Durant ces longues journées de confirnement, nous avons tenté de donner la parole au plus grand nombre d'entre vous. Ce 12 mai, parole est donnée à une personne vivant seule dans la station de ski d'Isola 2000. Elle nous raconte ses 56 jours confinés.
Après 43 années d'enseignement en lycée et dans le supérieur essentiellement dans le Var, Christiane Journet a pris sa retraite en 2006. Elle s'est installée à Isola 2000 car y passait déjà ses vacances d'hiver et d'été.
Cette dame, nous confie comment seule avec son chat Aïda elle a vécu les 56 jours de confinement que la France vient de traverser... Mais préfère que seul son chat soit photographié :
15 mars, confirnement J-2
"Mon fils qui vit sur la côte est monté à Isola 2000 pour les élections municipales et fêter nos anniversaires, juste pour apprendre la fermeture inopinée de tous les restaurants.Nous avons quand même pu acheter un repas tout prêt à emporter chez nous. Mon fils est vite reparti chez lui afin de ne pas être bloqué ici, car il travaillait.
Cela veut dire qu'en deux mois, j'ai fait deux sorties pédestres d'environ 300 m et une plus grande dans la station mais n'ai pas mis les pieds dans des lieux publics.Depuis, j'ai sagement respecté le confinement à double titre : personne classée comme âgée et handicapée.
C'est là qu'on se rend compte combien il existe encore de personnes charitables prêtes à aider.
Plusieurs m'ont appelée pour me dire qu’elles se mettaient à mon service pour tout achat ou autre, voisins. employé de la supérette, et autres.
"Cela fait vraiment chaud au cœur"
La pharmacienne a même livré mes médicaments à domicile. La fille d'une amie m'a fait tous les achats avec une gentillesse et une disponibilité extraordinaires.Grâce à elle, j'ai vécu cette période au mieux. En effet, mes enfants habitent loin (même s'ils m'ont régulièrement contactée en vidéo avec leurs enfants, sachant que mon fils a été testé positif au Covid-19) et celui qui est dans le département, ne pouvait plus venir ici.
Si je n'avais pas eu de liens avec cette jeune femme, je n'aurais vu personne pendant tout ce temps, sachant que j'ai beaucoup de difficultés à me déplacer et n'osais plus aller dans les lieux fréquentés.
Merci beaucoup pour cette amitié et une aide quasi vitale.
Je n'oublierais pas non plus les nombreux appels téléphoniques et internet, souvent décrié mais qui peut créer et garder du lien quand on l’utilise bien.On a beaucoup parlé de la solitude des personnes en EHPAD, entourée par des soignants dévoués, mais les personnes seules ?
Une fleuriste de la vallée faisait des livraisons en drive, voire en points de livraisons sécurisés. La fille de mon amie m'a même apporté les fleurs commandées afin que je mette de la couleur sur mon balcon. Inappréciable!
La mairie d'Isola a même prévu d'offrir une composition de muguet pour les isolés complets. Tant d'attentions sont vraiment réconfortantes.
En général mon état de santé m'empêche les grandes sorties mais je m’obligeais à aller à la supérette au moins une fois par jour, histoire de voir des gens et descendais environ une fois par mois, hors saison (car plus de transport entre la station et le village, hormis un TAD (Transport à la demande) trois jours par semaine qui relie les deux parties de la commune.
Quand les gens ont envie d'aider et de sauver leur entreprise, ils deviennent encore plus ingénieux.
Mais difficile car si l'on veut continuer à aller voir les spécialistes comme avant les changements de trajet des cars, donc vers Vauban, il faut huit changements ! Deux avec le TAD descendant et montant, puis le car et deux trams !) là, il n'était plus question de trajets !
J'ai, comme d'habitude, lu beaucoup, fait des recherches sur l'ordinateur, des traductions, des Sudoku, jeux de lettres, des coloriages pour les enfants hospitalisés, admiré le paysage que j'ai devant chez moi...Ce confinement ne m'a donc pas beaucoup changée de ma vie quotidienne hors saison.
Et câliné ma minette qui a 15 ans.
Le plus pénible a été l'absence de soins médicaux car deux fois par semaine je descendais à Nice en taxi et nous n'avons pas encore repris.
J'ai souvent pensé aux familles confinées en appartement, dans des villes. Ici, je suis en appartement, mais quand je vois les montagnes et entends les oiseaux chanter...
Que dire de ceux qui n'ont comme horizon, que la façade de l’immeuble d’en face ? Je compatis pour ces pauvres enfants à qui on fait vivre un cauchemar avec la peur.
La télévision nous a montré et remontré des confinés dans un jardin, avec piscine... mais ceux-ci qui se plaignaient, ne me paraissaient pas si malheureux que cela.
Je pensais aussi à tous les malheureux de pays pauvres qui outre la famine, les guerres, la dengue... doivent sans aucun moyen vivre cette période.
J'ai, malheureusement pu constater que certains font feu de tout bois et vivent sur le malheur des gens ou espèrent retourner la situation à leur profit, pendant que d'autres risquent leur vie pour eux. Ils se contentent d’applaudir mais rejettent toute restriction de leur liberté. Celle des autres, oui, mais pas la leur. L'être humain se révèle avec ses bons et mauvais aspects.Ne sont-ils pas plus malheureux que nous ?
"Triste, mais tellement humain"
La solidarité a heureusement souvent été là mais aussi des comportements de rapaces, féroces, prêts à tout pour sauver leur peau, quitte à écraser le voisin. Triste, mais tellement humain.Je veux retenir les bons gestes, les moments de solidarité, de dévouement qui grandissent l'être humain. on fait ainsi aussi le tri parmi ses "amis" !
Par le passé, nous avons vécu de graves épidémies comme entre 68-69 quand la grippe a tué plus que ce virus et que tout le monde a poursuivi son travail sans protection pour assurer la survie des entreprises. C'est une époque où les gens n'avaient pas peur de travailler pour maintenir leur travail quels que soient les risques. Il est vrai que nous étions encore proches de la fin de la guerre alors...
Je plains tous ceux qui ont eu des pertes de salaires énormes et vont se retrouver au chômage. Rêver au retour des restaurants ouverts c'est bien mais comment respecter le port du masque alors ? Situations dramatiques là comme ailleurs, si les gens ne retournent pas travailler, ils risquent de ne plus jamais y aller.
La logique humaine fait que les gens réclament les restaurants, continuer à acheter... mais ils ne veulent pas retourner au travail.
Je reconnais que les soignants font un travail extraordinaire mais quand je lis qu'ils sont utiles, eux !, je réfute cela. Certes, quand on a peur pour soi, on passe la pommade, mais alors, pour leur éviter du travail, il faut accepter les précautions demandées.Et comment font ceux qui leur fournissent ce dont ils rêvent ?
Mais quid des éboueurs, conducteurs de cars, taxis, commerçants, facteurs, journalistes, cheminots...qui ont maintenu le pays en bon état ?
"On les oublie".
Comme les enseignants qui ont continué à gérer les enfants de soignants et ces enfants aussi, qui eux, ont continué à aller en classe sans être plus atteints que les confinés, mais ils permettaient la disponibilité de leurs parents.Ce 11 mai, la neige au réveil
Les mots de Christiane Journet recueillis le 11 mai par Anne Le Hars.