Ben n'a pas supporté de vivre sans Annie. Ben, l'ultime artiste de l'École de Nice, le philosophe poétique et impertinent, le peintre des mots iconoclaste et provocateur, a mis fin à ses jours quelques heures à peine après le décès de son épouse. Depuis, les hommages ne cessent de pleuvoir.
"Nous étions vers Aspremont, sur la terrasse, dans le jardin avec Ben et Annie pour la remise des prix de la dictée occitane. J'avais emmené des élèves de CM1 de l'école Saint-Philippe Néri à Antibes avec leurs parents. C'était le 16 mars." Cristòu Daurore, enseignant de niçois et Président de la República de Nissa se souvient.
Il a été parmi les premiers à prévoir un hommage à Ben Vautier. Il aura lieu lundi 17 juin à l’occasion de la Fête Nationale Occitane, à 18h place Garibaldi à Nice.
Parce que Ben et les langues minorisées ou oppressées, c’est une longue histoire. "C’était un vrai militant," raconte Cristòu Daurore. L’association Nissa Pantai a publié deux livres, un en provençal, une pièce de théâtre de Franc Baldet.
L’autre, un recueil d’articles classé par ordre alphabétique. Ben a fait bénévolement la couverture des deux ouvrages.
"À chaque fois, il m’a aidé dans les projets depuis 20 ans qu’on se voyait. Quand j’ai créé la radio en 2008, c'est lui qui a écrit le nom NISSA PANTAI…et il a suffi qu’il écrive pour que les gens s’y intéressent ! C’était un coup de pouce énorme. D’ailleurs Ben et Annie sont les parrain et marraine de la radio. Quand j’ai créé la monnaie locale en décembre 2017, Ben a immédiatement écrit le nom du billet « Nissart » C’était sa manière de soutenir les causes qu’il défendait, comme le breton, le catalan ou le basque" explique Cristòu Daurore.
"Pour Ben, comme pour François Fontan, fondateur du Mouvement autonomiste occitan, dont il a racheté la maison dans le Piémont, c’est la langue qui définit une Nation. Ben avait remarqué que quand il faisait ses « écritures » en langues locales ça ne se vendait pas ! C’est pour ça qu’il a écrit sur tous les diplômes qu’il a remis aux lauréats du concours de dictée occitane ce 16 mars. Et après, il a donné des objets de papeterie à son nom à tous les enfants de la classe. C’était un vrai généreux. »
Autre hommage, celui des Niçois et de la ville de Nice où un livre d'or est disposé en mairie pour qui veut écrire quelques mots.
"Par amour..."
Celui d'un collectif d'artistes Whole Street qui dans la nuit a graffé un mur. Une fresque monumentale s'étale sur le soutènement du bout de la voie rapide Place du XVᵉ Corps. Le nom de l'artiste, ses dates de naissance et de départ et deux mots : "par amour..."
@france3paca Après la disparition de Ben, un collectif d’artistes a réalisé une fresque, à Nice, pour lui rendre hommage. #art #streetart #ben #hommage ♬ son original - France3Paca
"On était 6 ou 8 à dessiner cette fresque et on s’est décidé dans l’après-midi d’hier, explique Brian Caddy. On a été très choqué en apprenant le décès de Ben, de sa femme et surtout les circonstances. On s’est dit, on va faire un fond tout noir et on va écrire en blanc dessus comme le faisait Ben. C’est important de retranscrire un peu son travail à notre façon aussi, d’avoir cet hommage. On était 4 pendant 1h à peindre tout en noir, ensuite on a décidé de faire un portrait… On a eu une longue discussion sur le mot qu’on allait mettre, qu’on allait lui laisser… On a trouvé « par amour…" Par amour pour sa femme, par amour pour l’art, par amour pour lui."
L'Élysée lui a aussi rendu hommage dans un communiqué où il est fait état d'un artiste qui "repoussait sans cesse les frontières pour mieux écrire le désastre, l'insolence et la beauté".
"Il comprenait jusqu’où il pouvait aller"
Enfin, l'hommage le plus vibrant est celui de son ami, photographe, marchand d'art Jean Ferrero : "On se connaît depuis l'époque du port, dans les années 50-60. Son talent, c'était l’ordre dans le désordre. Tout était rangé dans des cahiers et il savait toujours où tout était. C’était quelqu’un de très intelligent. Il comprenait jusqu’où il pouvait aller. Il provoquait, mais il savait s’arrêter. Il est venu me voir il y a quelques jours et il devait venir avec Annie, mais elle n’était vraiment pas bien. Il devait revenir avec elle et on a parlé de monter une petite expo."
Je n'ai pas été surpris par ce qui s’est passé. Annie était affaiblie et Ben m’avait dit : le jour où elle disparait, je disparais dans l’heure. Il avait des armes et de temps en temps, il se réveillait la nuit et pour faire chier les voisins, il tirait des coups de fusils… On en a fait des conneries, mais on ne peut pas anticiper sur la douleur. On part sur une ligne et ça se termine dans des pleurs… !
Jean Ferrero, artiste.
L'ultime hommage au couple Vautier sera rendu la semaine prochaine à Nice.