Depuis lundi matin, riverains et associations se dressent contre un projet immobilier à 20km d'Aix-en-Provence. Depuis 20 ans, les recours en justice se multiplient pour stopper la destruction de 20 hectares de forêt et des espèces protégées qu'elle abrite. Face à l'inertie des autorités, la fronde s'organise au pied des arbres.
Au petit matin lundi, face aux pelleteuses, ils ont utilisé la technique du "arm-lock" : une poignée de militants opposés à la construction d’un lotissement dans une forêt de Fuveau (Bouches-du-Rhône) se sont accrochés aux engins de chantier pour empêcher les conducteurs de les faire démarrer. Une manière d’indiquer qu'ils passaient à l'action.
Le dossier ne date pas d'hier et passe de bureaux en bureaux depuis 20 ans, sans que riverains et défenseurs de l'environnement n'obtiennent gain de cause : ces 20 hectares de forêt privée attenants au golf de Château d'Arc et propriété du promoteur Philippe Laurent, feront place à 132 villas de standing. Les travaux de déboisement ont débuté en décembre 2022. De quoi attiser la détermination de ses opposants, qui dénoncent depuis 2001 "un projet écocide".
Le feuilleton municipal
La municipalité de Fuveau s’est de tout temps opposée à la construction de ce lotissement de luxe, mais la commune a perdu tous ses procès contre le promoteur et s’est vue obligée de délivrer un permis de construire en 2017. La Maire de Fuveau Béatrice Chiavassa Bonfillon indiquait à France 3 en février 2023 : « La commune est là pour faire respecter la loi et la loi nous a imposé de délivrer un permis d’aménager et nous l’avons fait en y ajoutant plusieurs prescriptions (...), cependant nous restons vigilants ». Des prescriptions non respectées par le promoteur, ce qui a conduit la mairie à monter d'un ton : deux arrêtés interruptifs de travaux ont été pris en avril et en juin 2023 pour infractions aux règles de l’urbanisme, tous deux suspendus par le tribunal administratif, en attendant un jugement au fond.
C'est ainsi que le chantier allait redémarrer ce lundi matin.
Des riverains dans l'action
C'était sans compter sur la mobilisation citoyenne. Dès 2001, des riverains se regroupent en association, "Les amoureux de Château l'Arc", sous la houlette de Bernard Brerro, un voisin du golf effrayé par le projet. Leur but étant de tout mettre en œuvre pour faire échec à la construction du lotissement. La forêt, bien que privée, est l'un des poumons verts de la commune et représente 10% de sa surface boisée : pas question de la laisser disparaître sous le béton. Commandé et financé de sa poche par un habitant en 2020, un rapport du cabinet d'étude ECOMED récence 43 espèces protégées sur cette propriété, ce qui fait d'elle un joyau de biodiversité.
Des associations pour défendre le Code de l'environnement
L'Association nationale pour la biodiversité (ANB) et le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) ont pris le dossier juridique à bras le corps, suivis par quatre autres associations dont Les amoureux de Château l'arc et Extinction Rébellion, déposant une plainte pénale en juillet 2023 contre la SASU Château l’Arc Resort et l’entreprise EIFFAGE.
Une action soutenue par de nombreuses personnalités telles que l'activiste Camille Etienne. Tous dénoncent la destruction ou l'altération de dizaines de milliers de mètres carrés d’habitat d’espèces protégées. Les travaux engagés en juin 2023 qui "ont conduit à la destruction des habitats des 43 espèces d’insectes, reptiles, amphibiens, oiseaux et mammifères protégés (...) ont été réalisés sans l’autorisation nécessaire et donc en violation de l’article L411-1 du Code de l’environnement", peut-on lire dans leur courrier adressé au tribunal d'Aix-en-Provence en date du 10 juillet 2023.
Autre argument juridique brandi par les associations et qui penche en faveur des citoyens dans ce bras de fer : la Charte de l'environnement. Dans son article 2, ce texte référent en matière de droit européen, proclame que " toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement". Marie Véroda, porte-parole de GNSA sur le terrain, insiste sur la teneur de cette charte : la protection environnementale est aujourd'hui un devoir citoyen et l'environnement, un patrimoine commun des êtres humains. "Certes, il s'agit d'une forêt privée, mais elle fait respirer tout Fuveau, donc elle fait partie de l'environnement des riverains qui se doivent de la protéger".
L'action de terrain comme ultime moyen pour se faire entendre
Ne reculer sous aucun prétexte, continuer à occuper le site, bloquer le chantier : les militants et riverains sur place depuis lundi sont déterminés à se faire entendre des autorités, malgré la présence des gendarmes." Tant qu’il n'y aura pas de dialogue et que l'État se mettra du côté des destructeurs, nous demanderons l'application du droit de l'environnement ", explique Marie Véroda de GNSA, " les arbres sont nos meilleurs climatiseurs et sont créateurs d'écosystèmes, on ne peut pas se permettre de perdre des forêts ".
Pierrot Pantel, ingénieur écologue, chargé de mission juridique à l'ANB rappelle que la mobilisation citoyenne s'est organisée à plusieurs reprises : " On est montés en puissance progressivement dans le rapport de force. Nous avons toujours été transparents dans notre action. Dimanche, ce sont des riverains qui nous ont alertés sur le retour des pelleteuses, mais cette fois, nous ne partirons pas. Clairement, pour l'ANB, nous n'avons aucune limite, on a le droit et la jurisprudence pour nous".
Engagés dans une lutte non violente, opposés à toute forme de vandalisme, les militants envisagent d'envoyer des grimpeurs s’installer dans les arbres visés par le déboisement. "Nous n'hésiterons pas à créer la ZAD de Fuveau si rien ne bouge" assure Charlotte d'Extinction Rébellion Aix-en-Provence"."On a déjà assisté à un ravage sur le site, des tranchées ont été creusées pour créer des voies d'accès. Les éco-terroristes sont ceux qui veulent saccager les espaces naturels, pas ceux qui s'opposent à la marche de la destruction ".
Loin de la chaleur et de la poussière, loin du blocage des engins de chantier par des hommes et des femmes déterminés, la procédure judiciaire, elle, suit son cours au Parquet d'Aix-en-Provence.