Conférence, exposition, court-métrage, table ronde, initiation… Une semaine dédiée à briser le tabou des violences faites aux femmes se déroule à Villeneuve-Loubet. Une programmation à laquelle Lucie Rouillon Goodbrake a dument participé.
Lucie Rouillon-Goodbrake est la coordinatrice du Conseil local de sécurité de la prévention de la délinquance de Villeneuve-Loubet dans les Alpes-Maritimes. Engagée et passionnée, elle a reçu le féminisme en héritage. Co-organisatrice de l'exposition "Toutes Afghanes", elle nous livre sa vision du féminisme à l'occasion de la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes.
Quelle est l'origine ou les raisons de votre engagement ?
"Personnellement, j’ai été élevé dans le féminisme. Mon arrière-grand-père était féministe. En ayant été élevée comme ça, je ne peux pas être différente. Je n’ai pas eu un déclic comme ça ce matin en me disant que j’allais œuvrer pour le droit des femmes. C’est complètement un héritage.
C’est une mère féministe, un père féministe, des grands-parents féministes, ainsi que mon arrière-grand-père qui, aussi loin que je me souvienne, était le plus ancien féministe de ma famille. Mon arrière-grand-mère est morte de la grippe espagnole à 24 ans, ma grand-mère avait 4 ans, et son mari a dû élever une petite fille toute seule. C’est devenu une femme costaud, solide, qui n’attendait rien de personne et être indépendante.
Quand on a cet héritage culturel là, on ne peut pas être différent. Aujourd’hui, j’ai trois enfants à la maison, et je les élève aussi comme ça. Ça ne peut pas être différent car on est dans la culture de l’hérédité. Ce que l’on espère, c’est une prise de conscience collective.
Qu'est-ce qui vous a poussé à oeuvrer dans l'organisation de cette semaine dédiée aux femmes ?
"Ce qui me motive dans l’organisation d’une semaine comme ça, c’est l’actualité. Aujourd’hui nous en sommes à 102 femmes qui sont mortes sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints depuis le 1er janvier 2021, là où il ne devrait pas y en avoir une seule.
Et on ne parle que de la France parce qu’il y a d’autres pays où il y en a encore plus. Nous sommes dans une Journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, c’est pour cela que nous avons voulu faire cette semaine en ayant une pensée pour les femmes afghanes, et que nous avons fait une exposition sur elles pour leur rendre une voix publique qui leur est interdite."
"Mohamed Sifaoui (le journaliste, écrivain et réalisateur franco-algérien, ndlr) vient vendredi 26 novembre à 17h30 faire une conférence autour de son livre qui s’appelle "Toutes Afghanes", et qui traite justement de ce que vivent ces femmes.
Il y a les 102 femmes qui sont mortes sous les coups de leurs conjoints en France, il y aussi toutes celles qui ne sont pas mortes et qui vivent un calvaire, il y a des violences psychologiques, les enfants qui sont les victimes collatérales qui assistent à ces violences et qui auront ces images à vie en tête. On doit en parler, et c’est pour cela que l’on a souhaité y consacrer une semaine.
Nous organisons notamment une table ronde pour sensibiliser la population avec comme invitée Laurence Trastour-Isnart, la députée, et vice-présidente à la délégation Droits des femmes et à la famille. Nous avons le service Parenthèse de la Casa qui sera présent.
Et puis c’est pour dire aussi aux voisins, aux familles, que lorsque l’on entend, dans un appartement à côté, que ça crie, que ça hurle et qu’il y a des coups, on n’a plus le droit de dire aujourd’hui que c’est du domaine privé et que ça ne nous regarde pas. Ça a été trop dit, et ça a abouti au terrible chiffre de 102 femmes tuées.
Quand on est voisin et que l’on entend qu’à côté, il se passe des choses et que c’est violent, on se doit d’intervenir, on se doit d’agir, a minima en appelant le 3919, c’est le numéro de téléphone qu’il faut retenir."
Quelle est la situation dans le département, quelles actions peuvent y changer le cours des choses ?
"Je sais que le département des Alpes-Maritimes est assez violent et d’ailleurs il y a beaucoup d’acteurs qui se mobilisent autour des violences intrafamiliales et qui interviennent le plus possible.
Souvent, je vois passer des messages pas très sympas, par rapport aux forces de l’ordre, par rapport à la justice, et je pense qu'eux aussi font ce qu’ils peuvent face au fléau des violences intrafamiliales. Nous sommes mobilisés toute la semaine. Nous avons une exposition sur les femmes afghanes qui est en place depuis lundi et qui continue jusqu’à dimanche. Nous sommes deux à l’avoir fait.
J’ai effectué le travail de recherche et Jonathan Moine, qui fait partie du service communication de la ville, s'est occupé de toute la mise en page de l’exposition. Ce matin, nous avons 11 élus municipaux qui sont allés distribuer des sacs à pain (Ces sacs sont imprimés avec un "violentomètre" afin de mesurer la violence dans son couple NDLR). Nous avons répondu à l’appel du collectif Nous Toutes, nous en avons édité 15.000 aux frais de la commune."
Ce week-end, un endroit de la commune change de nom. Est-ce un symbole ?
"Samedi matin, nous avons l’inauguration de l'esplanade Joséphine Baker, qui coche toutes les cases du féminisme. Elle a été militante, résistante, elle a lutté pour les droits de l’humain, et pour les enfants. Elle en a adopté 12. La municipalité a voulu lui rendre hommage en inaugurant l'esplanade."
Le tissu local associatif est-il assez développé à votre goût ?
"On commence à avoir un bon réseau avec des associations, des services de la fonction publique, avec le service parenthèse de la CASA qui œuvre dans l’accompagnement des victimes, et dans l’accompagnement des auteurs de violences conjugales.
Ils sont suivis par des travailleurs sociaux qui les accompagnent pour ne plus les voir recommencer. Si on met ces personnes en prison, sans accompagnement, il y a 9 chances sur 10 pour qu’ils réitèrent ce type d’acte.
L’objectif est qu’ils ne recommencent pas et qu’ils comprennent pourquoi il en est arrivé à mettre des coups à sa conjointe.
Quel but visez-vous dans cette lutte ?
"L’objectif idéal serait zéro victime. Mais est-ce que c’est réalisable, je ne peux pas répondre à cette question parce qu’en fait, je ne sais pas ce que l’on peut atteindre comme but. L’objectif idéal, quand vous parlez de balance ton bar, c’est qu’il n'y' est plus qu'il y ait de gros pervers qui mettent des drogues dans les verres pour aller les violer ensuite. Qu’une fille puisse marcher librement dans la rue sans se faire interpeller toutes les deux secondes, pardonnez-moi l’expression, par des gros porcs. Cela passe par l’éducation dès le plus jeune âge mais c’est tellement ancré. Une femme ça se respecte, une femme n’est pas un bout de viande. Une femme c’est l’égal de l’homme.
Les Hommes, avec un grand H, naissent et demeurent libres et égaux en droits. A titre personnel, je pense que l’égalité entre une fille et un garçon devrait avoir sa place à l’école, dans les jeux. Il ne faudrait pas interdire à une fille de jouer avec un camion. Ce sont toutes ces choses là qu’il faut revoir, y compris l’accès à la pornographie pour les plus jeunes. Comment ? Je ne sais pas. Mais on le fait de plus en plus.
La semaine prochaine, j'interviendrai dans un collège. On se rend compte que des enfants qui ont 13, 14 ou 15 ans, ont déjà des idées très sexistes. L’école c’est bien, mais certaines émissions de télé-réalité qui passent à la télé faussent l’image de la femme qui est complètement dégradée. C'est un rapport qui est complètement biaisé."