L'éclosion des œufs de la tortue caouanne qui avait pondu en juillet dernier sur une plage de Villeneuve-Loubet dans les Alpes-Maritimes est en cours. Alors qu’un tortillon a déjà regagné la mer, signal habituel d’une émergence imminente, le processus d’éclosion global ne semble pas avoir démarré. Un couloir de protection a été mis en place et des bénévoles se succèdent pour assurer la surveillance du site.
Ce sera une première dans les Alpes-Maritimes. Dans les prochains jours, des petites tortues devraient éclore de leurs oeufs pour rejoindre la mer. Cela se déroulera sur la plage de Villeneuve-Loubet où, une nuit du début du mois de juillet, une tortue caouanne a pondu ses œufs.
Cette ponte avait d'abord été compromise après que des promeneurs nocturnes ont tenté de la remettre à l'eau à un premier emplacement. L'animal avait alors regagné la mer avant de ressortir pondre quelques centaines de mètres plus loin. Cette fois-ci, l'opération avait été menée à bien.
Un premier petit, tout petit a déjà vu le jour. Ce 27 août, après 55 jours d’incubation, les premiers mouvements de sable apparaissent. "Cela s'est déroulé à 14h, et les équipes ont patienté quelques heures avant de voir s’extraire du sable ce petit tortillon bien décidé à regagner la mer le plus rapidement possible. Sans hésiter, il a pris la bonne direction et après 20 minutes d’efforts, il a atteint les premières vagues, qui dans le ressac lui font faire quelques roulés boulés avant le grand large… L’aventure de la vie commence pour cette toute petite tortue de quelques centimètres d’un poids estimé à tout juste 15 g", précise Romain Serigne, chargé de la communication de l'Association Marineland.
Le premier d'une longue série ? "Rien n'est moins certain. Pour l'association Marineland, il ne s'agit pas vraiment de l'éclosion du nid, mais disons, ce tortillon éclaireur", ajoute Romain Serigne.
Un couloir vers la mer
C'est une centaine de petites tortues marines qui s'apprêtent à sortir du sable pour effectuer les quelques mètres qui séparent la zone de ponte de la mer Méditerranée. Et tout a été fait pour qu'elles puissent gagner leur habitat naturel dans les meilleures conditions.
Depuis le 15 août - date qui correspond au 45e jour d'incubation - un "couloir vers la mer" a par exemple été mis en place. "C'est un petit chemin avec des planches de bois d'une vingtaine de centimètres", précise Sidonie Catteau, biologiste et spécialiste des tortues marines à l'association Marineland.
Ce couloir vise, d'une part, à orienter les tortillons afin qu'ils prennent la bonne direction au moment où ils vont émerger et, d'autre part, à les protéger lors de leur course vers la mer. Au tout début de leur existence, les tortues sont en effet des êtres fragiles que de multiples prédateurs prennent pour proies. Les activités humaines qui se déroulent sur la plage où se trouve la zone de ponte auraient aussi pu perturber le cheminement des bébés tortues.
Les en voilà préservés.
De plus, une petite caméra a été installée juste au-dessus du nid. Elle détecte chaque mouvement effectué dans le périmètre de sécurité qui a été érigé autour des œufs.
La caméra fonctionne avec une application. Si elle capte un mouvement, mon téléphone m'envoie une notification et je peux visualiser ce qu'il s'est produit.
Sidonie Catteau, biologiste.
Une cinquantaine de bénévoles mobilisés
Également depuis le 15 août, un groupe d'une cinquantaine de bénévoles se relayent, jour et nuit, pour surveiller les œufs et leur éclosion prochaine. Ils viennent de tous horizons : "il y a des personnes de la réserve civile communale, d'autres du service départemental de l'Office français de la biodiversité (OFB), des gendarmes de la cellule environnement, des pompiers du SDIS 06, des gardes forestiers du parc de Vaugrenier, des surveillants de plage, énumère Sidonie Catteau, sans oublier les bénévoles des associations Marineland et Les Aquanautes".
Selon elle, cet engagement collectif s'est aussi transformé en aventure humaine. Sidonie Catteau tient à louer "la dynamique qui s'est créée entre tous les bénévoles autour du projet", malgré leurs différences. "Il y a de tout, raconte-t-elle, des retraités, des jeunes, des femmes, des hommes... Ils sont très impliqués et il y a vraiment une belle énergie entre eux", témoigne la scientifique.
"Les créneaux durent six heures, de 8h à 14h, de 14h à 20h, de 20h à 2h et de 2h à 8h. La journée, les bénévoles sont seuls. La nuit, ils sont généralement deux", ajoute Sidonie Catteau. Ils scrutent le moindre mouvement à la surface. "Tout le monde est à l'affût, soit d'une petite bosse, soit d'un léger affaissement du sable", explique celle qui est aussi coordinatrice Alpes-Maritimes et Var du Réseau Tortues Marines de Méditerranée Française (RTMMF).
Météo et berceau
Depuis ce lundi matin, le département des Alpes-Maritimes est placé en alerte orange Orages et Pluies-inondations. La mer a recouvert à plusieurs reprises l’ensemble du site de ponte.
L’éclosion et l’émergence sont des périodes sensibles, il est donc décidé de protéger le site de la montée des eaux. Le dispositif de retour à la mer a changé d’objectif et est devenu un dispositif de prévention submersion.
L’inquiétude des spécialistes porte essentiellement sur l’impact de la baisse des températures et de la hausse du taux d’humidité sur le nid dans cette phase sensible. Les experts, scientifiques et acteurs de la conservation (OTM/MNHN, RTMMF, OFB) suivent attentivement l’évolution de la situation qui se produit également sur d’autres sites méditerranéens français. Le niveau de la mer reste haut, les jours à venir permettront de savoir si le nid n’a pas été trop affecté par cet évènement naturel et si les embryons ont pu poursuivre leur développement jusqu’à l’éclosion.
Les tortues jaugent le moment pour sortir par rapport aux conditions météorologiques. Il ne doit pas faire trop chaud. C'est pourquoi la probabilité qu'elles pointent le bout de leur carapace de nuit, au petit matin ou en fin de journée est plus élevée. Mais tout n'est pas si simple, car la naissance d'une tortue marine comprend deux phases.
Une première dite d'éclosion, qui dure en général entre 2 et 4 jours, et une seconde dite d'émergence, qui dure également entre 2 et 4 jours. "En tout, cela peut durer entre 2 et 6 jours", résume Sidonie Catteau, même s'il n'existe pas de donnée absolue.
Il est impossible d'affirmer avec certitude que tous les œufs se sont développés correctement et qu'il émergera de chacun d'eux une nouvelle née en bonne santé. Néanmoins, l'émergence de plusieurs bébés tortues il y a quelques semaines à Hyères, dans le Var, laisse croire que les paramètres environnementaux - qui sont sensiblement les mêmes sur l'ensemble de la Côte d'Azur - sont favorables à une évolution saine des tortillons.
Il n'est donc pas irraisonné d'imaginer que le petit évènement tant attendu se produira bientôt. Le moment venu, les bénévoles devront immédiatement prévenir Sidonie Catteau. Car "tout le monde ne peut pas intervenir, déclare cette dernière, les tortues marines sont des espèces protégées et il faut être habilité par une dérogation ministérielle pour les approcher. Mais si je ne réponds pas à cet instant, il y a tout de même d'autres personnes qu'ils peuvent prévenir".
À ce stade, ce peut être à tout moment...