
Ce vin sans alcool est quasiment vendu deux fois plus cher.
Un muscadet Sèvre et Maine sur Lie est vendu au domaine à 5 euros 90.
Aujourd’hui cette cuvée "Phénomène" desalcoolisée est vendue à 11 € la bouteille.
Un goût différent
"On retire quand même une partie du goût puisque l’alcool c’est à la fois un support aromatique et de saveur" avoue la vigneronne de Château-Thébaud.
"L’intérêt de travailler avec ce prestataire allemand c’est qu’on va pouvoir récupérer les fractions aromatiques marqueur du vin et pouvoir ensuite le réincorporer au vin" souligne-t-elle.
"En termes d’arôme, on est satisfait puisque ça ressemble vraiment au muscadet tel qu’on le connaît." souligne Mathilde Ollivier, "par contre le fait d’avoir enlevé l’alcool, la perception en bouche est quand même différente".
"On vient compenser par un ajout de sucre pour avoir quelque chose qui donne du volume en bouche." conclut la viticultrice nantaise.
Des clients qui viennent aussi goûter au plaisir qui leur est interdit
Avant de saluer Jérôme et prendre congé de lui, un client plus âgé rentre dans sa boutique.
Lionel avoue la soixantaine.
Et sa motivation est tout simplement sa santé.
"Je me suis mis au sans alcool parce que j’ai eu une hépatite et là je suis en face de guérison" confie-t-il.
Je trouve que c’est une très bonne alternative, parce qu’effectivement on n'a pas les effets secondaires de l’alcool. On a le goût. On peut participer à une fête aussi. C’est aussi pour ça que je suis venu acheter du rhum sans alcool parce que j’adore le rhum, et je ne peux pas en prendre autrement en ce moment.
Lionelclient de la Cave
Le vin sans alcool est-il à consommer sans modération?
Du côté de Jérome Cuny la réponse est clairement non.
Le caviste explique d'abord être conscient des enjeux de santé publique du vin sans alcool.
Il affirme d'ailleurs être en contact avec des médecins addictologues qui réfléchissent à inclure le vin désalcoolisé dans un traitement de sevrage à l'alcool.
Pour sa part il a décidé d'interdire la vente de ses boissons désalcoolisées aux mineurs non accompagnés de leurs parents.