Procès de l'attentat de Nice : "Je suis seul, ils sont tous les six couchés", le récit déchirant de Christophe Lyon

Le 14 juillet 2016, Christophe Lyon a perdu six proches : sa femme, ses parents, ses beaux-parents, et son beau-fils. Il est le seul de sa famille à avoir échappé aux zigzags meurtriers du camion conduit par le terroriste. Six ans après, il est rongé par la culpabilité d'avoir dû choisir qui aider et qui veiller, le soir du drame.

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C’est un colosse au cœur d’argile qui s’avance à la barre ce mardi 4 octobre. Ancien rugbyman amateur, Christophe Lyon prend la parole les mains tremblantes, et ne cessera d’essuyer ses larmes.

Le 14 juillet 2016, cet ancien militaire de carrière vient de participer à une commémoration officielle dans son village de Gattières (Alpes-Maritimes). Sa famille et celle de son épouse sont réunies et s’en vont à Nice pour voir le feu d’artifice.

Après le bouquet final, ils se dirigent vers le Palais de la Méditerranée. Christophe Lyon va chercher un peu d’eau pour sa belle-mère, à ce stand de bonbons qui volera en éclats au passage du camion.

Je ne sais pas si c’est le bruit, mais j’ai eu le réflexe de me retourner et de voir le camion, j’ai juste eu le temps de me décaler sur la gauche et de voir passer le camion.

Christophe Lyon

Il est le seul encore debout : les six autres membres de sa famille sont à terre.

Tenter de garder son sang-froid

À la barre, Christophe Lyon tente de surmonter ses sanglots, comme il a tenté, le soir du 14 juillet, de garder son sang-froid pour venir en aide à ses proches : 

Je suis tout de suite allé prendre le pouls de tout le monde. J’ai mis en position latérale de sécurité ma mère et mon père, qui pour moi étaient les deux seuls qui respiraient encore.

Christophe Lyon

L’ancien militaire se souvient précisément de l’emplacement de chaque corps ; certains ont été projetés plusieurs mètres plus loin.

"Ce qui est hyper difficile, c’est ne pas pouvoir être avec tous", raconte Christophe Lyon. "On est seuls. Ils sont tous les six couchés. Même si j’ai vu que la plupart étaient partis, je voulais rester avec eux. Je les embrassais où je pouvais. J’arrêtais pas de leur dire que je les aimais."

"L'horreur de l'humanité"

Au même moment, il entend des coups de feu. Mais son désespoir est tel qu’il ne ressent même plus de peur. En revanche, la colère ne tarde pas à gronder en lui.

J’ai vu l’horreur de l’acte terroriste. Puis j’ai vu l’horreur de l’homme : les gens qui courent pour prendre des photos plutôt que de nous aider, des enc*lés qui volent sur les corps.

Christophe Lyon

"Il y en avait un sur ma mère", se souvient l'ancien rugbyman. "Sur le coup, on ne réagit pas, mais c’est l’horreur de l’humanité."

Les premières minutes sont interminables. Puis arrivent les premiers pompiers avec les brancards. Pour Christophe Lyon, c’est le moment d’un cruel dilemme, dont il ne se remettra pas : 

Je ne savais pas si je devais abandonner les membres de ma famille pour partir avec mon père. Un pompier m’a dit : 'reste avec ton père, c’est le seul qui est vivant, il faut que tu l’accompagnes'. Je l’ai regretté (…) je m’en voulais de les avoir laissés sur le goudron.

Christophe Lyon

Son père décèdera quelques heures plus tard.

Médiatisation et procédure d'indemnisation

Ce qu’il ne sait pas encore, c’est qu’il ne pourra pas retourner auprès d’eux sur la promenade des Anglais. Le lendemain matin, le secteur est bouclé, inaccessible. Commence alors une longue attente et des appels journaliers confirmant officiellement, un à un, chaque décès. Le dernier corps sera identifié le 19 juillet.

Christophe Lyon raconte alors ses déceptions et ses colères : l’insistance de certains journalistes, qui campent devant chez lui, le sentiment d’être utilisé par des politiques en quête de médiatisation, la froideur de la procédure d’indemnisation. 

On vous donne un papier à remplir, c’est du style 'évaluer de 1 à 5 la souffrance que vous pouvez ressentir'. On a juste envie de leur dire 'perds six membres de ta famille et puis on verra' !

Christophe Lyon

Il raconte aussi ce rapport d’autopsie reçu en recommandé chez lui en novembre 2019. Il concerne son père. C’est un nouveau coup dur. "L’ultime horreur n’est pas très vieille, elle date de 15 jours."

Lors de l’audition du responsable de l’institut médico-légal de Nice, l’homme découvre que des organes ont été prélevés sur le corps de son père et conservés sous scellés. "On est retombés dans l’horreur. On n’a jamais été mis au courant, personne ne nous a jamais rien dit." C'est désormais son nouveau combat : récupérer les organes de son père, comme la loi l'y autorise.

"Processus de reconstruction"

Six ans après, Christophe Lyon tente de surmonter sa peine comme il peut. "J’ai mis des couches sur l’horreur : des couches d’amitié, d’amour, de plaisir, sur une horreur sans nom."

Quand le président de la cour lui dit que "le procès est une période qui peut avoir des répercussions négatives mais qui peut aussi servir de tremplin à un processus de reconstruction", Christophe Lyon lui répond : "oui, c’est paradoxal. Ça fait du mal, mais c’est une nécessité d’être là".

Nécessaire aussi pour lui que les accusés "puissent payer à la hauteur de ce qu’on a pu vivre et qu’on vit encore".

Nécessaire, enfin, que la mairie et la préfecture prennent leurs responsabilités face aux failles sécuritaires ce soir-là. "Pas coupables, mais responsables", concluera-t-il.

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