Coups de matraque, grenades lancées sur des manifestants bloqués dans une impasse. Selon de nombreux témoignages concordants, la manifestation nantaise des gilets jaunes du samedi 06 avril s'est achevée par des violences policières.

"En quelques minutes, nous avons eu beaucoup de personnes blessées, par des coups de matraque aux poignets, dans les bras, dans les jambes, des éclats de grenade de désencerclement...." Encore très émue, Val, une street medic nantaise, raconte sa fin de manifestation.

Il est un peu plus de 15 heures quand une partie du cortège des gilets jaunes se retrouve poussée dans un quartier résidentiel, proche du lycée Livet. Sous la pression des gaz lacrymogènes, les manifestants sont alors séparés en deux groupes, dont le premier se retrouve coincé dans l'impasse Saint Charles, et le second, sur l'avenue Botrel, une voie également sans issue.

Le premier groupe restera bloqué pendant un peu plus d'une heure, avant de sortir au compte goutte avec fouille et contrôle d'identité. " C'était un peu angoissant au début, quand il y avait encore les lacrymogènes dans l'air, et qu'on a réalisé qu'on était coincés. Mais dès que les gaz se sont dissipés, on s'est dit, c'est bon, c'est fini", raconte Fleur, une street medic qui se trouvait impasse Saint-Charles.



La préfecture dément avoir nassé la foule


Les manifestants évoquent une nasse, pratique qui consiste à encercler et immobiliser les foules, et que dément la préfecture dans un mail de réponse aux questions que nous lui avons adressée : "les manifestants n'ont pas été "nassés" par les forces de l'ordre dans des impasses. Ce sont les manifestants eux-mêmes qui ont investi ces impasses et qui, depuis celles-ci, ont continué à jeter des projectiles sur les forces de l'ordre."


Lacrymogènes et coups de matraque dans une impasse, avenue Botrel

©Raphaël GJ


C'est de la seconde impasse, l'avenue Botrel où une centaine de personnes sont encerclées par les forces de l'ordre, qu'arrivent les témoignages de violences.  "Les policiers de la BAC nous ont poussés vers le fond de l'impasse, et il y a eu un mouvement de foule. Les manifestants qui étaient devant moi ont cherché à forcer le passage. Et là, un des agents nous a jeté une grenade lacrymogène", témoigne Léo, l'un des manifestants. Un récit confirmé par celui d'Emily Morris, une autre manifestante, qui évoque un autre lancer de grenade dans le courrier qu'elle adresse ce lundi à la mairie de Nantes  : "Nous nous retrouvons coursés par des membres de la BAC hargneux qui nous lancent une grenade de dispersion ! Dans une impasse ! Je serai touchée, sans gravité, au torse… à quelques centimètres de mes yeux.

Le courrier adressé par une manifestante à Johanna Rolland


"Peur pour mon intégrité physique"


Plusieurs personnes décrivent une foule ayant alors déposé masques et équipements de protection, prohibés. Plusieurs vidéos et témoignages attestent de nombreux coups de matraque, assénés par des agents de la BAC. "Ils n'avaient pas de matricule visible, et ils sont arrivés à plusieurs dans la nasse, en matraquant un peu tout le monde. J'ai l'impression qu'ils essayaient de récupérer la banderole des blacks blocks", explique Jérôme, l'un des manifestants. "C'était déjà inquiétant d'être piégés, mais quand les policiers de la BAC ont avancé dans la nasse, je suis partie en crise d'angoisse. J'avais peur pour mon intégrité physique" raconte Val, street medic.
 
Les coups de matraque ont été recensés par le journaliste indépendant David Dufresne, qui depuis le début des manifestations de gilets jaunes, recense les cas de violence policière pour les signaler au ministère de l'Intérieur.


Un usage défensif, selon la préfecture


De son côté, la préfecture défend un usage légitime de la force : "Lors de cette manifestation, comme lors des précédentes, les policiers et les gendarmes ont fait un usage strictement nécessaire et proportionné de la force, en particulier pour mettre fin aux violentes agressions dont elles faisaient l'objet de la part des manifestants, dont plusieurs étaient masqués et cagoulés (jets de peinture, de pavés, de bouteilles de verre, de boulons, d'artifices qui ont fait d'ailleurs un blessé parmi les forces de l'ordre). 23 interpellations ont été réalisées lors de cette manifestation. La liberté de manifester ne saurait être dévoyée pour commettre des violences et celles-ci doivent être condamnées sans réserve."


Sur les réseaux sociaux, un photographe indépendant a publié une vidéo montrant son propre matraquage, qui se soldera pour lui, par le bris d'un objectif d'appareil photo.
 

Pour les manifestants nassés avenue Botrel, le blocage a duré près de deux heures, avant d'être, comme ceux de l'impasse Saint-Charles, relâchés au compte goutte, après une fouille au corps, photo de leurs visages et de leurs pièces d'identité. "J'ai mis un peu plus de temps à sortir, car j'étais avec une dame, cardiaque, qui avait peur de s'en aller, et de se retrouver à nouveau face aux policiers de la BAC. Au début de la nasse, les street medics avaient fait un cordon pour tenter de la faire sortir, et arrivée à l'entrée de l'impasse, elle s'est fait matraquer" témoigne Ma Line, qui dit ressentir aujourd'hui "une profonde colère. Je n'ai rien contre les forces de l'ordre. Mais ceux qui étaient en face de moi, je leur en voudrai toujours."

Comme de nombreux gilets jaunes contactés suite à la manifestation nantaise du samedi 06 janvier, cette dernière se dit aussi choquée par l'envoi répété de grenades lacrymogènes sur le cortège. Cortège qui se déplaçait alors à quelques mètres de la fête foraine, qui s'est retrouvée sous un nuage de gaz, alors que de nombreux enfants et des familles se trouvaient sur les manèges.

 

Une personne a déjà porté plainte, d'autres réfléchissent au dépôt d'une plainte collective pour violence policière.
 
Un épisode qui rappelle celui du samedi 05 janvier dernier à Nantes
"En voyant les vidéos de ce week-end, j'ai revu la scène que j'ai vécue le 05 janvier dernier. " Suite à notre appel à témoin, Julia Herbeteau nous a contacté sur les réseaux sociaux, pour revenir sur cet épisode qui l'a traumatisée durablement.
 En fin de manifestation, les grenades pleuvent, et pour se protéger, la jeune femme se réfugie, avec d'autres gilets jaunes, à l'intérieur d'un restaurant sur le cours des 50 otages.  "Les gaz continuaient à entrer dans le restaurant. Je hurlais, c'est bon, on s'en va, et je ne comprenais pas pourquoi ça ne s'arrêtait pas".

">La vidéo du restaurant sous les lacrymogènes

Pour quitter l'atomsphère suffocante, la quarantaine de manifestants finit par se réfugier dans l'arrière-cour, c'est là que les policiers de la compagnie départementale d'intervention les débusquera. "J'ai reçu trois coups de matraque avant même de recevoir l'ordre de m'allonger par terre, puis un autre car je tardais à m'allonger" explique Julia.
Avec 3 autres personnes, elle a déposé plainte pour coups et blessures, et effectué un signalement auprès de l'IGPN.

Outre les nombreux hématomes, elle souffre surtout de séquelles psychologiques.
"Je suis une femme, j'ai les mains en l'air, je me dis que je ne cours aucun danger. Maintenant, j'ai cette angoisse du flic. Je me dis que j'ai beau être pacifique, je peux me faire agresser."

Après cet épisode, Julia n'a pas été manifester pendant des mois. Celle du samedi 06 avril était sa première depuis le 05 janvier " mais je suis partie assez vite. J'ai des crises d'angoisse à la moindre détonation."

Une fouille à caractère sexuel

Suite au témoignage de Julia, une des autres personnes présente ce jour-là dans la cour du restaurant nous a contacté. Cette femme dit avoir été mis à l'écart par un policier, pour subir, à l'abri des regards, une fouille qu'elle décrit comme ayant un caractère sexuel : "Ensuite, il me dit « Mets tes mains sur le mur » et me fouille, en insistant sur mes jambes, mes cuisses, l’intérieur de mes cuisses et mes fesses. J’ai senti dans sa manière de me toucher qu’il ne cherchait pas à voir ce que j’avais dans les poches mais plutôt à profiter d’une fouille pour faire des attouchements à une femme."

Souhaitant rester anonyme, cette personne dit continuer à manifester, malgré un important stress post-traumatique, et malgré le fait qu'elle y croise régulièrement le policier en question.   "J’ai été plusieurs fois mise en joue au LBD par la CDI en manif, et montrée du doigt", nous écrit-elle.
Comme Julia, elle aussi a porté plainte.
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