Nantes, quartier du Breil : pour Sofia, "l'école à la maison avec 5 enfants dans 80m², c'est mission impossible"

Sofia Lefournier a 35 ans. Elle élève seule 5 enfants dans un appartement de 80m² au Breil à Nantes. Animatrice périscolaire, elle sera sur le pont pour accueillir les enfants des soignants mais elle redoute ces quatre prochaines semaines à passer entre quatre murs.

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Au son de sa voix, on sent qu'elle redouble d'énergie. Et il lui en faut. Sofia Lefournier, élève seule 5 enfants âgés de 8 à 18 ans. La petite famille vit au coeur du quartier du Breil à Nantes.

Dans ce quartier populaire, la vie n'est pas toujours rose. Taux de chômage record, trafic de drogue ou d'armes, la violence ces dernieres années n'a cessé de se developper. Et la crise sanitaire et ses confinements et couvre-feu, n'a rien arrangé.

 

"On va vivre les uns sur les autres"

L'appartement n'est pas bien grand. 80m² pour 6. "On va vivre les uns sur les autres à la maison. Ça va sacrément réduire l'espace. Donc moi, je veux continuer à travailler, j'adore mon métier", confie la mère de famille.

Sofia est animatrice périscolaire, à l'école Longchamp, le deuxième plus grand groupe scolaire de la ville. Pendant le premier confinement, la plupart des agents ont été mis en chomâge partiel. Cette fois, ils sont réquisitionnables. "A mon avis, ils feront appel à ceux qui n'ont pas d'enfants. Moi ce n'est pas mon cas mais je veux aller travailler quand même. J'en ai besoin".

Ce n'est pas que je n'aime pas mes enfants. Le boulot, ça fait une coupure. On vit autre chose. Je n'ai pas travaillé pendant 10 ans pour les élever. Psychologiquement, à un moment donné, ça n'allait plus, j'avais besoin de vivre aussi un peu pour moi. Je n'avais plus aucun lien social. Travailler, ça me libère. M'occuper d'autres enfants, j'aime trop ça !

Sofia Lefournier, animatrice périscolaire

"Ce confinement, je l'appréhende beaucoup. C'est vrai qu'on peut sortir, mais vu le contexte sanitaire, en fait ce n'est pas évident. On est quand même contraints par la barrière des 10 kilomètres. On ne peut pas aller trop loin. C'est un peu galère. surtout qu'on est dans un petit logement, sans terrasse, ni balcon. C'est vraiment fermé fermé chez nous", s'inquiéte Sofia.

 

"Tout le monde a déjà décroché"

Et puis il il n'y aura pas école, au moins pendant trois semaines. C'est sans doute cela qui angoisse le plus cette mère de famille. Depuis un an, elle voit bien qu'à la maison, tout le monde décroche. Et face à cela, elle se sent totalement désemparée, impuissante."J'essaye de gérer avec les 5 mais c'est mission impossible. Ce n'est pas le même niveau d'étude. Je sollicite les grands aussi pour aider les plus petits."

Sa fille aînée Paulina, 18 ans, est en terminale pro commerce. Cette année, elle passe le bac. Mais dans quelles conditions ? "Elle ne sait pas. C'est un gros stress. Elle n'a pas réussi à trouver de stage cette année. Avec les magasins fermés et le covid, personne n'a voulu d'elle. Elle appréhende pour l'année prochaine. En BTS, il n'y a pas beaucoup de places sur Nantes. C'est pas facile. Moi ça me fait de la peine et je me demande comment les jeunes vont faire dans les années à venir".

Melvin, lui,a 16 ans. Il était à l'école de la seconde chance. Il est passé à côté, s'en pouvoir en profiter : "les cours à la maison, lors du premier confinement, il a lâché complétement. Il a fait trois semaines de stage et c'est tout".

Il y a Lucas, 14 ans, en prépa pro "qui essaie de toucher à tout pour trouver sa voie." Gerson, lui, a 11 ans. Il est en CM2. "Il s'attendait a visiter son futur collège, il était impatient. C'est annulé". Le petit dernier Rudy, est en CE2. "Il est ne verra plus ses copains, pour lui la difficulté elle est là", explique Sofia.

Les cours et les devoirs en distanciel, Sofia a vécu cela comme une catastrophe il y un a un an.

En étant franche, ils ne vont pas se lever hyper tôt. Ils vont perdre le rythme. C'est dommage que l'on ne maintienne pas l'école, même si je peux comprendre. Pour les grands encore la visio ça passe mais pas pour les petits. Les profs nous disent faut les coucher tôt, les reveiller tôt. Faire les devoirs plutôt le matin. Avec 5 enfants, moi je peux pas!

Sofia Lefournier

Pour les ordinateurs, la question est vite réglée. Il n'y en a pas. Sofia travaille 28 heures par semaine pour un salaire de 650 euros. Avec les aides elle doit faire avec 2 000 euros par mois. Pas de quoi offrir un PC à chaque enfant. "Le lycée en a prêté un à Paulina. Il sert à tout le monde". 

 

"Ils traînent et ils font des conneries"

A la maison, c'est un mouvement perpétuel, même si l'un ou l'autre des frères et soeurs, va parfois s'isoler dans sa chambre. Alors forcément, Sofia redoute un peu les quatre semaines à venir.

De toute façon, on n'a pas le choix. Ça fait déjà longtemps que j'ai demandé à déménager. Je ne voulais rien de luxueux, pas de terrasse, ni de balcon. Je n'ai même pas demandé plus grand, je voulais juste partir. Je n'ai eu aucune réponse. Je veux changer de quartier pour le bien-être de mes enfants. J'ai notamment mon fils Lucas qui fricote avec de mauvaises fréquentations

Sofia Lefournier

Pour se simplifier la vie, Sofia voudrait bien se rapprocher de son travail. Cela lui permettrait aussi de rentrer plus tôt le soir, pour être auprès de ses ados et les surveiller un peu plus. Parce qu'elle sait l'insécurité et la violence qui règnent dans le quartier. Ce quartier qu'elle a vu changer.

"J'ai toujours un oeil sur le téléphone. Ici on a vécu des choses, la mort d'Aboubakar (tué en juillet 2018 par un policier d'une balle dans la nuque après une arrestation musclée, NDLR), les émeutes qui ont suivi, les tirs dans la rue presque quotidiens. C'est tout cela que je veux fuir parce que mes deux grands se sont mis a faire des bêtises", avoue-t-elle, désabusée.

Ce qui effraie cette mère de famille c'est qu'en cette période de confinement les jeunes sont encore plus délaissés.

Avant il y avait un local, une structure où ils pouvaient se retrouver. Il y avait une télé. C'était un endroit pour eux. Ils se rejoignaient là pour un moment de détente. Aujourd'hui, il n'y a plus rien. Du coup ils traînent et ils font des conneries. Il n'y a pas de structures adaptées pour eux. Ils sont totalement laissés à l'abandon.

Sofia Lefournier


"Il faut que je reste forte et debout"

Pour autant l'animatrice scolaire ne baisse pas les bras et veut croire que cette troisième phase de confinement sera moins dure. Et surtout, qu'elle sera la dernière : "on ne sera pas complétement enfermés cette fois. Hier on a été au parc. Ça fait du bien, cela permet de respirer un peu. Après, avec les 10 kilomètres, on va pas pouvoir aller bien loin. Mais ça change quand même complétement la donne. On se sent plus libre sans attestation. Pendant le premier confinement je suis sortie faire des courses. J'avais rempli le papier mais je l'ai oublié. L'agent n'a rien voulu savoir. J'ai pris une amende."

Si elle garde le sourire et le moral, c'est avant tout pour ses enfants mais aussi pour le reste de la famille.

J'ai ma mère et ma grand-mère qui vivent à Nantes et à Rezé. Elle ont eu le covid toute les deux. Alors moi, il faut que je reste forte et debout pour m'occuper de tout le monde. Faut pas que je craque

Sofia Lefournier

"En chômage partiel, on perd du salaire"

Mardi, Sofia prendra le chemin de l'école comme tous les matins. Et cette perspective l'enchante. "En chômage partiel, on perd du salaire, même si ce n'est pas énorme. Je suis contente d'être présente pour les enfants des soignants. C'est notre rôle d'être mobilisés dans ces moments là".

On a la fierté et le sentiment de servir à quelque chose. J'ai l'impression d'aider les personnels soignants qui sont au feu chaque jour et d'être avec eux. En revanche, personne ne nous reconnaît au niveau de l'Etat. Le ministère de l'Education nationale ne nous a versé aucune prime. Et ça ce n'est pas normal, c'est injuste.

Sofia Lefournier

Dans son école comme ailleurs le covid a circulé. "J'ai une collègue qui a eu envie d'arrêter. Elle ne voulait pas prendre le risque de tomber malade pour 650 balles par mois. Finalement elle l'a attrapé quand même. On a beau garder le masque toute la journée, et se laver les mains en permanence, ça ne peut pas suffire. A la cantine, les enfants ne sont plus protégés. Et puis il se parlent à l'oreille. On leur dit qu'il ne faut pas le faire. Mais comment voulez-vous que des bouts de chou comprennent ça  ?" 

Mère courage, passionnée par son métier, Sofia sait qu'il lui faut tenir bon encore quelque temps même si la situation commence à lui peser. "Le plus dur pour moi c'est d'entendre comme c'est de plus en plus le cas : Sofia je n'aime plus l'école, à cause des distances, à cause du masque. Entendre ça dans la bouche d'un élève de 6 ans, en classe de CP, alors qu'il apprend à lire et à écrire, c'est insupportable."

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