"Les mots, ça aide à devenir plus fort" : quand les enfants témoignent au procès en appel de l’attentat du 14 juillet à Nice

Cet après-midi du lundi 6 mai, des enfants ont témoigné devant la cour d’assises spéciale de Paris. Des mots d'enfants et d'adolescents pour raconter cette soirée du 14 juillet 2016 qui devait être une fête et qui s'est transformée en un véritable cauchemar. Des enfants, trop jeunes lors du premier procès, qui aujourd'hui vont pouvoir témoigner et mettre leurs propres mots sur toute l'horreur qu'ils ont vécue.

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Le procès en appel de l’attentat du 14 juillet 2016 de Nice entre dans sa troisième semaine.

Le soir du drame, ils étaient près de 3 000 enfants, accompagnés de leurs parents, leurs familles et leurs amis pour voir le feu d'artifice depuis la Promenade des Anglais.15 d'entre eux ont perdu la vie. Des centaines et des centaines d'autres, blessés mais vivants, doivent se reconstruire.

Parmi les enfants rescapés, une dizaine de mineurs à l'époque des faits et encore mineurs aujourd’hui vont livrer leur version de cette soirée qui a bouleversé leur vie.

Témoignages retransmis en visio

Depuis l'ouverture du procès, jamais jusqu’ici de jeunes mineurs n'avaient raconté cette tragédie en audience publique. Le président Laurent Raviot l’avait refusé lors du premier procès.

Christophe Petiteau, son successeur, l'a cette fois-ci autorisé. Et ce à une seule et unique condition, que les enfants témoignent depuis une salle du Tribunal de Nice en visioconférence. Une mesure qui selon le président du tribunal "dispense les mineurs de leur présence physique dans la salle Grand procès à Paris. De la sorte, ils ne seront pas confrontés au regard des accusés, Mohamed Ghraieb et Chokri Chafroud, rejugés pour association de malfaiteurs terroriste".

Des mots d'enfants pour raconter l'horreur

À 13h15 ce lundi, à la reprise de l'audience, dans la salle de retransmission à Nice, l'ambiance est lourde. Parties civiles, public et journalistes attendent, avec une certaine émotion, la déposition de deux enfants. Un frère et une sœur, âgés aujourd’hui de 13 et 12 ans.

Lors de ce feu d'artifice tragique, de nombreux enfants ont croisé la mort à l’instar de Landy et Telyan Rambeloson. C'était il y a huit ans. Eux avaient respectivement cinq ans et demi et quatre ans.

"Nous passions une très bonne soirée. Nous marchions, tranquillement, sur la Promenade des Anglais. D'un coup, boum. Puis, plus rien". La voix de Landy Rambeloson est claire. Elle n'hésite pas. La jeune adolescente de 13 ans est posée. Calme. Elle s'applique à lire sa déposition. À raconter son histoire.

Nous passions une très bonne soirée. Nous marchions, tranquillement. D'un coup, boum. Puis plus rien.

Landy Rambeloson - victime de l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice.

"Nous avons été percutés par la foule et par un camion. Quand je suis tombée, j'ai perdu connaissance. J'ai eu un enfoncement du crâne et la jambe cassée. À un moment, j'ai repris mes esprits. Mon petit frère n'était pas loin. Papa et maman aussi. Mais mon autre petit frère de huit mois n'était plus là. Papa cherchait la poussette partout. Quand il l'a retrouvée, elle était cassée et vide. Bébé n'était plus là. Mes parents sont devenus fous. Papa cherchait bébé sur les tas de gens morts. Maman criait."

C'est avec une extrême précision que Landy raconte. Les mots sont sobres. Mais ils raisonnent de toute l'horreur que cette petite fille de cinq ans et demi à l'époque a vécue.

Elle raconte l'angoisse, la peur, les cris, la folie, le sang, les corps morts les uns sur les autres. Elle raconte tout. Tout du soir et d'après. Les blessures physiques, les blessures psychologiques, les cauchemars, le décrochage scolaire... Elle se souvient exactement de tout.

C'est important de témoigner aujourd’hui. Je vais tout raconter. C'est important de tout décharger une fois pour toutes. Cela doit être su par tout le monde, et les accusés aussi.

Landy Rambeloson - victime de l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice.

Puis elle ajoute : "C'est important de témoigner aujourd’hui. Je vais tout raconter. C'est important de tout décharger une fois pour toutes. Cela doit être su par tout le monde, et les accusés aussi, parce que tout ça restera gravé dans l'histoire de ma vie".

Dans la salle d'audience, plus un bruit. L'assemblée retient son souffle.

Puis vient le tour de la déposition de Telyan, son petit frère. Lui avait quatre ans à l'époque des faits. Lui aussi, il lit. Il paraît plus fébrile que sa sœur. Sa feuille semble trembler, un peu. Puis d'une voix à la fois douce et forte, il commence à parler : " Je me sens capable de parler. C'est important la parole d'un enfant qui avait quatre ans en 2016".

Je me sens capable de parler. C'est important la parole d'un enfant qui avait quatre ans en 2016.

Telyan Rambeloson - victime de l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice.

Alors, lui aussi raconte le mal dans sa chair et ses conséquences. " J'ai eu une fracture de la mandibule. Pendant deux mois, je n'ai mangé que du liquide". Puis, il raconte le mal dans son être, après l'horreur de cette soirée :

Quand le soir arrive, j'ai peur. Peur d'être séparé de mes parents. De ma famille.

Telyan Rambeloson - victime de l'attentat du 14 juillet 2016.

"Lors de l'attentat, j'étais perdu. Je ne comprenais pas. Puis, après, j'étais tout le temps terrifié de tout. Toutes les nuits, je faisais et je fais encore des cauchemars. Je me faisais tout le temps pipi dessus. Aujourd’hui encore, quand le soir arrive, j'ai peur. Peur d'être séparé de mes parents. De ma famille".

Le jeune garçon égraine ses angoisses et l'auditoire encaisse ses paroles comme des uppercuts. Il s'arrête un instant. Puis reprend du ton d'un enfant qui va bientôt mettre fin à son propos : " Merci de votre écoute. Cela fait du bien. Je vous remercie tous. Cela va aider les enfants et les victimes". Et de conclure définitivement avec une douceur palpable : " Dans ce malheur, l'union fait la force. Le meilleur reste à venir".

Merci de votre écoute. Cela fait du bien. Je vous remercie tous. Dans ce malheur l'union fait la force. Le meilleur reste à venir.

Telyan Rambeloson - victime de l'attentat du 14 juillet 2016.

Des années et des années de préparation

Quelques minutes pour raconter leur histoire et des jours, des mois, des années de préparation et d'accompagnement par des pédopsychiatres, des médecins et des parents qui inlassablement tiennent la main de leurs enfants pour les accompagner vers un avenir que tous veulent meilleur.

"On voit que nos enfants sont meurtris. On voit qu'ils ont tout compris et nous, parents, nous nous devons de les accompagner. Je ne voulais pas au début que ma fille témoigne. Mais elle a insisté et elle m'a persuadée. Les psychologues et les médecins m'ont dit que si ma fille voulait témoigner, il fallait la laisser témoigner. Bien sûr, en l'accompagnant. Mais c'est vital pour eux-aussi de raconter ce qu'ils ont vécu. Car, même à quatre ans, l'âge de Kenza en 2016, elle se souvient de tout et encore plus précisément que moi." Hager Ben Aouissi, victime de l'attentat du 14 juillet et maman de Kenza, également victime de l'attentat, âgée aujourd’hui de 12 ans.

À la suite de l'attentat, cette maman a fondé l'association "Une Voie des ENFANTS".

Les psychologues et les médecins m'ont dit que si ma fille voulait témoigner, il fallait la laisser témoigner.

Hager Ben Aouissi - Victime et fondatrice de l'association "Une Voie des ENFANTS".

C'est lors d'une séance chez sa pédopsychiatre que Kenza a décidé de témoigner à ce procès. Elle avait 10 ans.

La thérapeute se servait d'une bande dessinée racontant un attentat et Kenza a décidé, à ce moment précis, qu'elle voulait témoigner au procès. Elle nous explique pourquoi :

"Je veux dire au juge, à toute la cour, tout ce que j'ai vécu. Et cen'est pas parce que j'avais quatre ans que je n'ai rien à dire. Je me souviens de tout. Je me souviens de beaucoup de trucs que j'ai vus, que j'ai entendus. Je veux que tout le monde sache. Je trouve ça important et que même les méchants, ils entendent. Je veux qu'ils entendent mes propres mots. Tout ce que j'ai vécu. Comme mes copains qui ont témoigné aujourd’hui. Ça m'aidera à avancer. Les mots, ça aide à devenir plus fort. Parce qu’à chaque fois que j'entends une sirène, que je vois des policiers, que je pense à mes cauchemars, j'ai trop peur. Je vis ça tous les jours. Je veux que les gens le sachent et que les méchants dans le truc en verre entendent"

Les mots ça aide à devenir plus fort. Je veux que les gens sachent et que les méchants dans le truc en verre entendent.

Kenza Ben Aouissi - victime de l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice.

Une dizaine d’enfants devraient joindre leur voix à celles de Landy et Telyan Rambeloson. Demain, ce sera le tour de celle de Kenza. Elle attend ce moment avec impatience et était à la retransmission du procès cet après-midi.

À la mi-juin, le procès livrera sa vérité. Ces enfants, plus encore que leurs aînés, pourront peut-être se retrouver dans les derniers mots de la déposition de Telyan, 12 ans, à l’audience de ce lundi : "Dans tout ce malheur, l'union fait la force. Le meilleur reste à venir". Les auditions auront lieu jusqu'au 14 juin prochain.

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