ENTRETIEN. Le président de SOS Racisme a déposé plainte contre deux plagistes de Juan-les-Pins accusés de discrimination

Cet été des couples de noirs, de Maghrébins et de blancs ont testé les plages privées de Juan-les-Pins. Seuls les blancs ont réussi à obtenir des transats. Le président de SOS Racisme s'est déplacé à Grasse ce vendredi 16 septembre pour déposer plainte.

En 2022, l'association SOS Racisme n'a pas fini de lutter contre les discriminations raciales. Cet été, elle a organisé un "testing" sur les plages privées de Juan-les-Pins. Deux d'entre elles ont refusé l'accès aux couples de noirs et de Maghrébins.

Ce vendredi 16 septembre 2022 le président de SOS Racisme, Dominique Sopo est venu déposer une plainte auprès du tribunal de Grasse, mais il a peu d'espoirs. Pour lui, la justice et les pouvoirs publics sont trop "passifs" dans ce genre d'affaire. 

Quelles opérations avez-vous menées cet été dans le sud de la France ?

"Le 30 juillet dernier, SOS Racisme a mené des « testing » estivaux en ce qui concerne notamment les plages privées de Juan-les-Pins. Dix plages privées ont été testées. Des personnes de différentes origines ont été envoyées pour voir si les réponses étaient différentes. Nous avons constaté des discriminations de la part de deux plages privées : les personnes d’origine maghrébine et/ou subsaharienne n’ont pas pu accéder aux plages alors que les personnes blanches ont pu le faire. Cette discrimination, en droit français, est considérée comme un délit. Nous avons donc déposé plainte au tribunal de Grasse."

"Il y a aussi eu des opérations de « testing » à Marseille et à Aix-en-Provence. Nous avons constaté des discriminations sur une plage et un restaurant à Marseille, mais aussi au sein de la discothèque d’Aix-en-Provence. Des plaintes vont également être déposées."

Qu’est-ce que c’est une opération de « testing » ?

"C’est une action qui permet de constater s’il y a discrimination ou pas. On s’en sert parce que la discrimination n’est pas évidente à prouver. Les gens vont très rarement assumer qu’ils vous refusent pour tel ou tel critère, interdit par la loi."

"Lors d’une opération de « testing », on prend des gens identiques en tout point : âge, tenue vestimentaires, etc. La seule différence porte sur leurs origines. On envoie ces personnes demander un logement, un travail, ou tenter d’entrer dans une discothèque et on regarde si les réponses sont les mêmes. Si ce n’est pas le cas, si on dit « oui » aux blancs et « non » aux noirs et aux Arabes, on conclut de cette différence de traitement qu’elle est liée à l’origine réelle ou supposée des personnes."

Ces vidéos de « testing » suffisent-elles à ouvrir une enquête ?

"C’est une méthode de preuve reconnue comme admissible par la Cour de cassation en 2002, suite aux actions de SOS Racisme."

"Nous avons commencé à mener ces opérations de « testing » à la fin des années 1990 chez SOS Racisme, notamment sur les boites de nuits, l’accès au logement ou encore à l’emploi."

"Elles suffissent à ouvrir une enquête, mais cela ne veut pas dire qu’il y aura forcément un procès. En déposant la plainte ce matin, nous avons appris que le parquet avait ouvert une enquête. Il peut ensuite dire que les faits sont susceptibles d’être qualifiés de discrimination pour être renvoyés en correctionnelle."

À quoi peuvent mener ce genre d’opérations ?

"On en fait tous les étés et parfois, on cible des secteurs. Par exemple, ces derniers temps, les questions de locations immobilières, à la suite de quoi des pratiques scandaleuses ont été dénoncées dernièrement, et en 2019. Cela nous a permis d’obtenir une obligation de formation mise en place par l’Etat, des agents immobiliers. Ils sont désormais obligés de se former aux questions de discriminations."

Pourquoi avoir fait le déplacement depuis Paris pour déposer cette plainte ?

"C’est pour moi l’occasion de parler à nos militants et à des personnes intéressées par l’organisation des « testing ». Aussi, ça permet de révéler aux gens qu’on n’est pas totalement démunis face à ces phénomènes. Le droit est formellement de notre côté. Il y a des possibilités de montrer ces phénomènes et ces pratiques, qui sont minorées quand on interpelle les acteurs. On essaie d’inciter à l’engagement collectif".

Que disent les plagistes concernés ?

"Nous n’avons pas contacté les plagistes parce que nous sommes dans une logique contentieuse. Je remarque simplement qu’ils ont fait le dos rond et ne nous ont pas contacté, ils n’ont pas tenté de s’excuser."

"En revanche, d’autres plagistes se sont exprimés à visage découvert dans la presse. Le patron d’une plage privée à Cannes a expliqué qu’il s’agissait de « racisme fiscal » : c’est un délit. Il explique qu’en fonction de la richesse perçue des personnes, celles-ci sont autorisées ou non à entrer. « C’est du business » a-t-il ajouté. Il revendique donc un délit : celui d’une discrimination envers les pauvres, commise sur une concession de l’Etat. Les plages privées sont des concessions de l’Etat, qui délègue aux mairies la gestion de cet espace. Ce sont donc les mairies qui contractent. Pourtant, aucun maire ne s’est exprimé sur cette question. Je n’ai pas entendu le préfet non plus s’émouvoir qu’une personne puisse se permettre de revendiquer une telle pratique. Nous allons demander aux pouvoirs publics ce qu’ils comptent faire."

En quoi jugez-vous la justice et les pouvoirs publics passifs en matière de discrimination ?

"Je constate qu’il y a beaucoup de passivité en matière de lutte contre les discriminations. Dans cette affaire, la justice n’a pas spontanément ouvert une enquête. Le préfet ne met pas en œuvre son pouvoir. Je l’ai alerté, sa réponse a été : « c’est susceptible d’être pénalement répréhensible donc nous ne pouvons rien faire, je transmets au procureur pour qu’il soit attentif à ce dossier ». C’est faux. Pourquoi le fait qu’il y ait une procédure judiciaire empêcherait la préfecture de convoquer les professionnels des plages privées pour un rappel à la loi ?"

"Les pouvoirs publics font le dos rond par rapport à ce phénomène, en espérant que ça va passer. Il n’adopte aucune logique proactive."

Ces actes de discriminations, de racisme, sont-ils plus fréquents sur la Côte d’Azur que dans le reste la France ?

"C’est une question à laquelle il est difficile de répondre parce que ça demanderait de faire d’autres types d’opérations pour obtenir une valeur statistique, il faudrait beaucoup de tests et de toute façon, les plages privées sont spécifiques au pourtour méditerranéen donc il y aurait peu ou pas d’éléments de comparaison."

"En ce qui concerne le racisme en général, il peut y avoir des différences, mais là encore, ça peut être lié simplement au marché en question. Les discriminations sont en effet plus fréquentes lorsque le marché est en tension. Par exemple, dans la région parisienne, le marché immobilier est particulièrement en tension donc on va constater davantage de discriminations. Dans la Creuse, si les seules candidatures pour un logement sont un noir et un Arabe, la personne va forcément les choisir. Les discriminations montrent donc plutôt l’état d’un marché."

"La question n’est finalement pas celle des différences territoriales. À partir du moment où il y a des pratiques discriminatoires il faut lutter contre. Et on rencontre ces pratiques sur tout le territoire, c’est ça le problème."

En quoi ces actes sont souvent invisibles ?

"La discrimination est un délit très particulier. Vous ne savez pas forcément que vous avez été victime de ce délit. Si on vous vole, vous savez qu’on vous a volé. Si on vous frappe, vous savez qu’on vous a frappé. La discrimination, vous pouvez ne pas en avoir conscience quand on vous dit non à un emploi ou à un logement. Vous ne pouvez pas savoir si c’est à cause de votre couleur de peau. Et si vous avez un doute, vous n’avez pas la preuve. Et si vous avez la preuve, vous n’obtenez pas de condamnation parce que la justice n’est pas très active en matière de condamnations liées aux discriminations raciales."

La question de la lutte contre le racisme avance-t-elle ?

"La question de la lutte contre le racisme n’est pas une question linéaire. Ça avance, ça recule… Il y a des signaux contradictoires. On est dans un pays extrêmement métissé. Les gens revendiquent un niveau de tolérance conséquent vis-à-vis de l’autre. Par contre, on constate la montée de l’extrême droite et une montée des discours racistes. On est dans une contradiction."

"On ne trouve plus aujourd’hui d’endroits ou interdits aux noirs et aux Arabes donc ça a avancé, mais leur présence est parfois limitée. On progresse, mais c’est toujours fragile donc si on baisse la garde sur les discriminations raciales, ce sont des pratiques qui reviennent. Elles sont extrêmement, encrées chez les individus. Ces mauvaises pratiques reviennent très vite donc il faut être en alerte."

Qu’encourent les deux plagistes de Juan-les-Pins ?

"La base de la loi contre la discrimination, c’est une peine maximale de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende, mais, ici, il y a une circonstance aggravante car c’est un lieu qui reçoit du public, donc il risque jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende au maximum. Evidemment, ces peines sont inenvisageables, elles sont juste un indicateur. Dans la pratique, on est très loin de ces peines et les condamnations pour discrimination raciale sont plutôt proches du zéro dans notre pays, car les exigences de preuves sont tout à fait déraisonnables, exorbitantes. Si c’étaient les mêmes pour les autres crimes et délits nos prisons seraient vides."

"Ces peines maximales montrent quand même le signal que le législateur a voulu envoyer : c’est très grave, ce n’est pas quelque chose d’anodin, ça atteint profondément le lien social."

Qu’est-ce que cette plainte va changer ?

"Cette plainte permet de mettre une pression sur la justice pour qu’elle agisse, car on ne la sent pas très proactive. Nous allons regarder si des enquêtes sérieuses vont être diligentées. Lorsqu’on dépose une plainte, c’est aussi ce qui permet d’interpeller le préfet, de lui rappeler la gravité des faits et de rappeler aux maires leurs obligations. La plainte vise à interpeller l’ensemble des pouvoirs publics et l’opinion publique sur l’existence de ces pratiques qu’on aimerait voir révolues en 2022."

La vidéo du média en ligne Loopsider, qui avait filmé le "testing" à Juan-les-Pins de SOS Racisme, en caméra cachée, a totalisé 10 millions de vues. Elle avait suscité de nombreuses réactions d'élus de gauche s'insurgeant contre "le racisme structurel" de notre société.

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