"Les stigmatisations sont inacceptables, car elles brisent des vies", la peur du sida persiste, 11 % des Français pensent toujours qu'il faut isoler les malades du VIH

L'association Aides a 40 ans. L'occasion de dévoiler une enquête menée avec l'IFOP sur la sérophobie en France et les représentations du VIH. Quatre décennies après la découverte de la maladie, les préjugés persistent.

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On peine à croire certains chiffres et pourtant, 16 % des Français seraient mal à l’aise à l’idée de côtoyer une personne vivant avec le VIH, seulement 46 % des Français continueraient à voir une personne avec laquelle ils ont des relations sexuelles s'ils apprenaient qu’elle était séropositive.

En 2024, 11 % pensent toujours qu’il faut, pour s’en protéger, isoler les malades du sida (contre 24 % en 1988). Enfin, 8 % des sondés estiment qu’il faut isoler les personnes séropositives.

Ces chiffres sont plus élevés chez les moins de 35 ans, qui sont 17 % à souhaiter isoler les malades du sida, et 15 % à souhaiter isoler les personnes vivant avec le VIH.

"Les discriminations persistent"

"Le sentiment qui m’habite aujourd’hui est la colère. Plus de 40 ans après la découverte du VIH, l’épidémie persiste et les discriminations envers les personnes séropositives demeurent, comme nous le confirment les résultats de l’enquête", déplore Camille Spire, présidente d'Aides.

Selon l'enquête de l'IFOP, les personnes séropositives restent perçues comme une source d’un certain malaise.

Dans la société, 14 % des Français indiquent être mal à l’aise à l’idée de fréquenter le même cabinet médical qu’une personne séropositive, 16 % à l’idée d’avoir un collègue séropositif, ou de côtoyer des personnes séropositives, et près d’un quart (21 %) seraient gênés à l’idée qu'un enseignant de leur enfant soit séropositif.

Les Français ont tout de même conscience, à 78 %, que les personnes séropositives sont victimes de discriminations.

"Le rejet prend racine dans l'ignorance"

La sérophobie est donc toujours là. "Le rejet injustifié des personnes séropositives, qui prend racine dans l’ignorance des Français concernant le VIH/sida, a des conséquences graves, individuelles et collectives. Les stigmatisations sont inacceptables, car elles brisent des vies", assure Camille Spire.

Nous savons aujourd’hui qu’une personne séropositive sous traitement et qui a une charge virale indétectable, ne transmet pas le virus à ses partenaires, même lors d’un rapport sexuel non protégé par un préservatif ! 

Camille Spire

Présidente d'AIDES

"La peur de se découvrir séropositif, alimentée par la sérophobie, représente un frein important au dépistage, déplore Camille Spire. Pourtant, cet outil de prévention permet une mise sous traitement efficace, empêchant d’atteindre le stade sida et de transmettre le virus."

Les améliorations qui ont été apportées par les nouveaux traitements contre le virus du sida ne sont pas précisément connues. Ainsi, 77 % des Français pensent que l’on peut être contaminé par le virus du sida lors d’un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive sous traitement.

Ces traitements permettent également d’assurer aux personnes séropositives une espérance de vie équivalente à celle des personnes séronégatives. Seulement 75 % des Français le savent. 

"Les Français manquent encore cruellement de connaissances sur le VIH/sida et sur la vie
avec le virus. Grâce à l’efficacité des traitements, une personne dépistée et prise en charge
peut aujourd’hui se projeter dans l’avenir, car elle a une espérance de vie similaire à une
personne séronégative. Le Tasp (Treatment as prevention) a changé la vie des personnes
séropositives", rappelle Camille Spire.

Phillipe Rossignol est à peine surpris du résultat de l'étude. Ce militant à AIDES Laval a appris sa séropositivité en 2002.

Rétrospectivement, j'ai pensé que j'avais été contaminé en novembre 2001 parce que c'est la seule fois où je ne me suis pas protégé, la fois de trop, pas de bol !

Philippe Rossignol

Séropositif et miltant d'AIDES Laval

"J'étais dans le déni"

Le Lavallois reste bloqué dans son déni. Pendant plusieurs années, il met la maladie sous le tapis. À tel point qu'il ne commence son traitement de bithérapie qu'en 2011. "Je suis sous protocole d'injection en intramusculaire profonde une fois tous les deux mois. C'est plus confortable que les pilules tous les jours", confie-t-il.

Sa séropositivité, il l'a longtemps gardé pour lui comme son ennemie intime. Aujourd'hui, il l'assume. "À partir du moment où j'ai été sous traitement et que je suis devenu indétectable, donc intransmissible, c'est-à-dire qu'il n'y a plus assez de virus dans mon corps pour qu'on puisse le détecter, ça a changé la donne. Dans ces conditions-là, il n'y a pas de transmission possible. C'est étayé par plusieurs recherches scientifiques."

Mais il fait toujours face au rejet. 

"Je suis récemment allé sur un site de rencontre, je discute avec un homme. On discute, le gars est intéressé, donc je lui explique que je suis séropositif, mais précise que je suis intransmissible. Et la réponse a été "bonne soirée !".

Le pire que j'aie entendu, c'est « t'es clean ? ». Ça, je ne supporte pas. Comme si le VIH, c'était une maladie sale.

Philippe Rossignol

Séropositif et militant d'AIDES Laval

Pour le militant, le VIH balaye tout l'éventail des peurs.

"Une grande partie de la population est très mal informée"

"Il y a une partie des gens qui se disent de toute façon maintenant, il y a des médicaments, ça se soigne, ce n'est pas grave. Donc, ils prennent des risques inconsidérés. Et puis il y a encore une grande partie de la population qui est très mal informée et pour qui l'image d'une personne séropositive, c'est encore celle de Tom Hanks dans Philadelphia."

Quand on est indétectable, on est intransmissible. Et ça, c'est un message qu'il faut vraiment porter fort publiquement parce que c'est encore trop méconnu

Philippe Rossignol

Séropostif, militant d'AIDES Laval

Le résultat de l'enquête effare Karell Isoardo, militante au sein d'aides Nantes. Elle a commencé à militer en 2006. Dix ans auparavant, un de ses amis est infecté par le VIH.

"Il vivait dans un petit village breton en nord Finistère. La discrimination, il en a été victime très vite, par de nombreuses personnes qui pourtant le connaissaient. À l'époque, c'était vraiment très dur pour lui, tellement que par ricochet, je me sentais moi-même discriminée", se souvient Karell.

"J'ai continué à faire des actions de réduction des risques, de santé sexuelle ou auprès de consommateurs de produits, notamment des personnes migrantes, usagères de drogue, travailleurs du sexe".

Ce qui m'intéresse, c'est l'éthique d' AIDES, les valeurs, ne pas se travestir, être soi, avoir la liberté d'être en désaccord avec les pouvoirs publics et surtout défendre les plus exposés et les minorités

Karell Isoardo

Volontaire associatin AIDES Nantes

Son travail se marie parfaitement avec son engagement bénévole au sein de l'association. La quinquagénaire est responsable du déploiement de l'unité mobile "le Marsouin", un ancien camion de la médecine du travail qui propose des dépistages de tous les types, auditifs, optiques, visuels, gynécoloqiques, addicto.

Des examens gratuits pour les habitants d'un territoire. Le premier a été créé en 2017 à Saint-Nazaire. Depuis, quatre autres ont vu le jour en Loire-Atlantique et en Bretagne.

"Je suis convaincue de l'efficacité et de la nécessité de la prévention. Avec les déserts médicaux aujourd'hui, nous n'avons pas d'autre choix que de regarder notre santé autrement. Il faut être dans le pouvoir d'agir. Il faut aussi multiplier les dépistages pour éviter d'aller aux soins d'urgence, parce que des spécialistes, il y en aura de moins en moins dans les années à venir", explique Karell. 

"Un être tout entier"

Dans son travail, elle évoque souvent parler du VIH, notamment des discriminations liées à l'embauche. Elle fait aussi faire passer les messages forts de l'association "sur l'accès aux soins et sur le fait qu'on n'est pas qu'un être VIH, mais qu'on est un être tout entier".

Pour cette militante, les chiffres dévoilés par l'enquête IFOP sont "catastrophiques". "Et avec le nouveau gouvernement, on ne sera pas épaulé, je crains que l'engagement financier ne soit pas à la hauteur", ajoute-t-elle.

La discrimination, elle en est témoin au quotidien.

Souvent, les gens disent, un cancer, ben oui, mais le pauvre, il n'y était pour rien, le VIH, il l'a choisi, c'est sa faute. Donc ouais, il y a encore beaucoup de boulot à faire !

Karell Isoardo

Volontaire association AIDES Nantes

Le jugement pour elle vient de l'incompréhension et de la méconnaissance. 

Les résultats de l'étude IFOP/Aides soulignent à quel point, malgré les progrès en matière de prévention et de traitement, la sensibilisation reste essentielle, même après 40 ans. Karell Isoardo en sait quelque chose. "Mon ami va mieux. Dans son village du Finistère, les regards sur lui sont beaucoup moins violents. Lui aussi a avancé, grâce au psy, il a compris que l'essentiel, c'est d'être vivant. Il n'est pas mort et aujourd'hui, oui, il va bien !"

Philippe, lui, se dit qu'en France, il reste beaucoup à faire, même si c'est pire ailleurs. "J'ai un ami Congolais malade. Là-bas, le traitement existe, mais il n'est pas gratuit. Les personnes séropositives préfèrent ne pas aller se faire soigner, parce qu'ils savent que s'ils vont à tel étage de tel hôpital, ils seront identifiés comme malades. D'ailleurs, mon ami a fui son pays, parce que son compagnon était décédé du sida, les membres de sa famille l'avaient menacé et traité de sorcier. Ils pensaient qu'il avait jeté un sort à son compagnon pour le tuer".

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