Journée mondiale de la vie sauvage : 5 questions à Rémy Masséglia, le naturaliste spécialiste du Mercantour

Le 20 décembre 2013, l’Assemblée générale des Nations Unies décidait de proclamer le 3 mars comme Journée mondiale de la vie sauvage afin de célébrer la faune et la flore sauvages et de sensibiliser le public à leur importance. Pour ce 10e anniversaire, nous avons rencontré Rémy Masséglia, le réalisateur animalier maralpin.

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Il habite Breil-sur-Roya, dans les Alpes-Maritimes, et se définit comme un "chasseur d'images". Sa principale activité, chaque jour depuis de nombreuses années, partir à la rencontre de la faune et la flore du Mercantour pour les photographier ou les filmer. C'est dire comme il les connait bien. Nous lui avons posé cinq questions sur l'intérêt d'une Journée mondiale de la vie sauvage.

  • Y a-t-il un intérêt à avoir une Journée mondiale dédiée à la vie sauvage selon vous ?

Rémy Masséglia : J'ose espérer que ce genre d'action permet d'éveiller les consciences sur un monde qu'on a tendance, au mieux, à oublier, ou pire à piétiner. Moi, je suis au contact avec d'autres êtres vivants que les humains. J'observe le fonctionnement d'animaux, d'oiseaux, de mammifères qui sont assez méconnus, mais qui, pourtant, partagent notre quotidien et qui sont relativement proches de nous. Donc en les observant, je me rends particulièrement compte à quel point les humains envahissent leurs territoires, souvent même sans s'en rendre compte.

J'ai un avis peut-être un peu sombre sur notre cohabitation avec la faune sauvage. Ce qu'il faut, c'est essayer de prendre en considération que les autres existent, quels qu'ils soient ! 

Pour être un peu positif, je dirai qu'il y a un progrès dans l'idéologie, c'est vrai. Mais dans les faits, souvent les choses avancent d'un côté et de l'autre, on recule beaucoup. Dans l'idée, avec mon épouse et ma fille, nous habitons la vallée de la Roya et je suis observateur de projets qui vont à l'encontre du savoir-vivre avec la faune sauvage.

  • Est-ce que, pour vous, il existe encore une vie sauvage ?

Rémy Masséglia : Je pense qu'elle est clairement maltraitée, mais, oui, elle existe ! Résiste serait peut -être plus adapté comme terme d'ailleurs ! Car il faut être lucide, les animaux et les végétaux sont constamment en train de s'adapter à l'homme et à ses activités. Heureusement, il y a des associations comme l’ASPAS qui crée des réserves de vie sauvage où aucune activité humaine n’est autorisée, hormis la balade contemplative. Ce label est le plus fort niveau de protection en France, car l'impact de l'homme est minimisé à son maximum.

Là, je sors de dix jours de tournage, dans la Vallée de la Roya, avec un ingénieur du son, un audio-naturaliste, pour capter les sons de nature. Nous nous sommes rendus compte que l'anthropisation sonore est vraiment très forte ! Nous étions en plein cœur du Mercantour, et on peut difficilement avoir trois minutes sans un bruit d'avion.

Et même si par moment, nous avons eu l'impression qu'il n'y a aucun impact humain sur la nature, à notre approche, les herbivores s'arrêtent de brouter, les oiseaux chantent plus fort pour essayer de couvrir nos bruits si minimes soient-ils. Les hommes ont constamment un impact sur la faune et la flore sauvage. Maintenant, c'est à nous tenter de réduire cet impact, encore faut-il que ce soit possible !

  •  Dans notre région existe-t-il encore une vie sauvage ?

Rémy Masséglia : "Oui, clairement ! Mais pour une seule et unique raison, la géomorphologie de notre région ! Dans les Alpes-Maritimes le relief est très accidenté. Nous avons donc des flancs de montagnes très boisés, très raides. Ce sont les derniers retranchements possibles pour cette vie sauvage. Dans le Var, il y a également des territoires complètement exceptionnels de végétation dense que l'homme n'a pas complètement urbanisés. Maintenant, c'est à nous, à faire en sorte d'arrêter de grignoter ces derniers espaces où la vie sauvage évolue de façon plus clémente."

  • Y a-t-il des espèces sauvages en danger dans notre région ?

Rémy Masséglia : Oui, hélas ! Il y en a énormément ! La chute des chiffres de la biodiversité ces cinquante dernières années, c'est effarant ! Et, ça continue à chuter et à s'accélérer ! On a tendance à vouloir réguler et maîtriser les choses, mais non ! Tout est lié. Et surtout, sans nous les hommes, tout se passerait très bien !

D'un point de vue global, que ce soit au niveau mondial ou de notre région, toutes les espèces dites glacières, c'est-à-dire qui recherchent le froid, sont en train de monter de plus en plus haut en altitude pour le trouver parce que le réchauffement climatique dut à l'activité humaine ne cesse de s'accroitre. 

Cette année, encore, il y a eu très peu de neige dans les Alpes-Maritimes et ce phénomène, je le constate depuis déjà plus de six ans et c'est dramatique pour certaines espèces. Je pense en particulier au lièvre variable, ou le lagopède alpin, qui deviennent blanc l'hiver pour se camoufler, dans la neige, aux yeux de leurs prédateurs. Cette année, ce sont des taches blanches sur parois brunes de la montagne. Donc beaucoup plus exposés aux prédateurs !

Il y a aussi de plus en plus d'événements climatiques dramatiques. La tempête Alex, comme dernier exemple. C'est extrêmement violent, aussi, pour la faune sauvage. Tout se dérègle. La loutre d'Europe était présente dans la vallée de la Roya avant la tempête Alex. Elle n'y est plus. Alors, l'espèce, s'est-elle éteinte ? L'espèce, s'est-elle adaptée et a migré vers d'autres contrées ? Je ne saurai le dire. En tout cas, plus de trace de loutre d'Europe dans la vallée de la Roya. C'est le constat, aujourd'hui. Autre cas remarquable, le putois d'Europe. Il était présent avant la tempête puis il a disparu. Aujourd'hui, nous avons aperçu quelques spécimens. Il faut croire qu'ils se sont adaptés ailleurs et sont revenus. Le fait que tout est lié, fait que tout se dérègle en cascade. Cela a un impact sur le moyen/long terme.

  • La pause de l'activité humaine durant la Covid a-t-elle eu un réel impact sur la faune sauvage de notre région ?

Rémy Masséglia : incontestablement. Nous avons tous pu constater que les oiseaux chantaient beaucoup plus, que certains animaux étaient plus présents aux abords des villes et villages. Mais dès le déconfinement, c'est reparti comme avant. Cette prise de conscience a été très fugace, hélas ! Combien de masques jetables, j'ai pu trouver sur les sentiers de randonnées, dans les talus… L'homme a tout d'un coup tout oublié. Il est redevenu comme avant la pandémie !

En conclusion, je dirais que chaque action pour éviter que l'on détruise un arbre, une foret, sera bonne à prendre.  Aujourd'hui, le plus important, c'est d'éviter que des espaces boisés soient bétonnées,  d'éviter de construire des terrains de moto-cross ou de poser des antennes 5G. Soyons respectueux de la nature sauvage qui nous entoure, elle n'aura plus à s'adapter ou à mourir de nos mauvais choix.

Chiffres clés de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur selon l'Office français de la biodiversité (2021)

  • 2/3 des espèces végétales françaises (3 400 espèces dont 31 endémiques).
  • 85 % des oiseaux nicheurs en France inféodés au milieu méditerranéen jusqu’au milieu montagnard.
  • 69 % des masses d’eau sont considérées en « bon état et très bon état écologique ».
  • 1ère région pour l’agriculture biologique (25,6 % de la surface agricole utile).
  • 28 % des espèces de la mer Méditerranée sont endémiques.
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