Deux militantes écologistes devant la justice : le dossier du parc photovoltaïque de Lure fait monter la tension dans les montagnes du côté de Cruis, dans les Alpes de Haute-Provence.
Il y a de l'électricité dans l'air depuis plus d’un an dans la montagne de Lure. A Cruis, dans les Alpes-de-Haute-Provence, depuis le mois de septembre 2022, le projet du géant canadien Boralex met les habitants et les écologistes sous tension. En effet, la construction d'un parc photovoltaïque de 20 000 panneaux solaires de 17 hectares, implique de raser 30 hectares de forêt et de végétation. Plus de 90 espèces protégées sont menacées selon les associations de l'environnement qui se sont emparées de ce dossier. Depuis plus d'un an, les militants écologistes tiennent tête aux bulldozers, mais se retrouvent aujourd'hui sous le rouleau compresseur de la justice.
Alors que les militants bloquent de nouveau le site depuis ce mercredi, France 3 Provence-Alpes rembobine les rebondissements de cette affaire.
Acte 1 : un projet dans le vent
En 2009, le groupe canadien Boralex, troisième acteur de l'éolien en France soumet le projet à la commune de Cruis, présenté comme étant "d’intérêt général pour la production d’énergie renouvelable en région PACA" .
L’industriel va œuvrer durant 10 ans à sa réalisation. Le permis de construire est délivré en 2017, mais va faire objet d'un recours en justice de la part des opposants, Les amis de la Montagne de Lure, en 2020, épaulé par le collectif Elzéard-Lure en résistance, invoquant l'article L411-1 du code l'environnement sur la protection des espèces et de leur habitat. Ils attaquent alors la décision préfectorale autorisant la destruction d’espèces protégées, jugée contraire à l’avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN).
Acte 2 : la résistance citoyenne
Mais en septembre 2022, Boralex affirme détenir toutes les autorisations nécessaires et lance le chantier.
La mobilisation citoyenne s'organise dès septembre 2022 contre "la déforestation outrancière et violente" et les "dégâts irréversibles sur le site de Cruis". Les militants écologistes tentent, dans une "manifestation pacifiste", de stopper le défrichement des 17 premiers hectares de forêt. Au travers d'un communiqué, le collectif Elzéard-Lure en résistance, exprime son indignation et les motivations des militants sur place : " à l'heure du chaos climatique et des sécheresses catastrophiques, raser nos forêts, bétonner les sols, réchauffer l’atmosphère, dévaster les écosystèmes au seul profit de multinationales et de leurs actionnaires, ce n’est pas acceptable !".
Un mot d'ordre qui reste l'étendard de la révolte sur la montagne de Lure.
Mais les citoyens n'arriveront pas à stopper les engins de chantier qui arrachent 17 hectares d'arbres et de végétation pour préparer le terrain à la construction de la centrale solaire dont la mise en service est prévue pour 2024.
Pierrot Pantel, ingénieur écologue à l'ANB (Association nationale pour la Biodiversité), souligne que " l'on a arraché ici une forêt plantée 15 ans auparavant par l'ONF au frais du contribuable. Aujourd'hui, on en fait cadeau à un industriel pour qu'il vienne tout raser, c'est totalement absurde."
Acte 3 : suspension des travaux
Les recours en justice sont rejetés en première instance, mais les opposants font appel de cette décision. Le 14 septembre 2023, par un communiqué l'industriel annonce suspendre le chantier, affirmant avoir "pris connaissance de nouvelles données écologiques transmises par les opposants" signalant la "présence d’espèces qui n’avaient pas été préalablement observées sur le site de Cruis ". Boralex dit alors confier la vérification de ces données à des écologues experts indépendants. Un sursis qui sera de courte durée.
Acte 4 : l'abattage reprend, le ton monte
Le 2 octobre 2023, le groupe Boralex annonce la reprise des travaux à Cruis avec le feu vert du préfet des Alpes de Haute-Provence. Selon Pierrot Pantel, "le groupe Boralex affirme détenir les autorisations nécessaires, mais elle ne les a pas pour 50 espèces protégées".
Par ailleurs, l'ASPAS, l'Association de Protection des animaux sauvages, dépose de son côté un recours référé contre l'une de ses autorisations. Sur place, citoyens et militants écologistes bloquent le chantier en s'enchainant aux engins, utilisant la technique du arm-locks. Le bras de fer se durcit peu à peu, Boralex dénonçant des dégradations sur le chantier.
Ouvriers, gendarmes et "bloqueurs" se côtoient ainsi sur le chantier, mais le 4 octobre 2023, deux militantes, de 60 et 72 ans, sont arrêtées et placées en garde à vue. Elles comparaîtront le 14 novembre au Tribunal de Digne "pour s'être mises devant des bulldozers et des pelleteuses, en vue d'empêcher des travaux en infraction au code de l'environnement " s'indigne Pierrot Pantel, "pendant que la préfecture et les industriels sont main dans la main pour tout dévaster".
En attendant cette audience, le blocage se poursuit sur la montagne de Lure.