Le 3 octobre 2015, des pluies diluviennes s'abattaient sur Cannes, Mandelieu-La-Napoule et Biot causant la mort de 20 personnes. Un procès pour "homicide involontaire" est prévu en janvier 2024.
Cette nuit-là, pas de sirène d'alerte, seulement le bruit sourd d'un rideau de pluie qui s'abat sur des zones bien localisées des Alpes-Maritimes.
Une bande côtière de 35 km de long par 10 km de large reçoit en un peu moins de deux heures l'équivalent de :
À titre de comparaison, il est tombé en un an, entre septembre 2021 et août 2022, 620 mm de pluie seulement pour ce qui est l'année la plus sèche de l'histoire des relevés météo dans les Alpes-Maritimes.
Après Solenzara (Corse) en 1979 et Montélimar (Drôme) en 1982, c'est alors l'un des 3 événements météorologiques les plus intenses jamais enregistrés en France.
Météo France propose sur son site une cartographie des évènements pluvieux exceptionnels recensés dans le département depuis 1981.
"Ils ont tout oublié"
À Mandelieu-La-Napoule, les habitants sont descendus cette nuit du 3 octobre dans les parkings de leurs résidences, pour récupérer leurs véhicules. Ces parkings deviendront des pièges mortels : huit personnes perdront la vie, coincées sans pouvoir remonter à cause de l'eau qui a inondé les sous-sols.
À 79 ans, Ginette Denis regrette que les habitants de sa résidence Le Cap-Vert fassent aujourd'hui table rase du passé : "Ils ont tous oublié. Il faut plus en parler. Ça fait baisser les prix des appartements, ils ne pourront plus les vendre".
La nuit du 3 octobre 2015, Ginette Denis était, elle aussi, descendue dans le parking chercher sa voiture. Elle échappait à la mort de justesse, en nageant dans l'eau qui montait à toute vitesse.
France 3 Côte d'Azur l'avait rencontrée le lendemain du drame :
"J'étais dans l'eau avec les victimes et moi, je suis rescapée."
Ginette Denis, octobre 2015.
Elle reprenait après un long silence, "on ne peut pas expliquer, on ne peut pas dire ce que l'on ressent".
Un procès pour "homicide involontaire"...
D'autres communes ont été durement touchées. À Cannes, cinq personnes ont perdu la vie, à Golfe-Juan ce sont trois autres personnes qui sont restées coincées sous l'eau, dans leur véhicule, et à Antibes un homme est décédé dans un camping.
À Biot, trois personnes âgées ont été retrouvées noyées dans une maison de retraite. C'est la seule commune concernée par un procès. La justice va chercher à savoir si toutes les mesures ont été prises pour mettre en sécurité les habitants.
Plus de 8 ans après les faits, en janvier 2024, une audience aura lieu devant le tribunal correctionnel de Grasse. L'ancienne maire de Biot Guilaine Debras (divers gauche, aujourd'hui Renaissance) sera jugée pour "homicide involontaire" et mise en danger de la vie d’autrui "par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence".
Trois autres prévenus, dont le groupe de maisons de retraite Orpéa, comparaitront également lors de ce procès qui se tiendra les 16, 17 et 18 janvier prochain.
...et des plaintes classées sans suite
Qui est responsable ? À Mandelieu, la même question a été posée par les familles de victimes, mais elle reste sans réponse.
L'ancienne procureure de Grasse Fabienne Atzori n'a cette fois pas trouvé de responsabilité dans ce drame. En 2019, elle a convoqué les plaignants et les familles et leur a proposé de revoir le dossier et d'apporter des nouveaux éléments qui pourraient rouvrir l'enquête.
Cela engendrait des frais de justice de 3 000 à 5 000 euros et tous les éléments avaient déjà été communiqués, les plaignants ont donc renoncé à poursuivre leur action.
Maitre Roseline Eydoux, avocate de 4 familles de victimes, affirmait alors :
Ce n’est pas notre profession de conduire des investigations ! Quatre ans pour en arriver là, c’est un sentiment d’incompréhension et de mépris des victimes.
Maître Roseline Eydoux, en 2019.
Le parquet de Grasse nous avait indiqué en mars 2023 que : "En l’état de l’enquête préliminaire, un non-lieu a été requis en juillet 2021 et une ordonnance de non-lieu rendue en octobre suivant". Il ajoutait que : "à ce jour, plus enquête ne serait en cours sur ces faits".
Pour Ginette Denis : "C'est une décision politique pour protéger le sénateur Henry Leroy". C'est ce que pense aussi Bernard David, ancien conseiller municipal, en dénonçant : "la responsabilité accablante de la municipalité de Mandelieu" et les plaignants s'interrogent aussi sur le rôle de l'État.
Bernard David affirme encore aujourd'hui avoir : "des pièces supplémentaires confidentielles à apporter" mais ne réussit pas à les faire prendre en compte par la justice.
Les pouvoirs publics ont agi depuis. Un dispositif pour prévenir les nouvelles inondations a été installé dans les parkings des 20 copropriétés situées en zone inondable à Mandelieu-La Napoule. Ces "batardeaux" empêcheront l'eau de rentrer dans les parkings, mais pas "de s'infiltrer dans les habitations" regrette Ginette Denis, qui depuis 2015, scrute le ciel dans l'attente d'une nouvelle pluie diluvienne.