Hugues Trichard aurait pu mourir en héros pour la France à Sarajevo ou en Centrafrique ou finir SDF ruiné après son divorce. Il a choisi de se soigner à l'humanisme. Portrait de ce restaurateur atypique qui passe sa vie à aider les autres.
13 heures au L'Uccello, un restaurant qui vient d'ouvrir au 41, Rue Bougainville à Nantes. En cuisine, Ludo s'active pour servir les 70 couverts. Après 15 années passées à Rungis comme grossiste en salade, il est venu se reconvertir à Nantes dans la cuisine.
Il avait bien trouvé des écoles pour le former en alternance mais pas un seul employeur prêt à l’engager. Alors quand il a vu cette petite annonce, il a postulé. Et comme, il n’avait pas de réponses, il a téléphoné maintes et maintes fois pour obtenir un rendez-vous.
"Il m’a harcelé pour obtenir un rendez-vous" avoue Hugues Trichard, le patron du Bistrot d’Hugues qui cherchait du personnel pour faire tourner son deuxième restaurant.
Un patron sensible au handicap
"Un jour, je l’ai vu débarquer, la tête baissée, l’air d’un homme qui fait pitié. Je me suis dit : c’est qui ce zozo ? Et aujourd’hui, je ne regrette pas de l’avoir recruter. Il est l’un des piliers du L’Uccello".Ludo est atteint d’une spondylarthrite ankylosante, une maladie qui lui bloque les cervicales et qu’il soigne à coup de piqûres tous les dimanches. Et comme il est vaillant, il assure ses 35 heures sans se plaindre.
"Personne ne voulait embaucher un travailleur handicapé comme moi" reconnaît Ludo. "Hugues, il m’a donné ma chance et je l’en remercie".
De la bienveillance et de l’écoute
Par élégance, son patron ne l’a pas déclaré comme tel et s’est donc assis sur les aides qu’il aurait pu toucher à ce titre."Je ne voulais pas le stigmatiser" indique modestement Hugues Trichard. "Ici au L’Uccello, Ludo est comme les autres. Tout le monde s’en fout qu’il soit handicapé".
Regard bienveillant, écoute, empathie, compassion. Ce n’est pas le genre de comportement qui prédomine généralement lorsque l’on est patron d’un restaurant. Mais Hugues Trichard est marqué par son destin et pour lui, aider les autres est devenu sa raison de vivre.
Moqué à l’école
Déjà tout petit, il était l’objet de moqueries à l’école parce qu’il était un cancre. Gaucher, son écriture était illisible. Venait s’y rajouter la dyslexie et la dysorthographie."J’étais malmené, décrié, insulté" explique-t-il.
Sans bac en poche, sans CAP, il se lance dans la photographie jusqu’au jour où il s’engage dans l’infanterie de marine, le 4ème RIMA. 16 ans à se battre sur tous les fronts : Sarajevo, Djibouti, la Centrafrique. Il voit ses frères d’armes mourir sous ses yeux. Il comprend qu’il a eu de la chance. Et là, c’est le déclic.
Valorisé au 4ème RSMa
Il est chargé d’une mission à Saint-Pierre de la Réunion. Pendant 3 ans, il va accompagner 5 jeunes en difficulté enrôlés dans un service militaire adapté. Il les forme et les aide à s’insérer dans la vie professionnelle. C’est là qu’il décide monter son premier restaurant.Aujourd’hui, il se sent redevable de ce qu’il a appris au combat.
"Quand la République vous rejette" lâche-t-il, «il reste l’infanterie de marine».
La vie ne va pas l’épargner. Un divorce l’oblige à vendre son restaurant. Il perd toutes ses économies, se retrouve SDF à Paris, se relève en créant une entreprise de bâtiment et comme il travaille trop, il fait un burn out. 1 mois d’hôpital, 1 mois dans un fauteuil roulant, la galère.
Une revanche sur la société
Mais l’homme est solide et se remet en marche. Il rachète à Nantes un restaurant qui périclite, le bistrot de l’île Mabon. Il reconquiert sa clientèle en misant sur une cuisine de terroir et la fraîcheur des produits et ça marche. Déjà il rêve d’ouvrir un 3ème restaurant." Ma vraie victoire" conclut-il, "c’est d’avoir surmonté le regard méprisant des sachants. Ici, je me sens bien parce que je peux emmener les autres dans l’aventure. Seul, je n’y serai pas arrivé".
Homme de cœur, humaniste, héros du quotidien. Hugues Trichard est tout ça à la fois.
Un patron juste humain
"Un patron qui peut être dur mais toujours juste" jette un de ses cuisiniers sur le départ.
"Un patron conciliant" juge Hélène, serveuse chez lui depuis 2 ans. "Lorsque j’ai eu mon bébé, il m’a fait grâce d’un mois de vacances pour que j’en profite"
"Elle venait de se faire larguer par son compagnon" ajoute Hugues Trichard. "J’ai été sensible à son malheur". Et il ajoute : "Tous ceux que je recrute sont des gentils, volontaires et ponctuels» Des gens bien comme lui.