Cette semaine, au procès de l'attentat de Nice, la cour s'intéresse à un deuxième accusé : Chokri Chafroud. Il est soupçonné d'avoir participé à une association de malfaiteurs terroriste et risque jusqu'à 20 ans de prison.
Celui que les enquêteurs ont soupçonné d'être un mentor pour le terroriste voit cette semaine lui être consacrée au procès de l'attentat de Nice. Ce mardi 8 novembre, la personnalité de Chokri Chafroud et les conclusions de l'enquête de la sous-direction anti-terroriste (SDAT) ont été passées au crible.
Né en 1979 en Tunisie, Chokri Chafroud a passé une enfance "remplie d'amour", d'après ses propres mots, au sein d'une fratrie de sept frères et sœurs. Il n'a pas reçu d'éducation religieuse particulière, d'ailleurs, même à l'âge adulte, il n'est pas musulman pratiquant. Sa famille le décrit comme un homme "timide et calme" auprès de l'enquêtrice de personnalité qui l'a interrogé lors de sa détention provisoire.
Emigration vers l'Italie avant Nice
Dès l'âge de 11 ans, il commence à travailler dans le milieu du tourisme en Tunisie. Durant son adolescence, il dit avoir assisté à la mort de son meilleur ami, renversé par un véhicule devant lui à Sousse, en Tunisie. L'enquêtrice de personnalité et un psychologue, qui l'ont rencontré lors de sa détention provisoire, indiquent qu'il parle de cet événement avec beaucoup d'émotions, cela apparait comme un incident traumatique de sa vie.
En 2005, il quitte son pays pour l'Italie. Il trouve un emploi dans un hôtel à Bari, dans les Pouilles, où il s'installe jusqu'en 2013. Il part alors à Lecce, plus au sud, où son employeur gère un autre hôtel.
Après un retour en Tunisie, Chokri Chafroud arrive à Nice en 2015. Après quelques semaines à tenter de trouver un travail, en vain, il décide de retourner en Tunisie. "Je n’arrivais pas à rester dormir dans la rue", explique-t-il. Il revient finalement à Nice quelques mois plus tard et trouve un travail dans le bâtiment. Chokri Chafroud rencontre Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, auteur de l'attentat du 14 juillet 2016, dans un café près de l'Acropolis, où les deux hommes se rendent régulièrement. Les enquêteurs n'ont pas pu déterminer la date exacte de leur rencontre, mais cela s'est fait avant janvier 2016 d'après la SDAT.
Des messages incriminants
Lors des auditions de Chokri Chafroud qui ont eu lieu en 2016 après l'attentat, l'accusé a indiqué qu'il n'était pas un ami proche de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, ce ne sont que des "relations superficielles", disait-il à l'époque. Pourtant, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel était le correspondant le plus fréquent sur le téléphone de Chokri Chafroud.
Les deux hommes se parlaient aussi très souvent sur la messagerie Facebook. Un message de la part de Chokri Chafroud à Mohamed Lahouaiej-Bouhlel datant du 4 avril 2016 a retenu l'attention des enquêteurs : "charge le camion de 2000 tonnes de fer et nique coupe lui les freins mon ami et moi je regarde". Confronté à ce message lors de ses auditions en 2016, Chokri Chafroud s'était "montré embarrassé", décrit l'enquêteur, et il avait répondu qu'il ne voulait pas "qu'il tue des gens". Il explique que pour lui "c'était du cinéma", car il était "en train de regarder Spider-man" à ce moment-là. "J’ai écrit ça sans penser aux conséquences", avait-il ajouté.
Chokri Chafroud est également mis en cause dans la recherche d'armes de la part de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Ses déclarations à ce propos ont changé au cours des auditions. Chokri Chafroud dit dans un premier temps qu'il a accepté de chercher une arme parce qu'il avait une dette envers Mohamed Lahouaiej-Bouhlel et qu'il avait trouvé un revendeur, avant de revenir sur cette version. Il a finalement déclaré qu'il voulait faire croire au terroriste qu'il lui avait trouvé une arme même si cela était faux.
L'accusé était aussi le destinataire d'un message de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, le 14 juillet à 20h29 : "Je suis sur la Prom viens je te passe... C pour.. 159". Un message qui peut être mis en parallèle avec ceux envoyés à 22h27 à un autre accusé : "Salam Ramzi, je suis passé tout à l'heure au taxiphone 16 rue Marceau je t'ai pas trouvé Je voulais te dire que le pistolet que tu m'as donné hier c'est très bien, alors on ramène 5 de chez ton copain 7 rue Miollis, 5è étage c'est pour Choukri et ses amis" et "Ils sont prêts pour le mois prochain".
Le président émet l'hypothèse que le "159" pourrait être en réalité un "158" comme la date du 15 août, date d'une autre Prom Party, prévue durant l'été 2016. En effet, un autre message, reçu par l'accusé Mohamed Ghraieb cette fois, mentionnait les dates du 14 juillet et du 15 août. L'enquêteur de la SDAT admet qu'il ne peut pas avoir d'interprétation certaine sur la signification de ce nombre dans ce sms envoyé à Chokri Chafroud.
Concernant les "amis" de l'accusé mentionnés dans le sms, Maître François-Jacquemin, avocat de Chokri Chafroud, a tenu à rappeler que les cinq personnes identifiées comme telles ont été mises en examen puis relâchées. "S'il y avait eu le moindre élément contre eux, j’imagine qu’ils seraient là avec nous", souligne l'avocat. Il s'étonne donc que ces "amis" aient été lavés de tout soupçon et contrairement à son client.
Cette journée sur la personnalité de Chokri Chafroud a aussi été l'occasion de pointer du doigt une incohérence selon la défense de l'accusé. Le rapport psychologique établi lors de sa détention provisoire indique que c'est un homme qui est en "capable d'être influencé notamment de la part d’un personne qui pourrait être dans une position salvatrice". D'après ce rapport, Chokri Chafroud peut "s’inscrire de façon chronique dans une posture de victime ou de bouc-émissaire". Le président de la cour a également fait état des multiples agressions qu'il a subies en prison. Ainsi, pour Me François-Jacquemin, la "théorie de l'accusation" faisant de lui le "mentor influençable" de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel ne tient pas face à cela.
Lors de son interrogatoire sur les faits devant la cour, qui se déroulera sur la journée de jeudi 10 novembre au procès, Chokri Chafroud sera amené à répondre aux questions de la cour et des avocats à propos des faits qui lui sont reprochés.