Vendredi 4 novembre, l'un des trois accusés d'association de malfaiteurs terroriste a été interrogé par la cour et les avocats. Tout au long de la journée, il a répété les mêmes réponses qui ne semblent pas avoir convaincu la cour.
Pendant la journée consacrée à son interrogatoire sur les faits qui lui sont reprochés, Mohamed Ghraieb a donné des réponses floues, contradictoires et a nié en bloc toute implication ou connaissance du projet d'attentat du 14 juillet 2016 à Nice. Il est poursuivi pour association de malfaiteurs terroriste et risque jusqu'à 20 ans de prison.
Dès son arrivée à la barre, Mohamed Ghraieb a rappelé qu'il n'avait pas connaissance de ce qui allait se passer le 14 juillet 2016 à Nice et qu'il n'a "rien à voir ni avec le terrorisme, ni avec la violence".
Je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans une histoire comme ça. Je suis loin de tout ça, c’est impossible. Il n'y a aucune raison pour que je casse ma vie, j’avais une vie tranquille. Je n’ai rien vu venir.
Mohamed Ghraieb
A de nombreuses reprises, l'accusé a indiqué qu'il avait vécu comme une épreuve la longue garde à vue et les multiples auditions à la suite de l'attentat. Selon lui, sa fatigue a pu créer des incompréhensions et des "mauvaises interprétations" qui ont résulté en sa mise en cause dans cette affaire.
"Une connaissance parmi d'autres"
Comme son épouse la veille, Mohamed Ghraieb n'a de cesse de minimiser son amitié avec Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, auteur de l'attentat. "C’était une connaissance parmi d’autres, je ne l’ai jamais considéré comme un ami intime", dit-il au président de la cour, Laurent Raviot. Il explique qu'il le voyait uniquement pour des "échanges de services" comme de la vente de cigarettes italiennes ou pour faire du sport. Il admet qu'il passait régulièrement à l'hôtel où il travaillait en tant que veilleur de nuit, "entre deux rendez-vous" pour discuter un petit peu.
Pourtant, lui rappelle le président, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel lui a parlé de sa relation conflictuelle avec son père, d'une tentative de suicide qu'il aurait fait quand il était jeune... Des choses que l'on raconte uniquement à ses amis proches. Mohamed Ghraieb ne se rappelle pas bien de ces moments-là, qu'il a pourtant relaté dans ses auditions de 2016. "Je m’interroge sur la fiabilité de votre mémoire ou du moins sur votre sincérité", souligne Laurent Raviot.
Le président demande à Mohamed Ghraieb de lui rappeler l'épisode où l'organisation Etat islamique a été mentionnée dans leur discussion.
On était à la plage. Au moment de partir, alors qu'il détachait son vélo, il me dit : "Tu penses quoi de l’EI ?". Je lui dis : "Pourquoi tu parles de ça ?" Il y avait des gens autour, je ne voulais pas qu’on parle de ça. Il m’a dit : "Tu penserais quoi s'ils formaient un Etat ?" Je lui ai dit : "Allez, dégage !" Il m’a regardé et il est parti à vélo.
Mohamed Ghraieb
"Et ça ne vous a pas interrogé cette question ?", lui demande le président. Pas vraiment.
Des questions sur le 14 et le 15 juillet
La cour s'est également penchée sur la soirée du 14 juillet, telle qu'elle a été vécue par Mohamed Ghraieb. Il travaillait alors en tant que veilleur de nuit dans un hôtel de l'avenue Jean-Médecin.
Après 23 heures, donc après que l'attentat se soit déroulé sur la Promenade des Anglais, Mohamed Ghraieb a appelé une dizaine de fois Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Pour quelle raison ? L'accusé indique qu'il l'avait appelé pour que celui-ci lui donne la deuxième clé du véhicule qu'il lui avait acheté le 13 juillet.
"On a l’impression que vous l’appelez frénétiquement, répond le président. Vous avez une obsession pour cette deuxième clé alors qu’il vient d’y avoir un attentat ?" "Je sais qu’il faut insister pour qu’il réponde", répond Mohamed Ghraieb. Il nie fermement le fait d'avoir eu un doute dès le soir du 14 juillet sur l'identité de l'auteur de l'attentat. Il dit avoir appris son identité le lendemain de l'attentat lorsque son cousin journaliste l'en a informé.
L'accusé a également été interrogé sur les deux vidéos qu'il a filmées le 15 juillet tôt le matin, sur la Promenade des Anglais. Sur ces vidéos, il filme parfois son visage, parfois la rue, puis la Promenade des Anglais. Les enquêteurs parlaient d'un sourire lisible sur son visage. Son expression ne montre pas un sourire évident mais il ne semble pas "particulièrement affecté, stressé ou affligé", souligne l'avocate générale.
Pour justifier ces vidéos, Mohamed Ghraieb explique que cela lui arrive de se filmer dans la rue et que prendre la Promenade des Anglais pour rentrer du travail lui arrive régulièrement, même si cela rallonge son chemin. Ce n'était pas "mal intentionné du tout", assure-t-il. Et de poursuivre : "Je regrette d'avoir fait ces vidéos quand je vois comme ça a été mal interprété, je n'ai pas réfléchi".
La cour et le ministère public s'interrogent sur pourquoi il n'a pas fait mention de ces vidéos de lui-même lors de sa garde à vue. Il ne répond pas vraiment.
Dénis et oublis
A la plupart des questions de la cour et du ministère public, Mohamed Ghraieb répond en niant ou en indiquant qu'il a oublié.
A propos du sms de janvier 2015 qu'il aurait envoyé à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel (Je ne suis pas Charlie. Qu'ils aillent se faire enc*ler et que Dieu leur ajoute plus que ça. Va faire la prière. (...) Ah oui camarade c'est des diables ces gens-là qui insultent notre cher prophète, et tu as vu comment dieu leur a envoyé des soldats d'Allah pour les finir comme des m!") : il assure qu'il ne l'a pas envoyé, qu'il aurait pu prêter son téléphone à un client de l'hôtel. Il a parlé d'un homme nommé Jamal Abbas à qui il aurait prêté son téléphone. Mais, comme le souligne la cour, aucun Jamal Abbas n'a pu être retrouvé, ni dans les clients de l'hôtel, ni dans la ville où il était supposé habiter selon Mohamed Ghraieb.
Sur les différents comptes Facebook et Skype au nom de Fabio, qu'il aurait utilisé pour parler à des femmes slaves : "Je ne me rappelle pas". Alors même que son épouse a dit le jour d'avant qu'il utilisait ces comptes pour trouver une femme à un ami. Deux explications qui ne semblent pas crédibles aux yeux de la cour et du ministère public.
Sur sa potentielle implication dans le volet armes de cette affaire, car un sms du terroriste à propos des armes mentionnait son nom, là encore il nie. "Mohamed Lahouaiej-Bouhlel ne m'a jamais parlé d'armes", affirme-t-il. Une chose qui semble étonnante encore pour la cour qui rappelle que le terroriste avait parlé d'acheter des armes à plusieurs personnes, notamment des personnes qui semblent moins proches que Mohamed Ghraieb.
Sur la location du camion, alors qu'il a reçu plusieurs sms de la part du terroriste une dizaine de jours avant l'attentat qui parlaient d'agences de location et que celui-ci lui a écrit "c'est bon" une fois qu'il avait effectivement loué le camion, il dit ignorer le sens de ces messages. "Je me rappelle très bien, déclare-t-il, sur la dernière période, il envoyait n'importe quoi, je ne faisais même plus attention."
Emmanuelle Bessonne, assesseure à la cour, lui demande s'il lui a parlé d'une telle location. "Non", assure Mohamed Ghraieb. "Donc il vous envoie des sms sur une location mais ne vous en parle jamais alors que vous vous appelez et vous vous voyez", conclut-elle.
Pour Mohamed Ghraieb, le terroriste était "dans son monde à lui" et voulait certainement le mettre "en difficulté" en envoyant de tels messages.
Après plusieurs heures d'interrogatoire, Mohamed Ghraieb s'emporte lorsque l'avocate générale s'adresse à lui :
J'étais pas un trafiquant d’armes, j'étais pas un bandit, j’étais pas un mafieux, j’étais pas un terroriste. Aujourd’hui, je me trouve traité de tout, c’est trop ! Accuser un être humain de tout comme ça... J’ai été sali. J’ai le droit de me défendre, je suis innocent !
Mohamed Ghraieb
Après avoir repris son calme, l'accusé reprend ses réponses évasives. Même lorsque son propre avocat lui pose des questions, pour lui permettre de se défendre peut-être plus habilement, Mohamed Ghraieb patine.