Procès de l'attentat de Nice : la vidéosurveillance a montré l'horreur sans répondre aux questions de toutes les victimes

Ce jeudi 15 septembre, la vidéosurveillance de l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice a été diffusée lors du procès. Des images choquantes et extrêmement violentes qui ont permis aux parties civiles qui le souhaitaient de reconstruire le récit de cette soirée traumatisante. Certaines ressortent déçues de ne pas avoir vu l'endroit où elles se trouvaient ce soir-là.

Ce moment était aussi redouté qu'attendu. Les bancs de la salle grand procès au Palais de justice de Paris étaient plus occupés que les jours précédents. Des parties civiles ont fait le déplacement spécialement pour assister à cette journée. Ce jeudi 15 septembre, en fin de matinée, les vidéos de l'attaque terroriste du 14 juillet sur la Promenade des Anglais à Nice ont été diffusées lors du procès.

Deux vidéos de particuliers avant la vidéosurveillance

Avant de montrer la vidéosurveillance, le président de la cour a choisi de montrer deux vidéos filmées par des particuliers le soir du 14 juillet 2016. En premier, une vidéo montre le groupe de jazz qui jouait ce soir-là sur une scène installée sur la Promenade des Anglais. Quatre musiciens habillés en blanc sont filmés de dos : la caméra est positionnée à l'arrière de la scène. Devant eux, on devine une foule compacte. 

La vidéo montre ces musiciens jouer pendant deux, trois minutes. Quand on sait ce qui arrive après, le temps parait s'étendre. Mais les musiciens, le public, eux, ne savent pas que leur vie s'apprête à changer. Ils sont joyeux, l'ambiance est festive.

A la fin du morceau, une femme monte sur scène pour demander au public d'applaudir ces musiciens. Mais ce ne sont pas des applaudissements qu'on entend. On distingue des mouvements dans la foule. D'abord minimes puis l'intensité des mouvements, du brouhaha et des cris augmentent très rapidement. Le camion passe, la caméra est récupérée par son propriétaire qui se met visiblement à courir dans la même direction que le camion. Noir. Fin de la première vidéo, la salle d'audience retient son souffle. 

La deuxième vidéo est diffusée immédiatement à la suite. Celle-ci est au format vertical. On voit le camion blanc, à l'arrêt. L'image est immobile, fixée sur cette grande masse blanche. On entend de nombreux tirs. L'homme qui filme rentre alors dans ce que l'on reconnait comme le Palais de la Méditerranée avec plusieurs autres personnes. "Oh mon dieu", cri de terreur répété par une femme qu'on ne voit pas à l'image. Les personnes cherchent un endroit pour se réfugier, marchent sans savoir où aller sur ce sol marbré dont le luxe et la propreté tranchent avec la panique ambiante. L'homme qui filme passe devant un miroir - on le voit le téléphone à la main - et on l'entend tenter de rassurer les autres personnes avec un "ça va aller" peu assuré, une fois arrivé devant des marches qui font penser à un escalier de service. La vidéo s'arrête là.

Une diffusion silencieuse et terrifiante

Le bruit des cris et des tirs laisse place au silence. La vidéosurveillance débute. C'est d'abord le camion garé sur le côté droit d'une route qui est montré. Un homme à vélo arrive, se positionne à l'arrière du camion et charge son vélo à l'intérieur du 19 tonnes. C'est Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, le terroriste qui s'apprête à se rendre sur la Promenade des Anglais, une heure avant les faits.

Il monte à bord du camion et allume les feux de circulation. Avant de partir, il descend du véhicule, fait le tour par l'avant puis remonte dans la cabine conducteur. Il met le clignotant gauche et s'engage sur la route, alors qu'une voiture se trouve sur son côté gauche. Elle passe devant et le camion prend alors la route. 

Toujours en silence, les vidéos du camion qui circule dans Nice défilent devant les yeux médusés des parties civiles, des avocats et des journalistes. L'engin emprunte la sortie Fabron de la voie Mathis, en se signalant grâce à son clignotant droit. Ces détails de respect du code de la route, l'allure normale et régulière à laquelle roule ce camion, seulement quelques dizaines de minutes avant son massacre, glacent le sang.

Il arrive au croisement entre l'avenue Fabron et le boulevard Cambrai, le feu passe au vert et il continue sa route sur quelques mètres, avant de s'arrêter sur la droite pendant quelques instants. Il enclenche le clignotant droit, puis gauche, et repart vers le boulevard de Cambrai. Il est peu avant 22 heures.

A ce moment-là, il existe un trou dans le récit. Pendant 41 minutes, on ne sait pas où va le camion. L'agent de la sous-direction antiterroriste (SDAT) chargé de l'exploitation de la vidéosurveillance a expliqué vendredi 9 septembre lors de son témoignage à la barre que la mairie de Nice lui avait indiqué qu'il n'y avait pas de caméra "dans les collines" donc il était impossible de savoir où était allé le camion pendant ce temps.

Sur la même caméra qui se situe au niveau de l'avenue Fabron et du boulevard Cambrai, on voit le véhicule réapparaitre, de face cette fois, descendant le boulevard et se dirigeant vers la Promenade des Anglais. Il actionne encore une fois son clignotant droit, comme pour éviter quelque chose ou quelqu'un qui dépasserait du trottoir. 

Changement de caméra de la ville. Celle-ci est appelée "Prom-Fabron" sur la vidéosurveillance. On comprend que les pires images sont à venir. La tension est palpable dans la salle d'audience. Le camion s'engage sur la chaussée sud de la Promenade, celle qui est placée côté mer, en roulant par-dessus le petit morceau de terre-plein destiné à séparer la voie d'insertion de la voie principale. Il s'engage à une allure rapide mais qui semble correspondre à celle des voitures autour. 

Changement de caméra : Magnan. En plan large, on constate une circulation fluide et normale. On voit le camion arriver sur la voie de droite, la plus proche du trottoir, et s'éloigner. Les images violentes s'imposent alors sur l'écran de la salle d'audience lorsqu'on passe à la caméra appelée CUM (Centre Universitaire Méditerranéen). Cette fois, cette caméra capture l'image du camion de face, sur le trottoir, en zoomant. L'agent de la SDAT a expliqué que c'était à ce moment-là que la personne au poste de vidéosurveillance de la ville avait dû repérer le camion. 

Sur le trottoir, le camion roule vite. Dans la salle d'audience, une dame sort à la hâte. Elle est suivie par des psychologues présentes en nombre dans la salle à ce moment-là. Ses sanglots sont audibles depuis le sas d'entrée. Sur la vidéo, un groupe de personnes se fait renverser. Une autre partie civile pousse un cri d'horreur et est assistée pour sortir elle aussi. Le camion retourne sur la route.

Le calme et la fête confrontés à l'horreur

Alors qu'on vient d'assister à l'horreur, un nouveau choc impacte la salle. La caméra appelée Westminster montre des gens calmes, déambulant sans crainte. Des familles, des enfants, rentrent tranquillement chez eux. La caméra bouge, la personne aux commandes de la vidéosurveillance cherche visiblement le camion. Elle le trouve juste avant qu'il ne fonce dans la foule compacte près du stand de bonbons. En une fraction de seconde, plusieurs groupes de personnes perdent la vie. Le camion laisse dans son sillage des corps disloqués.

Le camion fait des embardées de gauche à droite et de droite à gauche à la pourchasse des piétons devant lui. C'est terrifiant. On voit le scooter de Franck Terrier devant lui puis sur la caméra suivante, on voit Alexandre tenter d'ouvrir la portière et éviter de justesse le scooter de Franck Terrier. Trois autres hommes courent après le camion. Là où le camion est déjà passé, on voit la foule sur le trottoir qui semble complètement désorientée. Les gens vont dans tous les sens avant qu'un mouvement plus clair ne se forme vers l'ouest de la promenade, pour s'éloigner au maximum du camion. 

Dernier changement de caméra : Congrès. Encore une fois, le calme, la bonne humeur et cette fois la fête du concert, nous liquéfie. Zoom sur le camion qui arrive dans le fond de l'image, il semble aller moins vite. Mais la foule est particulièrement dense. Un grand nombre de personnes ne parvient pas à lui échapper. Il continue quelques mètres et arrête sa course. Les lumières se rallument dans la salle : "l'audience est suspendue", déclare le président.

Les parties civiles, les avocats et les journalistes semblent se précipiter vers la sortie comme pour échapper à l'horreur dont ils viennent d'être témoins, qu'ils viennent de revivre pour certains. Certains ont les larmes aux yeux, d'autres lâchent de gros sanglots, dans les bras de leurs proches.

Des victimes déçues

Plusieurs victimes sortent de ce visionnage avec encore beaucoup de questions. Elles ne sont pas parvenues à reconstruire le récit qui leur manquait. Stéphane Erbs, qui a perdu son épouse Rachel ce soir-là, n'a pas vu ce moment sur la vidéosurveillance : "On avait besoin de comprendre la position de Rachel mais ça n’était pas couvert par les caméras. Pour beaucoup de victimes ça va aider ça c’est sûr. Mais pour nous, c’est une frustration supplémentaire parce qu’on n'a rien vu donc on reste déçus."

Véronique Marchand, elle aussi présente sur la Promenade le 14 juillet 2016, n'a pas pu voir le moment où le camion est passé à côté d'elle non plus. "J'ai toujours mon point d'interrogation", dit-elle avec la déception dans la voix. Selon elle, toutes les vidéos des caméras de surveillance de la ville n'ont pas été compilées. L'expert de la SDAT a pourtant bien confirmé qu'il avait intégré aux scellés toutes les vidéos que la ville de Nice lui avait fournies. Par ailleurs, le président de la cour avait précisé qu'il montrerait l'intégralité des vidéos présentes dans les scellés pour ne pas faire de coupe "arbitraire et subjective".

Seloua Mensi, co-présidente de la Promenade des Anges, s'était préparée à voir le moment où sa soeur a perdu la vie alors qu'elle était accompagnée de ses enfants. Elle tenait à voir ces images pour parvenir à communiquer avec sa nièce Inès présente ce soir-là, qui n'a jamais parlé du drame depuis six ans. Mais là encore, c'est une déception. Seloua Mensi ressort de ce visionnage avec une chose en tête : "se dire qu’un être humain a pu agir ainsi, ce n'est pas possible".

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