La douleur des familles sans cimetière après les crues : "On a perdu nos morts"

Ce dimanche de la Toussaint, un temps de prière sera réservé au cimetière emporté par les flots et une gerbe déposée par les élus et l'évêque à Saint-Martin-Vésubie. A Saint-Dalmas, certaines familles ne peuvent pas se recueillir sur les tombes de leurs défunts, disparues dans la tempête.

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C'est une douleur supplémentaire pour les sinistrés. Surtout en cette période de la Toussaint. A Saint-Martin-Vésubie, à Tende et à Saint-Dalmas-de-Tende (Alpes-Maritimes), les crues dévastatrices début octobre ont détruit une partie du cimetière, laissant un vide béant. Une perte irréparable pour les familles car certaines ne peuvent pas se recueillir sur les tombes de leurs défunts.

"Que le cimetière soit parti, ça déstabilise"

Une messe est prévue à 10h00 ce dimanche matin en l'église de Saint-Martin-Vésubie. "Que le cimetière soit parti, ça déstabilise... Ça choque quand même", confie Brigitte Martini, 63 ans, chargée de l'accueil des sinistrés. La catastrophe a fait sept morts, une dizaine de disparus et détruit un autre cimetière à Saint-Dalmas-de-Tende, près de Menton.  
Régulièrement, elle allait se recueillir sur la tombe de son père et sur celle de son fils mort prématurément dans un accident de moto à 22 ans :

Je savais qu'ils étaient là tandis que maintenant je ne sais plus où ils sont. Je me les représente chavirés, transbahutés, brutalisés par l'eau, c'est une image de tourmente pour eux aussi, même morts.

Brigitte Martini, 63 ans, chargée de l'accueil des sinistrés.

Bénédiction des tombes

Elle n'a pas osé solliciter la mairie, ni en parler à sa mère de 83 ans avant que la Toussaint ne l'y oblige. Dans ce village de tradition catholique, il est de coutume qu'il y ait une bénédiction des tombes et une visite au cimetière: "Je l'ai appelée pour lui dire qu'on n'irait pas, c'est là qu'elle a pris conscience" de ce qui s'est passé.

Sur 80 caveaux construits dans les années 1980 en contrebas du vieux cimetière trop petit, seuls sept ou huit ont résisté. La porte du nouveau cimetière ouvre désormais sur un précipice. L'eau a tout raviné, tout emporté et un arbre déraciné git au milieu des rochers dans la rivière Boréon dont le lit s'est monstrueusement élargi.

Un temps de prière pour le cimetière 

Pour la première fois ce dimanche, un temps de prière sera réservé au cimetière emporté par les flots et une gerbe déposée par les élus et l'évêque. "Certains ont perdu leur maison, nous, on a perdu nos morts. Il faut absolument qu'il y ait une plaque", estime Christian Einaudi, 74 ans. "On peut peut-être moins en parler, par décence vis-à-vis de ceux qui ont perdu des personnes ou leur maison mais c'est traumatisant", confie une autre habitante, qui vit avec sa mère de 86 ans et décrit, bouleversée, comment l'orage a tout fait trembler le 2 octobre. Ses voisins n'ont toujours pas pu réintégrer leur maison.

"Toute la famille est partie"

Par discrétion dans un village où chacun se connaît, elle préfère rester anonyme et ne pas étaler sa peine. D'une chemise à rabat, elle sort le papier de la concession perpétuelle qui avait permis de réunir le frère de son père, sa grand-mère, son grand-père puis d'y enterrer son propre père en 2017: "J'y allais très souvent, et bon, maintenant toute la famille est partie... et on ne sait pas ce qui va se passer pour la suite". "Le projet est de reconstruire, mais c'est encore un projet", admet le maire Ivan Mottet. L'idée de faire une plaque souvenir en marbre fait son chemin mais il a géré d'autres urgences en un mois.

Analyses ADN des ossements

 
"Les pompiers continuent de retrouver des ossements. On les recueille à l'hôpital, puis c'est descendu à Nice à l'hôpital pour les analyses ADN. On ne pourra pas dire "c'est votre papa ou c'est votre maman  mais l'ADN prouvera si c'est votre famille", dit-il. Selon les médecins, quand un corps a passé plus de 4/5 jours dans l'eau, il est très difficile voire impossible, même à l'autopsie, de savoir s'il s'agit d'une personne dont le décès en récent ou non. Le procureur de la République à Nice a tenté d'expliquer la difficile identification des corps. Ce travail a été confié à une unité spéciale de la gendarmerie.

"On a le permis d'inhumer mais où l'enterrer ?"

Nora Kelloud, 63 ans, est l'une des rares dont le défunt père a pu être retrouvé rapidement, grâce au cercueil de plomb dans lequel il avait dû être inhumé en raison de l'état de la dépouille. L'ancien douanier de montagne avait été renversé par une voiture. "On a retrouvé papi mais qu'est-ce qu'on fait maintenant?", dit-elle. "On a le permis d'inhumer mais où l'enterrer ? Il faut que mon père repose en paix, le temps nous est compté, ma mère a 91 ans, et là, il est dans un tiroir dans un frigo" à l'institut médico-légal de l'hôpital Pasteur à Nice. 
"C'est vrai qu'il y a tellement de priorités qu'on ne sait plus par où commencer, reloger les gens, reconstruire les ponts, les routes mais ça va rapidement devenir une urgence".
 
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