Sa publication sur Facebook a suscité l'émoi. À l'issue d'un conseil municipal houleux, qui a mis le maire en minorité, son adjoint délégué à la sécurité s'en est pris aux membres de l'opposition, en évoquant la possibilité de publier leurs adresses personnelles.
Vendredi 30 juin 2023 : la France se réveille d'une nuit noire pendant laquelle mairies, écoles, bibliothèques et gymnases municipaux ont été attaqués, et parfois détruits, par des casseurs. Le lendemain, on apprendra que la maison du maire de l'Haÿ-les-Roses a été attaquée à la voiture-bélier et incendiée : sa femme et ses enfants, qui se trouvaient à l'intérieur, ont dû prendre la fuite sous les tirs de mortier. Au même moment, le poste de police municipale de Vallauris est aussi pris pour cible.
Des élus qualifiés de "minables"
Autant dire que ce vendredi 30 juin, le message Facebook de Dominique Bruzzisi, adjoint délégué à la sécurité du maire de Vallauris-Golfe Juan dans les Alpes-Maritimes, ne pouvait pas plus mal tomber. Très remonté après un conseil municipal où son maire, Kevin Luciano, a été mis en minorité, et où des délibérations importantes pour la vie de la cité n'ont pu être votées, il s'en prend aux désormais 18 élus d'opposition : des "minables" dont il cite chacun des noms, et propose de publier les adresses personnelles.
Ce sont selon lui "les 18 noms de la honte" pour sa commune.
"C'est avec plaisir que je communiquerais les adresses personnelles de ces 18 élus, à toutes les familles concernées. Peut-être assumeront-ils les conséquences de leurs actes en acceptant de garder vos enfants chez eux cet été?"
Dominique Bruzzisi, adjoint délégué à la sécurité à Vallauris
Un élu visé veut demander une protection policière
Une pratique inacceptable, selon Jean-Valéry Desens, ancien élu d'opposition à Mandelieu-La Napoule et actuel référent de l'association Anticor dans les Alpes-Maritimes.
"Quand on menace de donner l'adresse d'élus, il se passe exactement ce qui s'est passé avec le maire de L'Haÿ-les-Roses. Faire ça en ce moment c'est d'une stupidité incommensurable, c'est inacceptable."
Jean-Valéry Desens, référent Anticor dans les Alpes-Maritimes
Plusieurs élus contactés disent avoir peur pour leur sécurité désormais. L'un d'eux a accepté de témoigner anonymement :
"J’ai des collègues qui se sont fait agresser verbalement. J'ai 76 ans, j'ai des petits-enfants. Je suis très inquiet. Je vais demander une protection policière".
Un élu d'opposition à Vallauris
Du cinéma, répond le maire de Vallauris, qui qualifie ses anciens alliés passés dans l'opposition de "fêlons".
"Ces élus savent très bien que rien ne va être publié. Mais ils doivent assumer les conséquences de leurs actes".
Kevin Luciano, maire (LR) de Vallauris-Golfe Juan
Un message choc, pas une menace, selon l'auteur du message
Son adjoint, auteur du message Facebook, assure qu'il n'aurait jamais publié les adresses :
"Ca n'est en aucun cas une menace ou une intimidation. Je voulais marquer les esprits. C'était une phrase choc, une pique politique pour mettre les élus de l'opposition face à leurs responsabilités."
Dominique Bruzzisi, adjoint délégué à la sécurité à Vallauris
Lorsqu'elle a découvert que son nom figurait dans le message en question, Emmanuelle Cantoni, opposante de la première heure, a immédiatement contacté son mari pour l'avertir du danger.
"Dès le lendemain, lors de la fête de la Saint-Pierre, une dame est venue me voir avec des enfants à la main et m'a dit : "vous avez de la place cet été pour les garder?"
Emmanuelle Cantoni, conseillère municipale "PACTES" (Pour un avenir citoyen, transparent, écologique et solidaire)
Car le fond du problème, c'est le rejet par l'opposition, désormais majoritaire, de plusieurs délibérations capitales pour la vie quotidienne des habitants de Vallauris-Golfe Juan : l'embauche estivale de 127 jeunes pour le centre de loisirs et les services municipaux, l'acquisition d'un terrain pour créer un jardin public, une rampe d'accès pour les handicapés dans la mairie annexe de Golfe-Juan, et même un leg de près de 250 000 euros pour aider les personnes âgées en difficulté.
Alors que le centre de loisirs doit accueillir les enfants de la commune lundi prochain, la ville en est à chercher des solutions juridiques de contournement pour permettre son fonctionnement malgré l'absence de vote.
Les opposants reconnaissent la gravité de la situation, mais disent ne pas avoir eu le choix :
"On passe pour les méchants alors qu'on a juste voulu faire respecter la loi et la bonne gestion de l'argent public."
Emmanuelle Cantoni, conseillère municipale PACTES (Pour un avenir citoyen, transparent, écologique et solidaire
Lors du conseil municipal, elle avait officiellement demandé au maire le report de ces délibérations, en attendant que la préfecture des Alpes-Maritimes exerce son contrôle de légalité sur un budget selon elle problématique.
Selon Emmanuelle Cantoni, il y aurait plusieurs irrégularités et elle se questionne sur l'attribution de subventions à des associations en lien avec des élus ou leurs proches.
Le budget voté dans des conditions rocambolesques fait l'objet d'observations de la Préfecture (...), d'un recours au tribunal administratif pour quatre irrégularités et de plusieurs signalements judiciaires pour prise illégale d'intérêts.
Emmanuelle Cantoni, conseillère municipale PACTES (Pour un avenir citoyen, transparent, écologique et solidaire)
Le maire, lui, n'y voit qu'une guerre de procédures et d'ambitions personnelles qui pénalise les habitants :
Vous essayez de bloquer un jardin d'enfants (...), des travaux qui visent à réhabiliter l'école Mistral (...). Vous essayez tout simplement de paralyser la ville en espérant tirer les marrons du feu pour essayer de prendre ma place.
Kevin Luciano, maire de Vallauris-Golfe Juan.
Et en effet, jamais le maire de Vallauris-Golfe Juan n'aura été dans une position aussi délicate. Lors de ce conseil municipal, au terme de plusieurs mois de querelles intestines, Kevin Luciano a été mis en minorité, par une énième défection au sein de son groupe.
À l'égard de ses anciens alliés, il porte des accusations graves :
Mon sentiment, c’est qu'il y a plusieurs élus, qui dans le cadre de la procédure de passation des ports, s’imaginaient qu’ils allaient pouvoir se faire de l’argent (...) Ce sont des félons, des traîtres(...) Pensant que je vais démissionner, ils veulent se partager les postes entre eux.
Kevin Luciano, maire de Vallauris-Golfe Juan.
Contactés, plusieurs élus visés nient en bloc ces accusations.
Dans ce contexte, le premier magistrat de la ville est-il encore en capacité de conduire les affaires de la ville, si chacune de ses délibérations venait à être rejetée ? Devra-t-il démissionner et provoquer des élections anticipées ? "Je n'écarte rien, je n'acte rien".
Désormais, l'avenir de la commune est entre les mains du Préfet des Alpes-Maritimes, qui doit dire si, oui ou non, le budget voté est conforme à la loi.