À l'origine de la mission de la Nasa pour détourner un astéroïde de sa trajectoire : ce chercheur de Nice décrypte ce succès

Il y a quelques mois, un objet humain s'écrasait volontairement sur un astéroïde afin de voir si l'homme pouvait, en cas de danger, dévier de sa trajectoire un corps céleste dans l'espace. Les résultats consolidés de cette opération ont été publiés, et c'est un succès.

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Une mission kamikaze pour tous nous sauver. La mission DART restera dans l'histoire à plus d'un titre, non seulement pour sa prouesse technique, mais aussi pour la promesse faite à l'humanité qu'il est possible de dévier un astéroïde. C'est la conclusion d'une série d'articles publiés mis en ligne par Nature.

Patrick Michel est l’un des pères fondateurs de cette mission dont la vocation, est, à terme, de constituer une défense planétaire contre les corps célestes pouvant frapper la Terre.

Il a participé à la rédaction de trois articles de la revue Nature, la plus réputée pour les matières scientifiques, mis en ligne ce 1er mars. Dans cette série de 5 parutions, les premiers résultats consolidés démontrent le succès de la mission DART. Non seulement l'objet de 580 kilos, envoyé depuis la Terre, est entré en collision comme prévu avec Dimorphos - qui fait plusieurs millions de tonnes et la taille d'un terrain de football. Il en a changé aussi la trajectoire autour de Didymos, le corps central autour duquel il gravite. Double succès.

Ces articles présentent les résultats de l'impact de la sonde DART avec la petite lune de l'astéroïde double et ce que l'on en a tiré. On a réussi, d'abord, à atteindre un corps dont on ne connaissait que la taille au départ, avec une sonde qui l'a découvert une heure avant l'impact, et qui de façon autonome a réussi à se guider pour taper dedans.

Dr. Patrick Michel, directeur de recherches au CNRS

Originaire du Var, le docteur Patrick Michel est astrophysicien de formation, directeur de recherches au CNRS, Responsable de l’Équipe TOP (Théories et Observations en Planétologie). Il travaille à l'Observatoire de la Côte d'Azur, à Nice. Cette sommité scientifique est à l'origine de la mission DART dont les premiers travaux en ce sens remontent à une quinzaine d'années.

Le point principal de cette opération spatiale était surtout de savoir s'il était possible de faire changer de trajectoire un corps céleste.

"On a en plus produit une déviation de sa trajectoire autour de son corps principal qui semble être assez conséquente, donc cela démontre que l'on a été capable d'atteindre cet objectif, de taper dans un objet et de le dévier de sa trajectoire".

Un impact qui laisse des traces

"Les conséquences de cet impact ont été assez majeures, en termes de matières produites, puisque le télescope Hubble [...] pour montrer que la matière éjectée a suivi une évolution qui l'a menée à produire une queue, un peu comme une comète, qui s'étale sur 10.000 km. C'est quelque chose d'assez majeur", enchaine le Dr. Michel.

Les images à bord de la sonde DART ont également livré des informations clés sur la composition de Dimorphos, détaillées dans l'un des articles publiés en ligne sur le site de Nature. "C'est un corps qui est riche en gravier, avec des morphologies très variées et une complexité géologique assez impressionnante et magnifique, et on estime à partir d'images à deux dimensions, la forme de l'objet." poursuit le Dr Michel.

Alors que la communauté scientifique s'accordait jusque-là à l'assimiler à un ballon de rugby, en suivant "les modèles de formation d'un astéroïde double" de forme ovale donc, il semblerait que Dimorphos ait en réalité la forme... d'un "smarties, de forme oblate".

Les derniers instants avant l'impact avaient d'ailleurs été diffusés, malgré la distance. 

De nouvelles publications à venir

Ces récentes publications dans Nature ne seront pas les dernières, Patrick Michel l'assure. L'univers de cette mission DART va produire beaucoup de littérature afin d'interpréter une myriade de données encore à traiter. L'impact a livré "plus de données que ce que l'on attendait" confie Patrick Michel.

Entre la caméra embarquée de la sonde et les observations faites depuis le sol, il reste de nombreuses questions en suspens. Notamment celle de la taille de l'impact. "Est-ce que l'on a laissé un cratère ? Est-ce que l'on a complètement déformé le corps ? S'interroge le docteur natif de Saint-Tropez.

On a produit une variation de vitesse de 2,67 millimètres par seconde. C'est cela qui permet de réduire la période orbitale de Dimorphos à 33 minutes. En fait, la petite lune tournait autour de son corps principal en 12 heures 55 minutes, et on a rapproché Dimorphos de Didymos [...] et on aboutit à une période de 11 heures et 22 minutes.

Dr. Patrick Michel, directeur de recherches au CNRS

Dans quelques mois, ce sera le temps de nouvelles réponses, avec le lancement d'une nouvelle mission primordiale : "On donne, disons, une estimation de la déviation produite, mais elle dépend de la masse de Dimorphos, que l'on n'a pas, et c'est là que la mission HERA, de l'Agence spatiale européenne, va pouvoir nous documenter".

Prévue pour un lancement en 2024, celle-ci doit emporter une sonde de 1128 kilogrammes pour interpréter les résultats de l'impacteur DART, conçu par la NASA. HERA va ainsi embarquer divers instruments de mesures, dont des caméras et un spectromètre, et deux nano-satellites, Milani et Juventas. "De quoi viser un test de déviation entièrement documenté" se réjouit Patrick Michel, qui rappelle que la responsabilité de ces programmes est pilotée depuis la Côte d'Azur et son équipe. Plusieurs centaines de scientifiques travaillent sur cette mission à travers le monde, avec les industries du secteur de l'aéronautique, du spatial, et de la défense; et l'ONU - les Nations-Unies. 

La meilleure défense, c'est l'impact

Pour protéger la Terre d'astéroïdes qui pourraient avoir des effets néfastes après une collision avec la planète bleue, Patrick Michel se projette sur le temps long. Didymos et sa petite lune Dimorphos ne représentaient aucune menace, mais l'avenir peut nous réserver d'immenses surprises venues du vide intersidéral.

La défense planétaire, c'est son nom, doit nous prémunir contre ce type de risque, même si le Dr. Michel l'affirme, "aucune menace n'est avérée pour le moment". Plusieurs chercheurs travaillent à Nice sur cette thématique, un concert de scientifiques à travers le monde collaborent aussi sur ces missions "indépendamment des problèmes géopolitiques du moment", confirme Patrick Michel. 

Une conférence mondiale à Nice en 2029 sur la défense planétaire ?

D'autres missions sont à l'étude, comme celle qui devrait s'approcher d'Apophis en 2029. L'astéroïde découvert en 2004, et qui pèse entre 40 et 50 millions de tonnes, passera proche de la Terre. "On pourra même le voir à l'oeil nu" se réjouit déjà le docteur Michel.

La façon dont on gère la défense planétaire est dans la main des scientifiques, des organismes publics et gouvernementaux, des agences spatiales.

Dr. Patrick Michel, directeur de recherches au CNRS

À cette occasion, le Dr. Patrick Michel va "probablement organiser à Nice la conférence de défense planétaire en 2029". Un moment qui permettra, entre autres, d'aborder les différents scénarios à envisager et les réponses à apporter.

"La NASA va lancer aussi une mission qui va faire l'inventaire de tous les objets plus grands de 140 mètres depuis l'espace" conclut Patrick Michel. De quoi référencer et quantifier les menaces potentielles pour la planète. 

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