"Le cœur et la tête sont encore au Soudan" : une rapatriée raconte son départ de Khartoum

Marion a quitté le Soudan, à contrecœur, évidemment. Un déchirement pour la jeune femme, évacuée du pays dans lequel elle est restée environ deux ans. Cette chargée de mission humanitaire qui a ponctué son parcours universitaire par un diplôme obtenu à l'Université Côte d'Azur a dû partir de Khartoum dans la précipitation mais elle veut y revenir, alerte sur l’accueil des réfugiés et appelle à la solidarité pour les acteurs du terrain restés sur place.

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700.000 personnes ont fui à l'intérieur du Soudan depuis le début du conflit, selon l'organisation internationale pour les migrations. En tout, le pays compte 900.000 déplacés ou réfugiés, au moins 110.000 personnes ont trouvé un frêle asile dans les pays voisins.

Les citoyens internationaux ont été évacués, souvent avec le concours des forces militaires françaises impliquées dans l'opération Sagittaire. Un premier bilan des combats fait état de plus de 750 morts selon l'Armed Conflict Location & Event Data Project - l'ACLED, 5000 personnes ont été blessées.

Parmi toutes ces trajectoires, Marion, chargée de mission humanitaire. La jeune femme dispose d'un parcours universitaire brillant, achevé par l'obtention d'un diplôme à l'Université Côte d'Azur. Droit, science politique, management de projets internationaux, géopolitique, relations internationales, prospective. Marion a multiplié les formations car "ce n’est pas juste une voie qui pourrait répondre à ces crises-là."

Elle a quitté le Soudan à pas forcé, bien malgré elle, à l'approche de ses deux années passées sur place. Elle a vécu les derniers instants d'un pays en paix avant de le voir déchiré. 

Comme beaucoup, elle a été rapatriée une fois les combats installés à la mi-avril et retrouver sa France natale. Marcher dans une ville d'Europe, c'est déjà ça.

Deux factions s'opposent, portées par le général Abdel Fattah al-Burhane, et le leader des Forces de soutien rapide, Mohamed Hamdane Daglo. Deux "chefs de guerre" qui réunissent à eux deux quelque 100.000 belligérants sur ce théâtre d'opérations, d'après le journaliste de France 24 Wassim Nasr. 

Lancement des hostilités

Des combats ont rapidement chamboulé la vie du pays et des 45 millions d'âmes qui le peuplent. Un moment que Marion garde particulièrement en mémoire : "Ça a démarré le 15 avril la guerre à Khartoum. Je faisais du canoë-kayak à 7 h 30 le matin, sur le Nil, et je me suis retrouvée par un hasard de circonstances à la résidence britannique, avec une collègue en charge de l’humanitaire. "

"Cette résidence est juste à côté du QG militaire qui a été bombardé de façon incessante. J’étais dans une localisation un peu particulière, mais j’étais dans un bâtiment très sécurisé, à la différence des gens qui étaient dans des quartiers de l’aéroport, avec des bâtiments beaucoup moins sécurisés. J’étais dans une position relativement privilégiée, c’est important de le dire" se souvient-elle. 

Le corps est en sécurité depuis que l’on a été rapatrié en France, le cœur et la tête sont encore au Soudan.

Marion, chargée de mission humanitaire et rapatriée du Soudan

Sous le signe du Sagittaire

"J’ai été évacuée grâce aux Britanniques, avec un accord des Américains, et ensuite, je suis arrivée sur le tarmac et récupérée par la France. J’ai fait partie du plan d’évacuation français, de l’opération militaire qui s’appelle Sagittaire. J’ai été prise en charge par les forces françaises de Djibouti, de mémoire le 23 avril" détaille Marion.

Lors de ces derniers moments, elle se souvient de regards échangés avec des Soudanais qui leur faisaient signe de la main. Des instants furtifs, révélateurs de la profonde gentillesse de cette population "qui était heureuse de nous voir partir en sécurité", les passants "nous souhaitaient sincèrement de faire un bon voyage".

Non loin du Soudan, une position historique des forces françaises en sur les bords de la mer Rouge, Djibouti, a permis de déployer des troupes en un temps record.

Très vite, les militaires français commencent à organiser l'évacuation de ressortissants français et étrangers de cette zone accolée à la mer Rouge. Sur ordre du président de la République, l'opération Sagittaire est lancée. Elle implique des moyens aériens, terrestres, et maritimes. La frégate Lorraine, dont le port d'attache est Toulon, est engagée dans ces manœuvres. 

Marion peut échanger à cette occasion avec les militaires, qui lui ont permis de quitter le pays sans encombre, à l'instar de centaines de ressortissants européens, personnels de l'ONU accompagnés de leur famille : "Ça a été très bien mené, et c’était difficile, pour en avoir discuté directement avec les militaires qui avaient réfléchi à tous les scénarios depuis le 15 avril. En fait, il y en avait plusieurs pour Khartoum. Dans leur exercice de prospective, c’est le pire d'entre eux qui s’est réalisé."

Marion passe ensuite quelques jours dans un "sas de décompression" avant de prendre un vol pour Paris, le 26 avril. 

C’était une opération d’une grande complexité de ce qu’ils nous en ont dit. La France a accepté de prendre une part de risques pour ouvrir la voie pour d’autres plans d’évacuation. [...] On a pu mesurer la qualité du travail et du fait que l’on a l’une des meilleures armées au monde, avec sur place les FFDJ, les forces françaises de Djibouti.

Marion, chargée de mission humanitaire et rapatriée du Soudan

Le travail du Quai d'Orsay

Marion n'oublie pas de saluer le travail du ministère des Affaires étrangères qui a œuvré depuis Paris : "Il y a eu aussi le centre de crise et de soutien, le CDCS, qui était en coulisse. On a beaucoup entendu parler de l’opération militaire, mais ce sont eux qui sont en lien avec l’ambassade au démarrage. Ils font tout le listing des Français qui étaient présents au Soudan, depuis quand, où ils étaient situés, etc, pour ensuite donner les consignes. Ils faisaient le lien avec les différentes parties impliquées. C’est un travail remarquable."

Ce fil d'ariane du Quai d'Orsay est un véritable trait d'union avec les expatriés français, vivant ou travaillant à l'étranger, qui permet aux autorités de garder une trace et un contact avec ses ressortissants.

Ça a été très bien géré. On mesure aussi la chance que l’ont d'avoir un passeport français. Une fois que l’on est en sécurité, il faut avoir conscience de cette chance qui n’est, encore une fois, pas donnée à tout le monde.

Marion, chargée de mission humanitaire et rapatriée du Soudan

Solidarité avec le Soudan

Si Marion se trouve aujourd'hui hors de portée, ce n'est pas le cas de nombre de ses amis, restés sur place. À des milliers de kilomètres de Khartoum, elle ne les oublie pas, y pense chaque jour, et tente de les aider par tous les moyens : "Personnellement, je travaille toujours à faire sortir des proches qui sont restés au Soudan, essayer de trouver des solutions. On n’est pas parti en disant, 'on ferme tout'. Ça dépend du ressenti des gens, des raisons qui nous ont emmenées là-bas et de l’état d’esprit dans lequel on est parti aussi. Ce n’est pas une histoire qui peut se clôturer quand on arrive sur le tarmac à Paris malheureusement."

Elle souligne également l'état d'esprit de la population soudanaise, souriante et résiliente. Marion garde en mémoire les derniers sourires sincères qui lui adressés par cette population, heureuse de la voir partir vers d'autres contrées davantage sécurisées, ou le partage d'un repas avec des amis musulmans à l'occasion de l'Iftar, lorsque le jeûne est rompu lors du ramadan à la tombée de la nuit.

 Tenter d'apaiser les maux du conflit

Organisés aussi, les Soudanais ont mis en place de réelles chaines logistiques et d'entraide pour tenter d'apaiser les maux du conflit.

"D’un point de vue de l’aide humanitaire, les Soudanais se sont organisés dès le premier jour, des réseaux de solidarité ont été réactivés dès les premières minutes de la crise. Des Soudanais ont aidé les internationaux à pouvoir partir. C’est ça le point important. On a beaucoup communiqué sur nos propres plans d’évacuation, mais sur le terrain, ceux qui répondent présent depuis le début de la crise, ce sont les Soudanais, et la diaspora soudanaise qui fait tout ce qu’elle peut depuis New York, Londres, Paris… Là où il existe en tout cas une diaspora soudanaise importante qui se relaie sur les réseaux sociaux, à travers des campagnes de financement participatif, pour les gens qui sont sous les bombes, qui n’ont plus accès à internet, à l’eau, à la nourriture."

Les initiatives bénéfiques pour la population fleurissent sur le terreau fertile de la guerre, privilégiant l'accueil et l'aide alimentaire.

Marion, dont l'expertise sur ces questions humanitaires est sans faille, insiste sur l'importance de ces réseaux qui restent, au quotidien, à l'œuvre sur le terrain.

Dans l’immédiat, il est vraiment possible de soutenir des actions locales. C’est peut-être le point, la force du Soudan, qui a une diaspora très mobilisée. Pour changer les choses, il faut faire à partir des gens du terrain. 

Marion, chargée de mission humanitaire et rapatriée du Soudan

Billard à trois bandes

Le Soudan, comme la Syrie ou le Yémen ? La perspective d'un conflit durable et satellitaire de la guerre entre l'Ukraine et la Russie inquiète nombre d'observateurs et commentateurs. "Le Soudan se retrouve alors au centre de l’attention avec des prises de paroles qui remontent à un très, très haut niveau, comme celle du Secrétaire général des Nations unies, parce que tout le monde panique, avec des potentiels déplacements de population majeurs, et on sait que c'est la crainte en ce moment au niveau européen. C'est difficile d'être optimiste" analyse Marion.

Il y a clairement un risque de déstabilisation majeure de la région, et plus que ça. 

Marion, chargée de mission humanitaire et rapatriée du Soudan

À l'approche du premier mois de ces combats, "il y a une grande détermination malheureusement des deux parties au conflit à ne pas lâcher" malgré l'annonce, dans la nuit de ce mercredi 11 mai au jeudi 12 mai, d'un accord entre les deux parties pour respecter les règles humanitaires, signé à Jeddah, en Arabie Saoudite, à l'heure où le pays de Mohammed ben Salmane entend assoir sa position de puissance régionale. Une trêve pour l'acheminement de matériel à destination des populations est également étudiée. 

La crainte est croissante pour cette chargée de mission de voir le conflit accaparé ou entretenu par des puissances étrangères, toujours au détriment des Soudanaises et Soudanais.

Ce sont ces préoccupations qui sont à l'origine de ce choix de carrière pour Marion, tourné vers l'autre et de lointains horizons.

Tout est lié, ce qu'il se passe en Ukraine actuellement, la force de frappe de la Russie, de Wagner... C'est ça qui est triste et passionnant à la fois. Ce qui se passe au Soudan dépasse largement le Soudan.

Marion, Marion, chargée de mission humanitaire et rapatriée du Soudan

Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s'est quant à lui inquiété dès début du conflit de la présence du groupe de mercenaires russes Wagner, très actif en Afrique, qui pourrait donner une toute autre dimension à ces combats.

Un avenir funeste pour le Soudan que redoute Marion. Elle espère pouvoir retrouver les contrées soudanaises et pouvoir œuvrer à aider la population qu'elle a adorée côtoyer pendant deux ans. Et de pouvoir recroiser le sourire des passants.

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