Ce jeudi 8 septembre, au quatrième jour de procès, un ancien chef la division criminelle de la police judiciaire de Marseille a expliqué avec quelle méthodologie les constatations ont pu être faites dans les heures suivant l'attentat du 14 juillet à Nice. Malgré un sujet en théorie technique, l'émotion était palpable dans la salle d'audience.
Pour la première fois depuis le début du procès de l'attentat de Nice, des images de la Promenade ont été montrées. Des photographies de la Promenade des Anglais vidée quelques heures après l'attaque au camion du 14 juillet 2016. Le "silence de mort" dont témoigne Damien Delaby, ancien chef de la division criminelle de la police judiciaire de Marseille, est visible. Sous les couvertures, les corps de victimes. Le témoin appelé à la barre pour parler des constatations réalisées de la police judiciaire et de la police scientifique ne commente pas les photos lorsqu'il les montre à l'écran. Par pudeur ou pris par l'émotion qui tend la salle d'audience...
Damien Delaby était de permanence à Marseille le 14 juillet 2016. Une journée "sans heurt, sans aspect particulier" pour l'équipe d'astreinte. A 22h45, alors qu'il est rentré chez lui, son téléphone sonne. C'est l'état-major. "Ça fait partie de ces appels dont on se souvient toute sa vie", déclare-t-il à la barre.
Il m’avise d’un événement gravissime sur la Promenade des Anglais sans qu’on en connaisse tous les tenants et les aboutissants. On avait que très peu d’éléments sur ce qui avait été commis sur la Promenade. Mais ça ne faisait aucun doute sur la gravité des faits et la nécessité de mettre en place une astreinte et une mission pour aller épauler la police judiciaire de Nice.
Damien Delaby
Une quarantaine d'enquêteurs de la police judiciaire et de la police scientifique de Marseille partent entre 00h15 et 00h30 pour se rendre sur place. Ils arrivent vers 2 heures du matin.
"Une scène de guerre"
L'agent de la police judiciaire revit la scène à la barre. Il se souvient d'un "contraste saisissant" entre les véhicules de la police arrivant rapidement avec les gyrophares allumés et le "silence de mort" qui régnait sur la Promenade des Anglais. "Des rafales de vent balayaient la Promenade et la mer", décrit Damien Delaby.
Il organise alors le plan à suivre : diviser la scène de crime en différents secteurs pour procéder aux constatations. Habituellement, les secteurs mesurent 20 mètres sur 20. Très rapidement, les policiers s'aperçoivent que ce n'est pas la bonne méthode "compte tenu l'ampleur de la scène d'attentat". Les secteurs s'étalent alors sur 200 m tout au long des 1850 m qu'a parcouru Mohamed Lahouaiej-Bouhlel à bord du camion.
"Nous sommes aguerris aux constatations mais nous n’avions jamais rencontré une telle scène, dit Damien Delaby. C'était une scène de guerre."
Le témoin demande alors à la cour la possibilité de montrer des photographies pour illustrer ses propos. Maître Olivia Chalus, avocate de plusieurs parties civiles, intervient alors pour dire qu'il conviendrait de prévenir l'audience si ces photos vont être choquantes, notamment pour les parties civiles présentes dans la salle. Il assure avoir fait une sélection de photos les moins choquantes possible.
Sont alors montrées sur l'écran de la salle d'audience plusieurs photos sur lesquelles on peut notamment voir plusieurs corps recouverts de "draps, de nappes ou de couvertures", décrit l'enquêteur. Plusieurs personnes sortent de la salle en silence.
Rapidement, ces photos sont remplacées par un schéma de la Promenade des Anglais qui montre les 16 secteurs établis par la police pour développer ses investigations. Mais la tension ne redescend pas. Le témoin explique alors pour chaque secteur ce qui a été constaté par les policiers. Il énonce alors les noms des 70 victimes décédées sur la Promenade le 14 juillet 2016. Damien Delaby précise que 16 victimes décédées ce soir-là n'apparaissent pas dans cet exposé car elles étaient au départ blessées et avaient donc été déplacées par les services d'urgence.
Au cours de son énoncé, d'autres parties civiles sortent de la salle. Un homme couvre sa bouche avec sa main. Un autre regarde par terre. Une jeune femme regarde autour d'elle comme pour voir les réactions des autres.
"Tout enquêteur que nous sommes, on ne peut rester insensible face à cette situation", dit-il.
On ne peut rester indemne d’un tel traumatisme. Ça nous permet de comprendre les victimes et les familles de victimes.
Damien Delaby
Pour Damien Delaby, ce soir-là, "nous avons touché quel était le coeur de notre métier d'enquêteur de police" car "malgré l'émotion palpable il fallait rester professionnel pour que la vérité soit faite".
A la sortie du palais de justice, plusieurs avocats des parties civiles sont venus le remercier pour l'humanité de son témoignage et pour avoir mis en avant le rôle des primo-intervenants, dont ils défendent les droits. "Vous avez prouvé qu'ils ont été très affectés et que ce sont de véritables victimes", le remercie une avocate.
Ce jeudi matin, alors que la représentante de la sous-direction anti-terroriste répondait aux questions des partis, elle aussi a été prise d'émotion au moment de parler des victimes. Dans ce procès, même les témoins experts ou techniques, qu'on imagine avoir un recul professionnel sur la situation, se laissent parfois porter par l'émotion.