Une mobilisation a eu lieu mardi 14 janvier au pied des tours rue Samuel de Champlain, au nord de Nantes, là où des tirs de kalachnikov ont fait trois blessés au début du mois. Les habitants sont venus dire leur exaspération face à cette violence et former un collectif pour mener des "actions d'occupation positive" de l'espace public.
À la tombée du jour, mardi 14 janvier, une petite foule d'une centaine de personnes s'est amassée près des tours de la rue Samuel de Champlain, près de l'arrêt de tramway Chêne des Anglais, au Nord de Nantes. Des seniors, quelques jeunes, une famille, mais surtout des femmes et des hommes du quartier venus pour exprimer leur "ras-le-bol" face aux violences qui leur pourrissent la vie. Celles-ci se sont intensifiées ces dernières années, et surtout ces derniers mois, jusqu'à faire la Une des journaux : passages à tabac, tirs de fusils d'assaut... Huit incidents ont été recensés en seulement trois mois, faisant plusieurs blessés. Des règlements de compte sur fond de trafic de drogue que les locaux ne supportent plus.
"Les gens ont peur de se prendre une balle à 17 h 30 en rentrant du travail"
Sous l'impulsion du collectif du 24 mai - qui fait référence à la date à laquelle un grand repas est organisé dans le quartier pour "occuper positivement" l'espace public - ce rassemblement a attiré l'attention des pouvoirs publics. Pascal Bolo, élu des quartiers nord, et Bassem Asseh, premier adjoint de la ville de Nantes, étaient présents, ainsi que les Écologistes et un représentant du député PS Karim Benbrahim. Mais l'expression de leur soutien a été moins applaudie que la prise de parole de Louisa Battoy, fondatrice de l'association d'insertion Casse ta routine et personnalité connue du quartier, qui a crié haut et fort son exaspération. "Ça fait plus de 30 ans que j'habite ici, et je n'ai jamais vu une violence aussi exacerbée. Il faut qu'on s'en inquiète", a-t-elle tonné au micro, sous les encouragements.
"On se retrouve avec des habitants qui, majoritairement, veulent partir d'ici. Mais ils ne peuvent pas parce qu'ils n'ont pas les moyens d'aller voir ailleurs. Ils n'ont pas de balcon, pas de jardin, et maintenant, ils se retrouvent enfermés dans ces logements. Ils ont peur de faire sortir leur enfant, peur d'aller faire les courses, et surtout, peur de se prendre une balle à 17 h 30 en rentrant du travail", dénonce-t-elle, tout en défendant ceux qui souhaitent, au quotidien, "se réapproprier l'espace public et arrêter de se laisser faire".
Dans leur prise de parole, les fondateurs du collectif, qui ne souhaitent pas être identifiés, on revendiqué leur droit "de vivre normalement", et appelé les personnes présentes "à soutenir les habitants qui portent plainte" ou appellent la police. Au-delà des conflits liés au trafic de drogues, beaucoup souffrent aussi de coups de pressions ou d'incivilités au quotidien, comme les rodéos urbains ou encore des déchets qui s'amoncellent.
Bientôt un café associatif
Jacqueline (prénom d'emprunt) a plus de 80 ans, dont 50 ans dans l'un des immeubles rue Samuel de Champlain. Elle a vu le quartier évoluer, la police de proximité disparaître, les "petits jeunes" d'ici être remplacés par des inconnus venus d'ailleurs, et la violence s'intensifier. Elle est aux premières loges. "Maintenant je vois des petits gars qui glissent des gros sacs de poudre blanche sous leur caleçon, des voitures qui roulent phares éteints, et quand ça tire, ça fait trembler les murs." Désormais, cette grand-mère ne souhaite plus quitter son logement, et envoie son fils faire ses commissions à sa place. Lydie, elle, a une approche différente : elle sort de chez elle régulièrement, brandit ses pancartes contestataires sans cacher son visage, ni baisser les yeux. Elle regrette que beaucoup des habitants ne soient pas là, par peur des représailles. "Moi, j'ai déjà préparé mon testament, ne vous inquiétez pas", sourit-elle, confiante dans cette lutte pour "le mieux vivre".
J'ai vu des choses terribles ici (...) mais il y a aussi de belles personnes, des élans de solidarité que je ne vois nulle part ailleurs, et beaucoup d'entraide.
Une ancienne commerçante du quartier
Murielle, ancienne commerçante du quartier, soutient l'initiative du collectif du 24 mai, qui veut ouvrir un café associatif au printemps prochain. La mairie a donné son accord pour le prêt d'un local, route de la Chapelle-sur-Erdre, pour échanger et créer un nouveau lieu de vie, là où les commerces ferment les uns après les autres. "J'ai vu des choses terribles ici. Des jeunes qui venaient avec un impact de balle ou la gorge à moitié tranchée. Mais il n'y a pas que ça. Il y a aussi de belles personnes, des élans de solidarité que je ne vois nulle part ailleurs, et beaucoup d'entraide, il faut que ça continue", souffle-t-elle.
Ne pas abandonner la jeunesse du quartier
Les associations présentes à la manifestation espèrent de leur côté que la jeunesse sera incluse dans les futures tentatives de vivre ensemble. "Il faut que la jeunesse devienne aujourd'hui une priorité", ajoute Louisa Battoy, pour qui il est urgent de proposer un parcours alternatif à la délinquance, à travers des services, de la médiation, des opportunités professionnelles, de la culture. Fall, une figure associative du quartier, connaît aussi bien certains de ces jeunes, qu'il emmenait à la maternelle. Il regrette de son côté le harcèlement policier qui cristallise les tensions. "Nous, on essaye de faire des choses, des "open mic" l'été par exemple, on se rassemble pour une petite compétition de rap... Mais les policiers viennent directement pour contrôler et c'est comme ça que ça dérape. Ce rapport de force permanent, ce n'est pas bon", déplore-t-il.
La présence policière, déjà accrue, risque de l'être encore davantage. Après un règlement de compte qui a fait trois jeunes blessés, le 4 janvier dernier, le procureur de la République a annoncé renforcer encore davantage la vigilance sur ce quartier.
Retrouvez-nous sur nos réseaux sociaux et sur france.tv