Procès de l'attentat de Nice. Cette rescapée affronte la parole des accusés : "c'est beaucoup de pipeau"

Laurence Bray est venue de son domicile dans les Deux-Sèvres pour assister à la première semaine du procès de l'attentat de Nice dont elle a été victime. Au lendemain de la prise de parole des accusés, elle se confie sur ses sentiments depuis le début du procès.

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Laurence Bray est venue avec sa fille, âgée de 21 ans, à Paris pour suivre le procès de l'attentat de Nice. En revanche, le soir du 14 juillet 2016, elle était seule sur la Promenade des Anglais.

Laurence s'était rendue sur la Prom' pour regarder le feu d'artifice - "le plus beau que j'ai vu de ma vie", précise-t-elle six ans plus tard -, alors qu'elle voyageait seule à Nice.

"J'avais un peu froid, je m'apprêtais à rentrer", retrace-t-elle. En se retournant, elle voit le camion monter sur le trottoir, au début de son parcours funeste. Elle pense d'abord que le conducteur a perdu le contrôle du véhicule.

Comprenant alors l'ampleur du danger, Laurence se fige.

Je n'ai pas pu bouger. Mes jambes pesaient des tonnes, mon corps ne réagissait plus. J'ai eu une dernière pensée pour ma fille avant de mourir.

Laurence Bray

Tout à coup, quelqu'un placé à côté d'elle la tire par les cheveux et lui sauve la vie. Le camion passe juste à côté de Laurence. 

Un procès pour "mettre un visage sur les accusés"

Six ans plus tard, la voilà au procès de cet attentat auquel elle a échappé de justesse. Pour Laurence, il était très important de se rendre disponible pour quelques moments clés de ce procès : l'ouverture, son témoignage à la barre et la semaine où le profil du terroriste sera détaillé, grâce notamment au témoignages de ses parents.

Pour cette accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH) qui exerce dans les Deux-Sèvres, l'une des choses les plus importantes pour son parcours de guérison était de "mettre un visage sur les accusés". C'est chose faite. Mais Laurence ne s'attendait pas à devoir être confrontée à leur regard de manière aussi dure.

Elle nous raconte, un moment difficile qu'elle a vécu ce mercredi 7 septembre : 

Ce matin, j'ai croisé Maksim Celaj, un des accusés qui comparait libre, dans la salle des pas perdus avant d'entrer dans la salle d'audience. Il m'a regardé, il a regardé mon badge et il a esquissé un sourire narquois en coin. Cela m'a vraiment perturbée. Je me suis sentie mal.

Laurence Bray

La victime a pu en discuter immédiatement avec une des aides psychologiques présentes sur place et facilement reconnaissable et accessible.

"C'est dur d'être mélangé à eux"

"C'est dur d'être mélangé à eux", témoigne Laurence Bray. Elle se souvient lors du premier jour d'avoir vu Endri Elezi filmer l'intérieur du palais de justice en riant.

"C'est complètement déplacé d'agir comme ça, je trouve", signale-t-elle. Elle qualifie également les retards d'Enkeledja Zace - une accusée arrivée avec plus de 20 minutes de retard les deuxième et troisième jours du procès - de "manque de respect vis-à-vis des victimes".

"Mon avocat nous a bien dit de ne pas les provoquer, de ne pas leur dire de gros mots ou quoi que ce soit mais eux, on dirait qu'ils s'en fichent", dit-elle.

Quand on lui demande ce qu'elle a ressenti lors de leur prise de parole ce mardi 6 septembre, elle baisse la voix. "Pour certains, on a envie de les croire..."

Elle se reprend : "Mais ça a l'air d'être beaucoup de pipeau." 

Lorsque Mohamed Ghraieb a adressé ses condoléances aux parties civiles, "ça nous a tué", réplique Laurence. Celui qui est notamment accusé d'association de malfaiteurs terroriste et qui comparait libre l'a particulièrement agacée : "Il se plaint de la mort de son père, en disant qu'il comprend la douleur des gens qui ont perdu quelqu'un dans l'attentat. Je suis désolée pour lui mais certains ont perdu un enfant, un mari, leur famille et c'est quelqu'un qui les a tués ! Cela n'a rien à voir !"

Toutefois, elle maintient que "ça fait du bien de les entendre".

Un procès pour créer du lien avec les autres victimes

Pour Laurence, ce procès est aussi l'occasion de créer du lien avec d'autres victimes. Les parties civiles peuvent se reconnaître facilement grâce au badge qu'elles portent autour du cou. Cela lui a permis d'échanger quelques mots et même de partager un déjeuner avec certaines parties civiles présentes au procès à Paris. "Mais malheureusement, on n'est pas très nombreux", regrette Laurence.

Comme elle habite dans les Deux-Sèvres, à Mauléon, elle n'a jamais eu l'occasion de discuter avec d'autres parties civiles auparavant.

Elle n'est jamais retournée à Nice, pas même pour les hommages annuels aux victimes. "Peut-être un jour...", se dit-elle.

Une victime isolée avant le procès

Son parcours en tant que victime a été très solitaire depuis six ans. Alors que le soir de l'attentat, elle est parvenue à se réfugier chez un homme qui habitait sur la Promenade avec un groupe de personnes qui étaient sur le parcours du camion avec elle, Laurence ne les a jamais revus.

Je me souviens que cet homme était très gentil. Quand on est partis, il nous a dit "n'oubliez pas que c'est un musulman qui vous a ouvert la porte, ne faites pas d'amalgame

Laurence.

"Mais après ça, j'ai été toute seule", déclare Laurence. Le traumatisme s'est installé : elle l'a vu immédiatement sur sa peau qui a développé du psoriasis et sur son corps, avec une forte prise de poids.

La victime voit quelques fois des psychologues mais aucun ne semble faire l'effet escompté. "Je me suis dis, si je ne me débrouille pas toute seule, je vais crever", souffle-t-elle ce mercredi dans le couloir du palais de justice.

Elle finit par voir son traumatisme s'estomper grâce à des séances de thérapie EMDR qui traite les problèmes psychologiques par des mouvements oculaires. "Avant je pleurais tout le temps, j'avais peur de tout et ça m'a permis d'aller mieux", explique-t-elle. Aujourd'hui, elle a toujours peur du bruit comme "un ballon qui éclate, un objet qui tombe sur le sol", et de la foule.

"J'adorais aller à des concerts et cela m'a été retiré", dit-elle.

Ce vendredi 9 septembre, Laurence rentrera à Mauléon. Elle prévoit de revenir à Paris dans un mois lorsqu'elle sera appelée à témoigner à la barre. "J'ai déjà l'estomac noué rien qu'à l'idée de devoir marcher jusqu'au pupitre", confie-t-elle. Elle redoute ce moment où elle devra parler "juste à côté des accusés".

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