Ce mercredi 5 octobre, la mère de la plus jeune victime de l'attentat de Nice a témoigné à l'audience. Margaux, jeune maman de 22 ans, a perdu Léana le 14 juillet 2016, alors qu'elle avait 2 ans et demi.
"Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps."
Margaux a choisi d'entamer son témoignage par ce poème de Victor Hugo. Un poème que l'auteur a écrit pour sa fille Léopoldine, décédée à l'âge de 19 ans.
"Qui aurait cru que nous étions en train de faire nos adieux ?"
19 ans, c'est l'âge auquel Margaux a accouché de Léana. Le 14 juillet 2016, la petite fille a 2 ans et demi. Sa mère Margaux l'a laissée à son père, de qui elle est séparée à ce moment-là. Elle devait récupérer la petite fille le dimanche 17 juillet.
Margaux s'adresse à sa fille devant la cour ce mercredi 5 octobre 2022 : "Je t'ai embrassée naïvement. Je t'ai dit 'Si tu veux me parler, tu dis à papa de m’appeler !' Et je t'ai fait des bisous d’un geste de la main. Qui aurait cru que nous étions en train de faire nos adieux ?"
À la fin du feu d'artifice, Margaux a envie de rejoindre son ex-conjoint, sa fille et le reste de leur famille. Elle lui envoie un sms pour lui demander où ils sont. Ils sont un groupe de treize personnes sur la Promenade. Léana est là avec son père Kamel, ses grands-parents paternels, des cousins et cousines, son oncle... Quatre personnes de cette grande famille sont décédées sur la Promenade des Anglais à cause du camion.
Léana, 2 ans et demi, Yanis, 8 ans, Mohamed, 58 ans, et Laurence, 49 ans, la mère de Kamel. Ils laissent derrière eux une famille, venue en nombre témoigner ce mercredi 5 octobre à Paris, et une peine immense.
Elle se retourne, entend des cris
Cinq minutes après le sms de Margaux, le père de Léana l'appelle en hurlant. Margaux ne comprend pas ce qu'il se passe, elle se trouve plus loin sur la Promenade, là où le camion n'est pas encore passé. Elle se retourne, entend des cris et voit les gens courir vers elle.
Margaux court à son tour, jusqu'au cours Saleya, et se réfugie dans un restaurant. Elle parvient à avoir la tante de Léana au téléphone qui lui répond : "Ma mère est morte, Yanis est mort et ils essaient de réanimer Léana".
Margaux prévient son père Alain qui habite près de la Promenade. "En dix minutes, on était sur place", raconte-t-il à la cour, témoignant juste après sa fille. L'homme est entré dans un "autre monde" au moment où il a posé le pied sur la Promenade ce soir-là. Lorsqu'il arrive, il voit des personnes qui tentent de réanimer Léana. En vain. "On lui a tenu la main jusqu’à 7 heures du matin, se souvient-il. On ne voulait pas la laisser sur le trottoir."
"Pourquoi toi ?"
Dans la soirée, Kamel rappelle Margaux et lui annonce que "c'est fini".
C’est fini ? Qu’est-ce qui est fini ? Naïvement, je me suis dit qu’elle ouvrirait les yeux une fois qu’elle me verrait. Trois jours plus tard, j’ai pu te voir, tu ne t’es pas réveillée. Ni mes cris, ni mon amour n’y ont fait quelque chose.
Margaux, mère de Léana
La jeune maman continue : "Les attentats, c’est contre les adultes qui n’ont rien fait, rien demandé à personne, dans un pays qui n’est pas en guerre. Ça, on l’a assimilé. Mais pourquoi toi ? La vie est tellement longue sans toi."
Chaque jour depuis, cette mère se demande si Léana a vu le camion arriver, si elle a eu peur. "À quoi pensais-tu avant que ton petit corps tombe sur le sol, mettant un point final à nos vies ?", s'interroge-t-elle devant la cour. Elle poursuit : "Je ne saurai jamais si tu as souffert. Je ne saurai jamais s'il t’a vue et si, en te voyant, il a fait exprès de tourner le volant. En tout cas, son but était de te tuer et il l’a fait."
Mère à nouveau, mais "plus jamais la même"
Margaux, qui habitait chez ses parents avec Léana, n'a pas pu retourner chez eux. Seul Alain était capable d'entrer dans la chambre de la petite de temps à autres pour aérer. "Ce n'était pas vivable, il a fallu qu’on déménage", explique-t-il.
Ce terrible drame a rapproché Kamel et Margaux, qui s'étaient séparés après la naissance de Léana. Depuis, ils ont donné naissance à deux autres petites filles. Avant de se séparer à nouveau.
Dans mon malheur, j’ai eu la chance de revivre ce bonheur de mettre au monde. J’ai mis au monde deux cœurs que je me dois de faire battre chaque jour.
Margaux, mère de Léana
Margaux sait dorénavant qu'elle ne sera "plus jamais la même mère". Elle voit ses deux autres filles comme "deux fois plus de chances de souffrir". Elle se retrouve des fois à se demander : "et si, elles aussi, je devais les enterrer ?".
Les deux petites savent qu'elles ont une grand sœur qui s'appelle Léana. Mais suivant leur âge, il leur est difficile de comprendre et aux parents d'expliquer ce qu'il s'est passé. "Elles m'ont déjà demandé de jouer avec elle", explique Margaux.
Chaque soir, quand je te mettais au lit, c’était naturel de te revoir au réveil. Quand je couche tes sœurs le soir ou quand je les pose à l’école le matin ou quand je les laisse à papa, je me dis et si c’était la dernière fois ?
Margaux, mère de Léana
"Est-ce que je les ai embrassées suffisamment ? Quand je les récupère, je me dis c’est bon, aujourd’hui ça a été. Et demain ça recommencera."
Une perte du goût de vivre
La femme, aujourd'hui âgée de 28 ans, se souvient de sa vie d'avant, celle où elle était "insouciante", où elle avait "des projets, une envie de vivre"... Désormais, il lui arrive de penser à "tout arrêter". Elle se dit parfois qu'elle attendra que ses filles soient "bien en vie, pour enfin partir". Car, depuis six ans, elle a "perdu le goût de la vie". "Je me lève et je me couche, parce que je suis là".
Il lui faut "trouver la force de se relever, mais pas qu’une fois, il faut trouver la force de se relever tous les jours", explique-t-elle des sanglots dans la voix.
J’ai ce vide au fond de moi, dans mon cœur, que je ne souhaite à aucune maman.
Margaux, mère de Léana
Son père Alain, le grand-père de Léana, témoigne aussi de la "douleur administrative" qui s'ajoute à la "douleur de perdre sa petite fille et de voir sa fille pleurer". Celui qui est dorénavant co-président de la Promenade des Anges ressent une colère contre les institutions administratives qui compliquent la vie des victimes, mais aussi contre les hommes politiques qui les soutiennent devant les caméras quand cela les arrange.
La mère de famille ne cache pas sa "haine" pour le terroriste, responsable de la mort de sa fille. "Je suis bien contente qu'il soit mort, j’aurais aimé le voir agoniser comme j’agonise tous les jours", dit-elle à la cour.
Pour la ville de Nice aussi, elle ressent de la haine, alors qu'elle l'avait toujours aimée, en tant que Niçoise. Elle ne va plus sur la Promenade des Anglais, estimant qu'elle n'a "plus rien à y faire".
Responsabilités
Sur ce même ton froid et presque cynique, la mère endeuillée se questionne : "Qu’est-ce que ta mort a changé, Léana ? Des plots sur la Promenade des Anglais. C’est bien d’y avoir pensé, maintenant que tu es partie."
Alain espère voir "la pire des peines" appliquée aux accusés. Il espère également que le procès visant à déterminer les responsabilités concernant la sécurité sur la Promenade des Anglais aura lieu : "Il faut ce procès pour les victimes, mais pour le peuple niçois aussi. Toute la ville veut savoir ce qu’il s’est passé. On fera tout pour qu'il puisse avoir lieu."
Margaux tente de terminer son témoignage par une note d'optimisme, comme si elle s'y sentait obligée. Elle espère un jour "trouver un peu de paix pour survivre à ce cauchemar quotidien". "Je te promets de survivre au mieux à ta mort", conclut-elle, toujours en s'adressant à Léana, à travers la cour d'assises.