Procès de l'attentat de Nice : "Elle ne repose pas en paix", la colère des parents d'une victime dont les organes ont été prélevés

Les parents d'Amie, victime de l'attentat de Nice le 14 juillet 2016 à 12 ans, ont témoigné devant la cour d'assises spéciale. Ils ont parlé de la colère qu'ils ressentent depuis la mort de leur fille, une colère qui n'a cessé de grandir en apprenant comment son corps avait été traité par la médecine légale.

C'est la colère qui anime les parents d'Amie, décédée à 12 ans lors de l'attentat de Nice le 14 juillet 2016. Une colère contre l'acte terroriste, mais aussi une colère contre les institutions médicales et judiciaires. Ils estiment avoir été maltraités depuis ces six années par les procédures de l'Etat français. Et avec eux, leur fille Amie, doublement victime, comme "assassinée deux fois".

Le 14 juillet 2016, Amie était invitée pour la première fois à dormir chez sa meilleure amie. Après une belle journée, les parents de son amie ont emmené les deux jeunes filles et leur fils Mehdi au feu d'artifice sur la Promenade des Anglais.

Moins d'une dizaine de minutes après le passage du camion, Anne Gourvès reçoit un appel sur son téléphone portable de Bouchra, la mère à qui elle avait confié sa fille Amie : "Anne, il y a eu un attentat sur la Promenade. Nos filles sont blessées. Mon fils est mort. Viens tout de suite pour la petite."

Panique à l'hôpital

Anne Gourvès et Thierry Vimal étaient en voiture, dans un secteur proche de la Promenade, avec leur fille cadette Laurette, âgée de 9 ans. En bas du boulevard Gambetta, les voitures n'avancent plus et des personnes courent, visiblement affolées, "comme s'il y avait une fusillade". Le temps presse. Anne s'adresse à sa fille Laurette pour lui dire qu'elle va retrouver sa grand sœur. "A ce moment-là, je ne sais pas si je parle à Laurette pour la dernière fois", explique-t-elle à la cour.

Arrivée sur la Promenade, la mère se fige : "Il y a des corps partout, comme un champ de bataille." Elle ne sait toujours pas ce qu'il s'est exactement passé sur la Promenade. Elle se remet à courir, pieds nus pour aller plus vite qu'en tongs, vers l'endroit que lui a indiqué Bouchra au téléphone. A 22h57, elles se retrouvent. Cela fait vingt minutes que le camion a terminé sa course meurtrière. Bouchra lui pointe une voiture de police du doigt et lui crie de la rejoindre pour partir avec Amie. 

Anne Gourvès retrouve sa fille allongée dans la voiture à la banquette arrière baissée. Elle ne voit pas de blessures graves, simplement une grosse écorchure à la jambe et une autre, plus petite, au front. Mais elle entend un "râle qui vient du plus profond d'elle" quand elle respire. La jeune fille est agitée, sa mère tente de la rassurer sur le chemin de l'hôpital Lenval. Dans la voiture, elle apprend que c'est un camion qui a causé tout ça.

L'arrivée à Lenval est difficile. Les véhicules de secours sont trop nombreux à attendre d'entrer. La voiture de police emprunte la voie des urgences pour les particuliers. A l'entrée des urgences, un homme en civil veut aider à sortir Amie de la voiture. "Il était certainement pétri de bonne volonté, raconte sa mère. Mais il la sort par la portière avec la délicatesse avec laquelle on déplace un sac de ciment. Cet homme va achever ma fille en croyant bien faire, en voulant aider tant bien que mal, en dépit du bon sens."

A Lenval, c'est la panique que nous décrit Anne Gourvès. Un service sens dessus dessous, certains personnels soignants bouleversés en plus d'être débordés, un manque de coordination et de moyens qui angoissent la mère qui voit sa fille s'affaiblir. Thierry Vimal, qui a confié la petite Laurette à un couple d'amis, arrive dans la salle lorsque sa fille est encore inconsciente. "Il doit se passer 5 minutes avant qu’on me dise : "On a fait ce qu’on a pu"", détaille-t-il à la cour. "Elle n'avait que 12 ans, 6 mois et 3 jours", déclare sa mère à la barre.

"Pour moi, c'était comme un kidnapping"

Les deux parents s'imaginent ne pas pouvoir souffrir davantage qu'après cette annonce. Malheureusement, une succession d'événements va creuser une plaie déjà béante. Lorsqu'Anne Gourvès demande à l'athanée à quelle heure elle peut amener les vêtements prévus pour Amie, on lui répond que c'est désormais "la police" qui détient son corps. "Sa petite sœur voulait dire au revoir à Amie, elle voulait la voir et on devait lui répondre "c'est la police qui l'a"", s'exclame Anne Gourvès. 

Le 16 juillet, la Maison des victimes demande aux parents d'Amie de venir pour un prélèvement d'ADN, une procédure permettant d'identifier les victimes. Là encore, les parents sont ébahis. Ils ne comprennent pas qu'on leur demande une chose pareille alors qu'ils étaient avec leur fille au moment de son décès. Ils demandent si une autopsie sera pratiquée, on leur répond qu'il n'y en aura pas. Ils demandent également à quel moment ils pourraient récupérer son corps pour organiser ses funérailles. Pas de réponse claire. "Pour moi, c'était comme un kidnapping", décrit Anne Gourvès. 

Les parents d'Amie finissent par apprendre qu'ils pourraient voir le corps de leur fille mais seulement "de loin à travers une vitre pendant 5 minutes, parce que c’était la procédure". La colère monte. "Quelle est cette procédure qui indique qu’on ne peut pas dire au revoir à son enfant assassinée dans un attentat ?", se demande Anne Gourvès. Lors de son audition le 14 septembre, le professeur Quatrehomme avait indiqué que dans un contexte de "pression énorme" et de "contraintes de temps énormes", il avait décidé d'adopter un protocole généralisé. C'est pour cela que toutes les victimes ont été présentées de la même manière à leurs proches, sans distinction.

Mais cette raison ne peut pas être entendue par la mère endeuillée. Elle menace d'aller parler aux caméras des journalistes qui se trouvent à l'extérieur de la Maison des victimes pour leur dire "qu’on ne veut pas me rendre le corps de ma fille""J'irai au 20h s'il le faut", martèle-t-elle. Branle-bas de combat à la Maison des victimes et quelques minutes plus tard, on lui indique qu'il lui sera finalement possible de récupérer le corps de sa fille.

Une autopsie et un prélèvement d'organes tenus secrets

Une épreuve de passée dans cette douleur déjà trop vive. Mais lorsque les parents peuvent enfin aller se recueillir, une nouveau coup leur est porté. Ils constatent, avec horreur et effroi, qu'une autopsie a finalement été réalisée. Leur fille en porte les marques, bien trop visibles. Son visage était "déformé par un rictus", son teint cireux, des agrafes étaient visibles sur son crâne. Un choc pour ses parents qui l'avaient quittée cinq jours auparavant "encore belle".

"Ils ont massacré mon enfant, déclare Anne Gourvès. Ma fille a été assassinée deux fois. Elle a été massacrée par une autopsie qui ne devait pas avoir lieu." Alors que la loi indique que les proches doivent être mis au courant lorsqu'une autopsie est pratiquée, les parents d'Amie n'ont eu aucune information, aucune explication.

Et le calvaire ne s'arrête pas là. Deux ans après la mort de leur fille, alors qu'ils tentent encore de se relever, les parents d'Amie apprennent à la lecture du dossier que ses organes ont été mis sous scellés. "J'avais besoin de comprendre pourquoi ma fille avait eu la boîte crânienne ouverte alors qu'elle était morte asphyxiée, explique Anne Gourvès. Et là, j'apprends que les organes vitaux de ma fille ont été prélevés et que personne ne nous en a informés. Ça a été comme une nouvelle décharge électrique. J’ai enfin reçu l’explication des cicatrices sur le crâne de mon enfant : ils lui ont prélevé le cerveau et ils ne nous ont rien dit."

Après des mois où elle était "plus proche de morts que des vivants", des mois "de psy, hypnose, art thérapie, EMDR, sophrologie", Anne Gourvès s'effondre à nouveau. 

Je croyais avoir dit au revoir à ma fille lors des funérailles. Je croyais que ma fille reposait en paix au cimetière mais en fait non. Ça faisait deux ans que j’allais me recueillir mais j’apprends que le cœur de ma fille est à l'institut médico-légal. Ma fille est sous scellés au CHU de Nice.

Anne Gourvès

Pour ces parents, les rites funéraires qu'ils ont exercés pour permettre à leur fille de s'en aller en paix et à ses proches de lui dire au revoir "sont réduits à néant" après cette découverte macabre. Le lâcher de ballons, les chants, les dessins des enfants, la branche d'olivier apportée par son oncle... "C'était des funérailles à son image : lumineuses et remplies d'amour", déclare Anne Gourvès. "Mais elle ne repose pas en paix."

"On n'en finit pas de nous maltraiter"

Les parents cherchent alors à récupérer les organes de leur enfant. Ils en font la demande à la juge d'instruction. Elle leur répond que c'est en effet possible, une famille américaine ayant déjà fait lever de tels scellés quelques jours après l'attentat. Stupéfaction du côté des parents d'Amie qui se demandent pourquoi eux n'avaient pas été mis au courant de tout cela alors que d'autres parents avaient pu récupérer le corps entier de leur enfant, avant la fin du mois de juillet 2016. 

Leur souhait est de pouvoir faire une crémation de ces organes pour pouvoir les rassembler avec les cendres de leur fille. Mais les pompes funèbres leur répondent que ce n'est pas possible. 

À chaque fois qu’on avançait, on était de plus en plus accablés par ces procédures. Qu’est-ce qu’on a fait pour qu’on nous fasse subir ça en plus ?

Anne Gourvès

Un nouvel obstacle barre la route des parents d'Amie dans leur parcours du combattant. Sur le procès verbal de l'autopsie, il est indiqué qu'elle a été pratiquée sur une femme "d'une vingtaine d'années". Or, leur fille avait 12 ans. Ils aimeraient donc s'assurer que les organes qu'ils voudraient récupérer sont bien ceux de leur fille en réalisant un test ADN. Cette demande leur a été refusée. "On n'en finit pas de nous maltraiter", se désole la mère d'Amie. Elle n'a pas le temps de se retourner après un nouveau coup asséné par les procédures et les institutions que le délai pour faire appel de cette décision est déjà passé. 

"J’attends toujours la preuve formelle que les organes sont ceux de mon enfant, répète-t-elle à la cour. Je ne demande pas grand chose, je demande un test ADN. Je n’ai pas confiance étant donné tout ce qu’on nous a caché ! Ce procès est l’occasion pour nous de dire ce qu’on doit taire depuis six ans parce que personne n’a envie d’entendre parler des enfants du 14 juillet découpés à l'IML de Nice."

A la fin de son témoignage, Anne Gourvès se réjouit de savoir que ce procès est enregistré pour les archives nationales. "Je dénonce les procédures inhumaines qui cachent des actes barbares, indignes de notre époque. L'intégrité de nos défunts n'a pas été respectée quand je pense qu’il y a 10 pages de photos de ces autopsies pour chaque personne." Elle espère que "dans 50 ans, on se dira : "Comme c'était barbare ce qu’on faisait à l’époque"". Elle regarde le président dans les yeux pour conclure : "Je garde espoir que ça change."

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