Témoignage. "On gère des bébés, pas des dossiers !" : dans les crèches, un manque flagrant de personnel

Publié le Mis à jour le Écrit par Sofian Aissaoui
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Alors qu'une enquête - "Les Ogres" de Victor Castanet (Flammarion) - fait de nouvelles révélations sur les dysfonctionnements au sein des crèches privées, les critiques n'épargnent pas non plus le secteur public. Le manque de personnel est pointé du doigt depuis plusieurs années déjà.

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D'année en année, elle dit avoir vu sa profession se dégrader. Depuis plus de 20 ans, Liliane (le prénom a été modifié) travaille au contact d'enfants en bas-âge. Sa profession en tant qu'auxiliaire de puériculture a épuisé son corps autant que son esprit. 

“C’est un métier fatigant physiquement et nerveusement... la seule chose à laquelle je pense en rentrant, c'est dormir !" Entre les rendez-vous pour les problèmes de dos ou pour les acouphènes liées au bruit, l'Azuréenne raconte à quel point les professionnels du secteur sont à bout, esseulés.

"Ce n'est pas pour rien que le métier a du mal à attirer..."

Un service public en déclin

“Des fois, on a vraiment l’impression d’avoir 1 000 bras, de devoir gérer beaucoup trop de choses en même temps, nous confie Liliane. C’est notre métier, donc on le fait au mieux et on gère. Mais au quotidien, ça fatigue énormément. On gère des bébés quand même... pas des dossiers !"

Ses journées, rythmées par "les couches, les pleurs, les conflits entre enfants, les repas, les activités à organiser, la surveillance des enfants malades..."  sont devenues de plus en plus difficiles au fur et à mesure des années.

“Nous ne sommes plus dans l’aide et le service social, on est dans la rentabilité. On connaît des difficultés similaires à celles de l’hôpital public…”

Si la situation des crèches privées est au coeur du nouveau livre de Victor Castanet  ("Les Ogres", Flammarion) paraissant ce mercredi 18 septembre, Liliane nous confie que le secteur public connaît lui aussi son lot de difficultés, et ce, malgré la bonne volonté des équipes. 

Je m’estime mieux lotie que certaines personnes qui sont dans le privé. Mais on manque quand même de personnel, explique-t-elle. À mon niveau, j’ai heureusement la chance d’avoir un encadrement qui nous soutient et des élus municipaux qui font de leur mieux pour nous protéger.

Liliane, auxiliaire de puériculture dans les Alpes-Martimes.

Le groupe mis en cause dans le livre Les Ogres est People & Baby : il compte une vingtaine d'établissements sur la Côte d'Azur. Invitée du journal de France 3 Côte d'Azur ce mercredi, Natalia Julien (présidente de la branche Paca de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants) précise avoir eu vent de défaillances  "dans d'autres groupes privés que People & Baby".

Elle précise notamment que les contrôles effectués sont souvent annoncés en amont. Cela pourrait laisser supposer que certains dysfonctionnements sont encore méconnus des services chargés de les repérer.

En 2023, le cas d'un bébé défiguré à Vence

L'affaire avait créé la polémique l'an dernier. Une mère de famille retrouvait son nourrisson défiguré. Les images montrent l'enfant couvert de bleus, le visage tuméfié.

À nos confrères de Nice-Matin, la maman expliquait avoir récupéré son enfant sous le choc : "On aurait cru qu'il avait fait un combat de boxe". Le bébé avait été mordu par un enfant, à quasiment 20 reprises d'après les médecins-légistes, sans même que l'auxiliaire présente ce jour-là ne le remarque. 

C'est difficile d'avoir les yeux partout. On manque terriblement de personnel.

Liliane, auxiliaire en secteur public

Pour Liliane, ce type de situation survient notamment par manque de moyens humains.

"Quand j’ai commencé, on était trois personnes pour s’occuper de onze enfants. Maintenant, c'est plutôt une moyenne de deux personnes pour 16 enfants. (...) C'est parfois difficile d'avoir les yeux partout. On manque de personnel. Il faut un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas, et un pour huit enfants qui marchent normalement."

Parmi les problèmes rencontrés par cette professionnelle, elle souligne notamment l'évolution des profils reçus en crèche. "Les enfants sont de plus en plus sur-stimulés, notamment par les écrans."

Des défaillances déjà pointées par les parlementaires

En mai 2023, la députée Les Républicains des Alpes-Maritimes Alexandra Martin alertait déjà sur les problèmes rencontrés au sein des crèches : "Près de la moitié des établissements déclarent un manque de personnels auprès d'enfants. (...) De plus, la dégradation de leurs conditions de travail laisse craindre des manques de vigilance involontaires auprès des enfants dont ils ont la charge."

Plus tard en 2024, elle participait cette fois à un rapport d'enquête autour du modèle économique des crèches et de la qualité de l'accueil des jeunes enfants. Dans ses conclusions, ce rapport fouillé précise notamment les nombreuses défaillances que connaît le secteur. 

"J'ai la conviction qu'il faut davantage impliquer les parents et mettre un terme à la "conception du client comme un client", expliquait la députée à l'époque. Investir les parents au sein des crèches, n'est-ce pas là la garantie de contrôle et de surveillance face aux dérives éventuelles ?"

Dans ce rapport, les dysfonctionnements soulignés par Liliane sont mis au jour. Il y est écrit :"Les conditions de travail des professionnelles – car il s’agit très majoritairement de femmes – ne sont pas satisfaisantes : elles s’occupent de trop d’enfants à la fois, sans être suffisamment formées, et elles sont exposées, sur le long terme, à d’importants troubles musculo-squelettiques. Leurs revenus sont trop faibles, malgré les efforts récents du Gouvernement et leurs perspectives de carrière trop étroites. Nous devons y remédier."

Contacts utiles pour alerter les pouvoirs publics

Pour alerter sur des faits de violences sur mineur, vous pouvez écrire au Président du Conseil départemental en lui faisant part de l’ensemble des éléments.

  • Par courrier : 147 Boulevard du Mercantour - 06201 NICE Cedex 3
  • Par mail : protectiondelenfance@departement06.fr 
  • Par le biais du numéro vert : 0 805 40 06 06 
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