Passionnés de spéléologie, ces quatre Niçois, Eric Gilli, Franck Tessier, Eric Citone et Daniel Bessaguet parcourent la planète à la découverte d'un monde souterrain encore inconnu. Ce qu'ils affectionnent particulièrement, les grottes et les galeries souterraines. Leurs objectifs, comprendre les mécanismes de leur formation. À Madagascar, les compères ont fait une découverte inédite.
Tout a débuté le plus simplement du monde. C’était au siècle dernier. Sur les bancs de la faculté de géographie de Nice, Eric Gilli assiste à un de ses cours. Pour illustrer son propos l'enseignant étale sous le nez de ses étudiants une carte. Elle est issue de la thèse de Georges Rossi sur "les problèmes géomorphiques de l’extrême nord de Madagascar" : "Ça a été comme une révélation" se souvient l’enseignant-chercheur universitaire, aujourd’hui, à la retraite. "Pour moi, c’était comme une carte aux trésors. J’étais totalement fasciné par la vision de ces cartes" explique-t-il les yeux encore pétillants d’émerveillement ".
Sur les pas de Gérard Rossi
Alors, durant des années, il mûrit son projet. Son objectif : découvrir ce que pouvait cacher le massif d'Antakarana situé au nord de Madagascar, dans la région d’Antsiranana, entre le Cap d’Ambre et Ambilobe.
Ce massif de l’Antakarana, est constitué de nombreuses grottes et de Tsingy ou pics rocheux calcaires. Selon l’histoire de l’île, il aurait servi de refuge providentiel au peuple de l’Antakarana lors des nombreuses guerres et sièges qui ont secoué cette région. C’est également un lieu de repos éternel pour les premiers rois.
En 1981, Eric Gilli, réussit à embarquer dans son aventure, des passionnés de spéléologie, comme lui. "Cette expédition a été difficile à monter et à vivre. Le pays sortait de huit ans de révolution marxiste et les autochtones n’étaient guère enclins à accueillir des étrangers, blancs de surcroît" et d’ajouter "la région est composée de pics rocheux calcaires extrêmement rapprochés et mortellement tranchants. Pour atteindre le sol, il faut les escalader en passant par des blocs effilés et aiguisés comme des couteaux. Si vous ne faites pas attention où vous posez les mains les parois peuvent vous les lacérer en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Qui plus, à cette époque, il n’y avait pas, ou très peu, de chemins pour accéder directement au pied de la montagne et encore moins à d’éventuelles entrées de grottes."
Les pics rocheux calcaires sont effilés et aiguisés comme des couteaux. Toute chute est fatale.
Eric Gillià France 3 Côte d'Azur
Si, lors de cette première expédition, leurs explorations n’ont pas été aussi fructueuses que ce que le petit groupe en attendait, elles leur auront, au moins, permis de se familiariser avec les lieux et les autochtones. "Je me suis promis d'y revenir pour percer ce mystère du massif d'Antakarana".
Vive le deux-roues
En 2005, les explorateurs repartent à la conquête de l’Antakarana. En plus de 20 ans, Madagascar avait eu le temps de changer. De s’ouvrir au monde, mais aussi et surtout, de s’équiper de moyens de locomotions individuels tel que le vélo. "Cela peut paraître complètement anodin, mais grâce à l'arrivée du vélo sur l'île, les Malgaches ont pu sillonner leur territoire, se frayer et créer des sentiers. Nous n’avions plus qu’à suivre leurs pistes ",se souvient un des membres de l'équipe.
En 1981, les locaux ne comprenaient pas très bien ce que nous venions faire chez eux. Ils pensaient que nous étions des espèces de chercheurs de saphir, d’or ou de trésors perdus.
Eric Gillià France 3 Côte d'Azur
Les explorateurs parcourent, alors, la région à moto. En long, en large et en travers. Eric et ses amis scrutent les paysages, cartographient, s’arrêtent dans les villages, discutent avec les autochtones et, surtout, écoutent les histoires racontées par les anciens. "La culture malgache est tournée principalement vers le passé. Leurs us et coutumes respectent les ancêtres. Les traditions sont scrupuleusement observées. Si l’on est respectueux de leur culture, il n’y a pas de problème. À cette époque, les locaux ne comprenaient pas très bien ce que nous venions faire chez eux. Ils pensaient que nous étions des espèces de chercheurs de saphir, d’or ou de trésors perdus ! Quand nous leur expliquions que nous étions là pour comprendre comment s’étaient formés les lieux, les montagnes, les collines, les forêts de pics rocheux calcaires, ça avait vraiment l’air de les dépasser complément. Nous leur avons, même, proposé de nous accompagner mais ça ne les intéressait pas. D’ailleurs, ils manifestaient une certaine appréhension à pénétrer dans les grottes."
À force de quadriller, méthodiquement, la région, leurs prospections finissent par porter leurs fruits. Et, quand Eric Gilli raconte, vous vivez l’aventure avec lui : "Un jour, nous avons découvert une petite butte calcaire, située au sud du massif. Cela nous a vraiment intrigués. Nous avons cherché comment l’aborder. Comment l’approcher, au plus près. Cela n’était pas facile. Nous connaissions la morphologie hostile des lieux. Le moindre faux pas est fatal au grimpeur. Et puis, enfin,un jour, nous avons découvert une petite butte. À première vue, elle faisant à peu près 1,5 km2. Nous ne le savions pas encore, mais nous n’étions qu’au tout début de nos surprises et de nos fabuleuses découvertes."
Nous ne le savions pas encore, mais nous n’étions qu’au tout début de nos surprises et de nos fabuleuses découvertes."
Eric Gilli
Une mission aux objectifs scientifiques multiples
Avec cette première exploration, l’équipe de scientifiques parvenait enfin à ses aspirations : d'une part, mener à bien une "belle expérience de spéléologie" ; d'autre part "accéder visuellement à l’aspect géomorphologique de la cavité". Le géographe nous explique : "Grace à nos connaissances de chercheurs scientifiques et à nos explorations minutieuses nous avons pu commencer à comprendre et à expliquer comment cette grotte s’était construite. Si l’on en croit l’histoire de la formation de terre, ce massif, calcaire, a commencé à se creuser au moment où Madagascar s’est séparée du continent Africain, créant ainsi le canal du Mozambique, il y a environ 120 millions d'années. Une période géologique agitée, ponctuée de nombreux événements volcaniques qui ont eu pour conséquences de créer ces grottes. Par ailleurs, il semblerait que nous puissions expliquer la présence des labyrinthes par deux causes. En premier lieu, le phénomène de l’érosion de l’eau, mais également par la présence toute proche de deux fleuves qui ont dû, par période, sortir de leur lit et creuser des canaux à l'intérieur du massif."
Des petits poucets cartographes
Au cours de leurs missions, les spéléologues passent de nombreuses heures sous terre. Un seul mot d'ordre pour maintenir la sécurité du groupe : vigilance. Un seul mot d'ordre pour valider scientifiquement leur travail : méthodologie. "Lors de notre expédition de 2018, nous sommes retournés, exactement, au même endroit et nous avons poussé notre exploration. Nous nous doutions qu’il y avait encore des galeries à découvrir" .
Ce sont alors, encore, des kilomètres de tunnels que les explorateurs découvrent. Si la joie était au rendez-vous, une de leur plus grande difficulté a été de s’orienter sous terre : "Pas simple de savoir où nous sommes sous terre quand on y reste cinq à six heures d'affilée ! Nous avons donc décidé d’avancer en faisant des marques à la craie sur les parois ou en laissant des petits bouts de papiers numérotés sous des pierres. Grand bien nous en a pris. Cela nous a évité de nous perdre et surtout cela nous a simplifié notre travail de cartographie. Nous avons pu tout répertorier en détail et aussi être les premiers à l’avoir fait".
La chauve-souris : cause et conséquences
C'est, encore, au cours de cette mission de 2018, que ces scientifiques arrivent à une conclusion jusqu’alors inconnue de tout chercheur : La faune tout à fait particulière de ces grottes calcaires aurait un impact sur sa géomorphologie. "À un moment, nous nous sommes retrouvés dans une cavité de grande taille. Elle était couverte de chauve-souris. À y regarder de plus près nous avions l'impression que cet espace avait l’air d’avoir été agrandi. Vraiment, ça nous a laissés perplexe. Oui je sais, ça semble fou de dire cela. Nous y sommes restés longtemps. Nous y sommes retournés, à plusieurs reprises. Nous avons observé et observé. Sur les plafonds, les parois et les sols, nous avons remarqué comme des milliers de microcavités. Nous avons réfléchi et nous en sommes arrivés à la conclusion que ces petits habitants avaient dû modifier, au fil du temps, la morphologie de la cavité. Je vous parle d’un temps long. Un temps qui s’écoule sur plusieurs millions d’années, avec plusieurs milliards de milliards de chauves-souris. Mais en fait, en y réfléchissant bien, tout cela était très logique. Le C02 rejeté par la respiration de ces chauves-souris, accrochées aux roches, est un mélange d’eau et de gaz carbonique, comme nous d’ailleurs. Mais, ce gaz est agressif pour le calcaire. Même processus pour leurs déjections qui érodent, chimiquement, ce type de sédiment. Les sols s’enfoncent, alors et les plafonds et les parois s’élargissent".
Nous sommes les premiers à avoir résolu l’énigme de la géomorphologie de ce lieu !
Eric GilliFTV
Nous avions résolu l’énigme de la géomorphologie de ce lieu. Et, aussi curieux que cela puisse paraître, car c’est vraiment très, très simple comme principe chimique, nous étions les premiers à décrire ce phénomène et à le publier au niveau international. Il nous reste, aujourd’hui, à le valoriser en le partageant, au-delà du monde scientifique".
Une prouesse à chaque fois
En un peu plus de vingt ans, les Niçois ont réalisé six expéditions sur la butte d'Andranomilika et sur le réseau souterrain de Mandresy. Pratiquement à chaque fois, l'occasion de découvertes. "En 2005, nous avons découvert une entrée et 1,5km Nous venons de rentrer, là fin septembre 2024, et nous sommes à plus de 32 km de grottes découvertes sous ce petit monticule.
Ce qu’il y a de fascinant, aussi, dans ce lieu, c’est cette incroyable notion de "cavernement". Comment un si petit massif peut-il être rempli de plus de 30 km de galeries ? Je me demande bien comment ça peut tenir ? Ne pas s’effondrer. C’est un vrai gruyère, en fait. Voilà une nouvelle énigme à résoudre ", s’émerveille le scientifique.
Le drone en appui technologique incomparable
Lors de la dernière expédition de septembre, l’équipe s’est dotée d’un drone. Une aide technique qui lui a permis non seulement de localiser beaucoup plus facilement l’entrée de galeries mais aussi de gagner un temps précieux. "L’ascension pour accéder aux endroits précis des ouvertures est interminable. Il nous faut, tout d'abord, nous faufiler à coups de machette au travers d'une végétation dense et urticante ! Puis, il nous faut escalader une roche extrêmement dangereuse et coupante".
Puis, il nous faut nous faufiler entre les blocs de pierres pour atteindre, enfin, l'accès aux grottes. Je vous passe les mygales, les scorpions, les serpents. Il y en a partout ! Et pas qu’au sol. Pas très engageant tout ça ", se remémore, sourire aux lèvres, l’explorateur.
Une succession d'émerveillements uniques
Chacune de leurs expéditions donne aux explorateurs des occasions de vivre des moments uniques. Eric Gilli nous raconte : "Mon plus beau 'dernier' souvenir, en septembre dernier, a été de trouver encore une nouvelle entrée de grotte et de découvrir toute une nouvelle série de galeries que nous n’avions pas encore cartographiées. Cerise sur le gâteau, la découverte dans une salle immense. Plus de 200 mètres de long sur 100 mètres de large".
Vous imaginez ça sous terre. Nous pensions que cela pouvait exister et nous l’avons trouvée. Être les premiers à découvrir un territoire vierge de toutes traces humaines, c’est vraiment extrêmement émouvant", et d’ajouter, après quelques instants de réflexion "tout comme c’est émouvant de trouver, des grottes qui ont servi de lieux de sépultures à des humains. Les plus anciennes que nous avons croisées pourraient dater du XIXeme siècle au vu des objets, des porteries chinoises et des bouteilles d’absinthe que nous y avons découverts".
Cela fait partie de la culture des Malgaches qui, pour certains, encore aujourd’hui, vont trouver le repos éternel au cœur du réseau souterrain de Mandresy". Le lieu de la prochaine aventure du groupe niçois est déjà tout trouvé. Une petite île au nord de Madagascar qui abrite un massif comparable au massif de l’Antakarana. Juste le temps de réunir les fonds pour financer l'expédition et au groupe le temps d'ajuster leurs agendas... et c'est parti !